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Vingt siècles d’épidémies sur Ré
Propagées par les guerres de conquête, les épidémies, rançons de la gloire, ont décimé les populations, s’attaquant indifféremment aux riches et aux pauvres, jusqu’au début du XXe siècle. L’île de Ré n’a pas échappé à ces pandémies même s’il n’y en a pas trace dans les archives avant le XVIe siècle.
L’absence de documents rend difficile la recherche dans les archives de l’état-civil, les registres paroissiaux ou mémoriaux rétais, à propos des épidémies spécifiques à l’île et aux événements qui les provoquèrent avant le XVIe siècle. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y en pas eu. La situation insulaire de Ré ouverte sur le large et l’étranger accentue les risques d’introduction de di verses infections. Les épidémies, ramenées dans les bagages des soldats et marins en même temps que leurs trophées frappèrent tout au long du Moyen-Age. Le XIVe se caractérise de plus par la présence de maladies contagieuses que l’on ne sait pas soigner et qui entrainent une mortalité importante dans leur sillage : typhus, variole, rougeole, lèpre… Cette dernière sévira sous forme endémique durant tout le Moyen-Age. Les malades étaient généralement parqués dans des maladreries. A Ré, on en retrouve la trace dans trois lieux-dits : Sainte- Marie, La Flotte et Saint-Martin, portant le toponyme « maladrerie », soit en parler local « maladrie ». On ne sait pas grand-chose de ces maladreries, installées à distance respectable du village, comprenant des dortoirs et une chapelle et où les malades pouvaient séjourner jusqu’à plusieurs années.
La peste est l’autre grande frayeur du Moyen-Age. Elle est mentionnée à plusieurs reprises au cours du XIVe siècle au plan national, mais aucune de ces épidémies n’atteindra l’ampleur de la peste noire qui sévit dans notre région en 1348 et toucha l’île. Originaire d’Asie, elle est ramenée par les navires génois en provenance de Crimée qui la transmettent dans tous les ports où ils font escale !
Le journal de Nicolas Herpin, notaire
L’information reste toujours quasi inexistante sous l’Ancien Régime. Il faut attendre la fin du XVIe siècle pour trouver des descriptions des épidémies de « pestilencies » qui frappent Ré dans le très intéressant mémorial de Nicolas Herpin. Bien que notaire des seigneureries d’Ars, de Loix et des Portes, Herpin est installé à Saint-Martin, centre administratif et militaire où se traite également la plus grande partie de l’activité commerciale. Son journal ou diaire, couvre une durée de vingt-trois ans (1581-1604) et fait référence à cinq périodes durant lesquelles la peste s’est répandue dans l’île.
1583 : année terrible où l’épidémie partie de La Flotte se répandra dans toute l’île. La pestilence durera près d’un an, entrainant la mort de 4 000 personnes soit entre le tiers et la moitié de la population de l’époque. Ce fléau intervient à la suite de l’épidémie qui avait eu lieu à La Rochelle en 1582. En revanche, Ré semble avoir été épargnée par celles de 1585 qui ravagea La Rochelle et de 1588 qui ne dura que peu de temps. Ni colas Herpi n indique qu’en 1597 une épidémie frappe l’armée navale espagnole et que les relations avec ces ennemis du royaume font craindre que la contagion ne se répande : « On a eu grand peur et crainte en cette île de Ré et en beaucoup d’autres endroits du royaume. »(1) En 1603, le notaire rapporte que la mortalité par maladie contagieuse a été si considérable que plusieurs morts pouvaient faire l’objet d’un seul acte de décès. Il raconte aussi que le fléau a ravagé Niort et ses environs et cite un certain nombre de citoyens rétais décédés à cette occasion dont le pasteur de Saint-Martin.
Ré aux XVIIe et XVIIIe siècles : un état sanitaire déplorable
Les registres paroissiaux étant tenus régulièrement dans l’île aux XVIIe et XVIIIe siècles, on mesure mieux l’impact des épidémies sur la population. Les habitants sont terrorisés par le déferlement de ces dernières. Des familles entières disparaissent ainsi que leurs patronymes et l’économie subit le contrecoup de ces disparitions. Après les combats de 1621, 1622 et 1625, les soldats du roi logent chez l’habitant. Les conditions d’hygiène sont telles que les épidémies ne tardent pas à apparaître. Faute de document, on apprécie mal les conséquences sur l’île de la terrible épidémie de 1628 à 1632 qui désole l’Europe entière.
