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Y a-t-il une vie après la prison ?

DPS (1), Claude B. est passé par toutes les prisons de France et de Navarre, y compris celle de Saint-Martin de Ré où il est resté deux ans. Depuis trois ans, il tente de se réinsérer avec beaucoup de difficultés dans notre société et a éprouvé le besoin de parler. Nous l’avons écouté car comme on ne peut l’ignorer, il règne un profond malaise dans nos prisons qui sont, ne nous mettons pas d’oeillères, le reflet de notre société.
Pourquoi les Suédois réussissent-ils là où apparemment nous échouons ? Quoi qu’il en soit nous avons voulu savoir ce qui avait changé depuis la promulgation de la loi du 22 juin 1987 qui doublait la fonction sécuritaire de la prison d’une fonction de réinsertion nécessaire à toute modernisation du système. Voici l’essentiel du texte de loi pour mémoire et préambule à ce qui suit : « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions des sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. »
Claude s’est retrouvé incarcéré à l’âge de 36 ans, à la suite d’un délit suffisamment grave, pour rester en prison « 15 ans, 8 mois, 3 jours et 2 heures », refusant il est vrai les grâces et les remises de peine, car il ne voulait rien devoir à cette justice dont il conteste les méthodes. Il travaillait à l’époque chez un paysagiste chez qui il se préoccupait, au grand air, de création de jardins. Aménager les espaces, voir naître et pousser les végétaux qu’il avait plantés suffisaient à son équilibre et sa joie. Sa conception de l’humanité faisait qu’il avait passé un brevet de formateur de secours ! Quand il se retrouve en prison, après ce que nous appellerons pudiquement un coup de folie, il n’imaginait pas, n’avait jamais réfléchi à ce qu’était le monde carcéral et n’avait aucune idée de ce qui l’attendait à l’intérieur de ses murs. Du jour au lendemain, il allait être dépouillé de son identité, de sa vie privée, de son intimité, avoir son casier fouillé, le courrier qu’il y rangeait lu, éventuellement photocopié et commenté, et ne plus posséder aucun autre droit que celui de tenter de survivre au milieu des agressions corporelles et des harcèlements psychologiques en tout genre. Sans espace vert et sans vent sur le visage.
Surnom : AMX171
Dépressif, il végète au fond de sa cellule les six premières années. Comme il n’est pas sot, il réalise que la force physique est l’une des premières valeurs de cet univers, qui possède ses propres règles. Lorsque l’on se fait craindre, on est respecté et plus personne n’ose s’attaquer à vous dans les douches ou ailleurs. Il se met alors à faire de la musculation à outrance. Ayant récupéré le premier degré de ce qui fait son humanité, le respect des autres, il se forge une personnalité de forte tête, d’homme invincible comme le tank AMX171 qui deviendra son surnom. Puis, il se fixe pour unique objectif de tenir le coup afin de sortir de cet enfer et se donner la possibilité, une fois dehors, d’une seconde chance. « Celui qui se bat dans sa tête reste un homme. Il faut se donner des valeurs, qui d’ailleurs ne sont peut-être pas les bonnes pour quelqu’un de l’extérieur, sinon on devient très vite un animal » dit-il. Le code d’honneur de Mesrine, inapplicable dans notre société civile, a laissé des traces ! Claude mobilise son énergie et sa volonté dans une seule direction, la sortie de prison. Pour se libérer l’esprit, il coupe toute relation avec celle qui a été sa compagne ainsi qu’avec ses enfants et fait en sorte que rien ni personne ne puisse avoir d’emprise sur lui. Il se rigidifie dans un désert affectif dont encore aujourd’hui il a beaucoup de mal à sortir. Il n’a ainsi plus rien à perdre.
Une prison invivable pour tous
C’est un Robin des Bois à qui manque la forêt de Sherwood. Son idéalisme, sa naïveté parfois sont surprenants. Il se scandalise du business, lucratif pour certains, qui s’effectue intra-muros, alors que l’on commerce depuis toujours dans toute société, ouverte ou fermée, en temps de guerre comme de paix. Il ne comprend pas qu’il puisse y avoir « deux poids deux mesures » selon que l’on est un nanti ou pas, un VIP ou un simple citoyen, ce qui n’est pourtant pas spécifique au monde carcéral. Il s’insurge contre la loi imposant au détenu d’être un travailleur sans contrat de travail, trouve que l’administration pénitentiaire leur propose un travail mal rémunéré, mais semble ignorer que leur productivité ne représente que 40 à 50 % de celle d’un homme libre et que les activités manuelles qui leur sont confiées ne sont pas essentielles et pourraient être réalisées ailleurs. Mais surtout dans ce vieux couple « surveillants-détenus », qui n’existeraient pas les uns sans les autres, les surveillants focalisent son ire. « Pour encadrer les détenus, il faudrait des surveillants qui connaissent la loi et la respectent et soient irréprochables. Nous devrions avoir autour de nous des modèles qui nous aident à tenir moralement et psychologiquement, or les surveillants ne sont pas formés à cela et pensent que les détenus n’ont aucun droit » tout en ajoutant « si les conditions de détention étaient meilleures, les surveillants auraient de meilleures conditions de travail. Remarquez, tous les surveillants ne sont pas mauvais, j’en ai même connu un qui pendant la tempête de 1999 à Saint-Martin de Ré a pris le risque de nous faire sortir de nos cellules pour nous mettre à l’abri. »
La nécessaire cohabitation entre détenus et surveillants dans laquelle ceux-ci jouent le rôle sécuritaire que la société leur impose représente toute la complexité de ce monde carcéral. Le job n’est pas considéré, il est mal payé, rarement plus du Smic, dangereux pour les surveillants comme pour leurs familles à qui il arrive d’être menacées à l’extérieur par des malfrats pour faire pression sur eux. Il est évident dans ces circonstances que leur demander de jouer un rôle dans la réinsertion des détenus est impossible.
Une vie normale est-elle envisageable après la prison ?
À sa sortie de prison, l’espoir d’une nouvelle vie était grand. Claude estimait avoir payé sa dette à la société et pouvoir vivre comme n’importe quel citoyen. Personne ne l’attendait dehors.
Trouver du travail s’est avéré extrêmement difficile : les portes se ferment devant un casier judiciaire qui ne permet ni le statut d’auto entrepreneur, ni de travailler pour l’administration, ni de voter. Sans un visiteur de prison de sa connaissance qui lui a tendu la main, il aurait probablement plongé dans la délinquance et se serait rapidement retrouvé en prison. Un bon nombre de détenus se suicident d’ailleurs à leur sortie lorsqu’ils réalisent qu’ils ne sont plus rien. Claude a choisi de vivre et de se reconstruire une dignité. Il a fait beaucoup de petits boulots, connu des moments de vrai désespoir et ses nuits sont encore agitées de cauchemars épouvantables.
Récemment, Claude a retrouvé un emploi et rencontré une femme qui a réussi à adoucir son coeur. Mais, il est encore à un moment charnière où tout peut basculer. Il lui faudra du temps et beaucoup de compréhension de la part de tous pour éventuellement réussir à se réinsérer.
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