- Politique
- Territoire Île de Ré
- Interview : Lionel Quillet
Une vision stratégique et une forte combativité au service de l’île de Ré
Le lendemain de son entrevue au Ministère de l’Écologie, Ré à la Hune est allé à la rencontre du Président de la Communauté de Communes de l’île de Ré, en passe de gagner – grâce à sa pugnacité et à un mental d’acier – le long combat mené depuis trois ans dans le cadre de la révision du PPRL. Nous l’avons également interviewé sur les autres sujets d’actualité territoriale. Plus que jamais, Lionel Quillet se révèle être un vrai « homme politique » avec une forte vision stratégique pour son territoire, qui va pouvoir affronter le « choc de croissance » lié aux réformes territoriales. Financièrement, politiquement et structurellement, l’île de Ré a désormais la capacité de faire face à son avenir.
Ré à la Hune : Vous étiez jeudi 3 juillet au Ministère de l’Écologie où vous aviez rendez-vous avec Elisabeth Borne, directrice de Cabinet de Ségolène Royal, sur le sujet brûlant pour les Rétais de la révision du PPRL, êtes-vous satisfait de la teneur de vos entretiens ?
Lionel Quillet : Oui très satisfait. J’étais confi ant après la réunion « technique » qui s’est tenue le 25 juin entre la DGPR, les services de la CdC de l’île de Ré, les cabinets Casajec et Van der Meer et le Ministère de l’Environnement et qui a donné lieu pendant près de 6 h à une présentation de nos modélisations, à l’issue de laquelle les services de l’État avaient eu réponse à toutes leurs questions et avaient trouvé nos modèles extrêmement intéressants, pour la défense d’un territoire insulaire. J’insiste sur ce point, il ne s’agit en aucun cas d’un modèle national, ce positionnement politique est très important. Nous avons encore quelques éléments techniques à fournir, mais l’énorme travail fait auprès de 4 Ministres différents a été reconnu et les 30 millions d’€ de travaux faits auxquels vont s’ajouter 20 millions d’€ de travaux supplémentaires d’ici à 2016 font de l’île de Ré le territoire le plus défendu de France, alors qu’il est le moins construit de tout le littoral Atlantique. Je dois particulièrement remercier Florence Durand, Francis Gousseau et Sophie Grandjean qui ont fait du très bon travail.
Ma réunion avec Elisabeth Borne et la DGPR, en présence de la Préfète de Charente-Maritime, Béatrice Abollivier, a permis de confirmer la position du Ministère favorable à une application à partir du 1er octobre prochain de nos modèles, après communication d’études complémentaires et quelques ajustements. Elisabeth Borne, que nous avions rencontrée en tant que Préfète de Région Poitou-Charentes, a mis en avant l’intégrité des élus de la CdC qui ont travaillé sur ce dossier avec trois directeurs de cabinet et quatre ministres, les travaux de protection à hauteur de 50 millions d’€ finalisés d’ici fin 2016, mais aussi les aberrations de la méthode forfaitaire appliquée à l’île de Ré où le repli stratégique ou l’évacuation du territoire sont impossibles et où la submersion par les quatre côtés en même temps impensable, les refus de 150 permis de construire y compris sur des garages ou une plateforme multimodale de transport, les trois projets de logements sociaux bloqués, les particuliers et les professionnels au tapis… et a ainsi reconnu l’approche raisonnée de la CdC de Ré. La directrice de cabinet de Ségolène Royal m’a ainsi confirmé l’abandon de la méthode forfaitaire et la prise en compte de notre carte Xynthia + 20 cm qui va régir l’instruction des permis de construire à partir du 1er octobre 2014. Ainsi tout le centre des Portes redevient constructible, tout comme ceux de La Couarde ou Saint-Clément. Évidemment, il demeure des zones submersibles et celles-ci ne seront pas constructibles.
L’autre avancée importante est la prise en compte de PPRL indicés : ainsi au fur et à mesure que les travaux de protection avancent, les cartes des aléas évolueront pour intégrer celles -ci. L’ensemble des cartes futures sont déjà modélisées et nous les avons ainsi présentées, comme par exemple une carte intégrant la porte du Port de La Flotte, une carte de Saint-Clément après construction de la Digue des Doreaux… Notre objectif est que la constructibilité redevienne possible en fonction du risque véritable, quitte à être modulée avec certaines contrainte le cas échéant. Tout ceci en faisant en sorte que tout le monde en « sorte par le haut ».
Bien sûr, des aménagements et des allers retours État-CdC auront lieu entre juillet et septembre, et il ne faut pas déposer un seul permis en juillet/août/ septembre, tant que tout n’est pas calé. Il s’agit d’un énorme combat que j’ai mené, avec l’appui des élus et de la population, mais aussi de grosses pressions et les actions néfastes de quelques opposants locaux. Aujourd’hui, curieusement on ne les entend plus.