Si le XVIIIe ne connaît pas les graves crises du siècle précédent, Pierre Tardy signale néanmoins plusieurs épidémies meurtrières : 1741-1742, 1760, 1768, 1777, 1779, 1781 et 1783. Les registres paroissiaux montrent des hausses brutales du nombre de décès et l’impact économique est dramatique : cessation provisoire de certaines activités, réseaux commerciaux désorganisés, maisons qui restent vides… L’état sanitaire de l’île est très mauvais et les conditions de vie des Rétais difficiles.
XIXe siècle : l’arrivée du « Grand Choléra » dans l’île
Sous l’Empire ces conditions de vie vont s’aggraver en raison du blocus instauré par les Anglais et de la présence accrue des corsaires dans les environs de Ré. En 1811, 12 000 conscrits réfractaires sont assignés dans l’île. C’est énorme et les maladies contagieuses qu’ils amènent vont les décimer ainsi qu’une partie de la population qui passe de 17 685 en 1790 à 15 762 en 1812. Les épidémies liées à l’état de guerre et aux désastreuses conditions d’hygiène ressurgissent en 1809 et 1811. La paix retrouvée après le départ de Napoléon 1er, en 1815, permet au grand commerce maritime de redémarrer et la reprise démographique se fait assez rapidement, Ré atteignant son apogée démographique en 1830-31.
Le XIXe connaît les derniers grands pics de mortalité et en particulier une épidémie de choléra venue de Nantes et que les Rétais nomment « Grand Choléra ». Elle éclate au début du mois d’août 1834, touchant d’abord La Flotte et Saint-Martin avant de s’étendre à La Couarde et au Bois, puis au reste de l’île. En trois mois, elle fera périr 976 personnes. « L’île de Ré a proportionnellement payé le plus lourd tribut à l’échelle du département… certains historiens pensent que le nombre total de victimes a été sousestimé par l’administration et qu’il serait d’au moins 1 300. » (2) La deuxième épidémie de choléra de 1849 ne touche pas l’île, alors que la troisième et dernière épidémie de septembre 1854 l’impactera. Elle sera, cependant, moins meurtrière que celle de 1834, à l’inverse de ce qui se passera au plan national.
Un XXe siècle plus clément
Au XXe siècle, les petites épidémies du type scarlatine, variole disparaissent sur l’île grâce aux progrès de la médecine. Les conditions sanitaires s’améliorent et l’on constate que la « grippe espagnole » qui a tué 170 000 personnes en France et dévasté l’Europe en 1918-1919, a épargné l’île.
Un siècle plus tard, l’Homme est surpris d’être confronté à une nouvelle pandémie. Pourtant l’extrême croissance de la population humaine a entrainé des modifications sur les écosystèmes et mis l’Homme au contact de micro-organismes qu’il ne rencontrait pas auparavant et qui cherchent eux aussi à se multiplier. « Tant que la biodiversité continuera de s’éteindre, ce genre d’épidémies se reproduira. Il faut se saisir de cette crise, comme l’explique Serge Morand, pour s’attaquer aux causes et non pas traiter les conséquences. »
(3) 1 – Communication de Jacques Boucard « La vie quotidienne sur Ré à la fin du XVIe siècle au travers du journal de Nicolas Herpin – Archives historiques de La Saintonge et de l’Aunis – En quêtes, Procès-verbaux et Contrats (XVe-XVIIIe siècles) – 2017.
2 – Communication de Jacques Boucard « Les épidémies sur Ré, du Moyen-Âge au XIXe siècle qui devrait faire l’objet d’une publication de la part du PAH de la Communauté de communes de l’île de Ré en temps voulu.
3 – La prochaine peste. Une histoire des maladies infectieuses – Serge Morand – Fayard – 2016.
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