Vous dénoncez la loi Gemapi qui attribue, à compter du 1er janvier 2016, une nouvelle compétence aux communes et à leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. Pour quelle raison ?
Cette loi votée dans l’indifférence totale met fin à 800 ans d’us et coutumes dans la tradition française. Elle est à la fois très importante et surprenante et n’a fait l’objet d’aucune médiatisation, ni de débat parlementaire, ce qui est très décevant. Après avoir culpabilisé les élus locaux suite aux désastres de Xynthia, l’État a trouvé une solution radicale pour gérer les 8600 km de côtes et faire face aux menaces de submersion marine, en transférant toute sa responsabilité sur les collectivités locales, ainsi que la charge financière afférente à la construction des digues et à leur entretien, et ce n’est pas avec une nouvelle taxe possible de 40 € par habitant que l’on va protéger les territoires, c’est-à-dire pour 20 000 personnes 800 000 € ! L’île de Ré a un temps d’avance, mais elle ne le gardera pas longtemps et la plupart des collectivités ne pourront faire face et assurer l’entretien, quand la part de financement de 40 % de l’État n’existera plus. Ainsi, 6 ans après Xynthia, on a totalement déplacé l’une des plus grandes charges de l’État, certes partagée, sur les EPCI. Les sociétés d’assurances ne tarderont pas à gérer leurs contrats en fonction de la protection des territoires. Quant aux citoyens ils sont passés de « j’aimerais bien être défendu » en 2011, à « vous devez me défendre » en 2013, puis « défendez-moi ou j’intente une action » en 2014 et il est clair qu’en 2016 des poursuites seront engagées contre les collectivités à chaque submersion… Il s’agit d’un virage fondamental de la pensée depuis la dernière loi de 1807 et d’un verrouillage phénoménal. Ceci alors qu’il est clair qu’il y aura de plus en plus d’événements climatiques… Il est donc souhaitable que les législateurs reprennent ce dossier pour apporter une solution convenable.
Quelle est votre position par rapport aux réformes territoriales en cours ?
Nous avons voté en conseil communautaire la motion relative à la réforme de l’organisation territoriale portant fusion de la Région Poitou- Charentes avec celles du Limousin et du Centre. Nous refusons en l’état le projet de carte régionale et nous nous sommes prononcés en faveur de l’intégration du territoire charentais- maritime dans une nouvelle Région Aquitaine-Poitou-Charentes.
Avec la disparition programmée du Conseil général la CdC va réceptionner énormément de compétences avec un transfert de budget et des fonctionnaires ; il va s’agir d’un vrai « choc de croissance » à amortir avec une grande rigueur dans la gestion fi nancière et structurelle. Les compétences de la CdC vont a minima doubler et la fiscalité du Conseil général être transférée sur les EPCI, avec probablement un principe de péréquation qui jouera en défaveur des territoires les plus favorisés, comme l’est l’île de Ré. Nous allons nous préparer à ce « big band ». Si le mariage en soi n’est pas inquiétant, on ne sait pas ce qu’il y aura dans le contrat de mariage, quelles seront les clauses de compétences.
Il y aura à l’échéance 2017-2020 de grosses Régions et de grosses CdC/CdA, qui seront leurs interlocutrices.
Pour ce qui concerne la Communauté de Communes de l’île de Ré, même si François Hollande a annoncé un seuil de principe de 20 000 habitants, il s’agit plus d’une indication sur le poids des EPCI. Pour l’île de Ré, même si nous représentons aujourd’hui 18 400 habitants, de nombreux arguments plaident pour la préservation d’une CdC insulaire : notre structure financière, avec un budget de 70 millions d’€ nous pesons nettement plus lourd que certaines collectivités de 50 000 habitants qui gèrent un budget de l’ordre de 50 million d’€. Notre spécificité insulaire constitue un autre argument, sans oublier qu’à raison d’une croissance de + 200 à 300 habitants permanents par an nous devrions être proches du seuil d’ici l’échéance. Par ailleurs, notre « autonomie politique » et notre coloration à droite font que je ne crois pas que la CdA de La Rochelle ait très envie de nous « absorber » au risque de bouleverser ses équilibres politiques assez fragiles. Ou alors, notre entrée serait « musclée » ! En outre, la gestion de nos deux territoires est très différente, aux plans historique, administratif et politique, nos deux bassins de vie sont très autonomes. Enfin, nous prenons des contacts avec nos nouveaux amis, de tous bords politiques et l’île de Ré a un sérieux réseau relationnel. Le débat sur la pérennité de la CdC rétaise est donc terminé !
Quel regard portez-vous sur la situation politique et économique de la France et le travail gouvernemental ?
La France est malade de son État et de son hyper concentration. Ce qui fonctionne en France, ce sont bien les collectivités qui assurent 70 % des investissements et savent gérer leurs budgets. La décentralisation, grande réforme faite par la gauche n’est pas le sujet. On a besoin d’une déconcentration de l’État et non d’une décentralisation. Au lieu de positionner l’État sur ses compétences fortes et régaliennes, il s’est décentralisé avec les clauses de compétences et n’a plus de réalité d’action. La France n’est pas malade de ses gouvernements mais de sa structure, de son corps pléthorique de fonctionnaires, de ses lois, normes, contraintes qui vont au-delà de l’entendement. Sa déconcentration est très insuffi – sante. Quel sera l’intérêt de maintenir des départements ? Qui veut encore investir en France ? Les rouages du Pays sont bloqués. Alors que les collectivités territoriales représentent une part infi me des budgets publics, les Français passent 95% de leur temps dans des structures gérées par elles : crèches, écoles, transports, cantines, vie culturelle, sportive, patrimoniale, etc. L’État est décrédibilisé à son plus haut niveau.
Quels vont être les grands projets de la CdC de l’île de Ré dans les mois à venir ?
Outre donc l’instruction des permis de construire que nous récupérons au 1er octobre 2014, le déblocage de l’État dans le cadre de la révision du PPRL va nous permettre de relancer les trois projets de logements sociaux en suspens à Saint-Clément, La Couarde et aux Portes, sans oublier La Maladrerie à La Flotte puis le projet de Sainte-Marie. Les projets de logements de Saint-Martin, Le Bois et Loix sont en cours de livraison. Le permis de construire de La Maline va pouvoir aussi être débloqué.
Nous recrutons un Directeur tourisme et économie pour la rentrée, qui aura la mission de préparer le territoire pour 2016 puisque nous allons de facto prendre la compétence Tourisme d’ici là. L’Acte 3 de Décentralisation étant entériné, le décret d’application qui en défi nira les modalités statutaires, financières et techniques ne devrait plus tarder. Les personnels d’île de Ré Tourisme et les 30 personnes des Offi ces de tourisme seront intégrés dans la nouvelle structure. Gisèle Vergnon travaille à la préparation de cette structure qui sera prête pour fi n 2015.
En matière économique, le déblocage du PPRL va permettre d’envisager une politique de réserve foncière pour la mise en place de structures communes, comme un incubateur, des bâtiments artisanaux, des stratégies de développement économique avec des choix fonciers pris en coopération avec l’ensemble des acteurs économiques.
Il va aussi falloir mettre en place des logements pour les saisonniers.
De manière générale, nous devons mutualiser tout ce qui est possible, pour nous doter de plus de moyens et soulager les communes qui ne peuvent financièrement supporter plus de charges.
Quels sont les autres enjeux pour l’île de Ré ?
J’ai informé la Ministre de l’Écologie que je suis prêt à m’impliquer très fortement dans la mise en place du Parc Naturel Marin, l’île de Ré étant très favorable pour trouver cet équilibre marin. Pour nous autres insulaires, si nous gérons bien la partie terre avec une politique environnementale ambitieuse, nous souhaiterions être plus impliqués dans la gestion de la partie mer. Actuellement hormis les éco-gardes sur l’estran, nous n’avons aucun droit de regard alors que nous représentons un système nourricier très important pour tous les professionnels de la mer, si tant est qu’on le laisse au préalable se développer en le préservant.
Pour ce qui concerne le développement du Grand Port Maritime de La Rochelle, nous souhaitons être associés aux réflexions de la CdA de La Rochelle pour trouver un point d’équilibre et favoriser des activités à plus forte valeur ajoutée et non impactantes au plan environnemental pour notre territoire. Sur ce sujet et d’autres, tel l’inter SCoT, les transports, etc., j’ai prévu de rencontrer très prochainement Jean- François Fountaine, même si nos deux territoires sont tellement différents que leur gestion doit rester spécifique.
Retrouvez toute l’actualité du PPRL et de l’île de Ré sur www.realahune.fr
Voir l’article consacré aux défis liés à la protection de l’île de Ré et à l’abandon de la méthode forfaitaire
Lire aussi
-
Politique
Signalétique des voies cyclables, où en est-on ?
On en entend parler depuis un moment mais la situation a-t-elle changé ?
-
Politique
Département : « Tout ce qui a été voté sera fait »
Alors que la dernière séance pleinière du Conseil départemental a confirmé l’état très préoccupant des finances du Département de la Charente-Maritime, les conseillers départementaux de l’île de Ré ont tenté de rassurer, relativisant quelque peu le discours de la présidente.
-
Politique
Séance municipale animée au Bois-Plage
La pugnacité des débats n’est pas chose extraordinaire au Bois-Plage, mais il aura fallu quand même près de trois heures pour mener à terme l’ordre du jour du 25 septembre.
Je souhaite réagir à cet article