Vieillir oui, mais comment ?
« Mourir cela n’est rien, mourir la belle affaire mais vieillir ô vieillir… », chantait Jacques Brel. Derrière ces paroles, avec lesquelles on est d’accord ou pas, existe une réalité humaine, sociale et sociétale.
Les chiffres s’affolent sur la moyenne d’âge de la population française dans un horizon pas si lointain. Fondamental sujet que celui du vieillissement et ses corollaires, raison d’être de cette 3ème rencontre des acteurs sociaux insulaires, qui les a menés à Saint-Clément le vendredi 2 juin pour une opportunité de réflexion collective animée par Brice Samson, en présence d’élus et CCAS, professionnels médicaux, associations et intervenants sociaux. Retour sur une journée lucide.
Besoins exponentiels pour cause nationale
C’est par ces mots que le Président de la CdC Lionel Quillet ouvre la rencontre. Les besoins sont ceux liés à la perte d’autonomie venant tôt ou tard avec le grand âge, ouvrant sur les questions du maintien à domicile et des EHPAD, de l’assistance, des soins, de l’accompagnement… Ils s’étendent comme une toile d’araignée sur d’autres thématiques tels logement, hôpital, problèmes de personnel, vie quotidienne, difficultés sociales, familiales…
Et si la cause est nationale, c’est d’évidence en raison du vieillissement inéluctable de la population. Au 1er janvier 2023, 21,3 % de la population française est âgée de 65 ans et plus. Ce sera 28% en 2040 et en 2070, avec une population estimée de 76,5 millions d’habitants, les plus de 85 ans seront 4 fois plus nombreux. Comme nous l’explique le sociologue Dimitri Dubien, ces phénomènes sont accentués par la baisse de la natalité et l’allongement de l’espérance de vie.
Comment accompagner les Rétais ?
La France vieillit et sur l’Ile de Ré et sa population réduite, c’est notable. « Mille Rétais déjà ont besoin d’une assistance importante », souligne Lionel Quillet. « On va manquer de bénévoles, d’aides par rapport aux besoins, on va avoir un problème pour faire face », affirme-t-il pragmatique. Rappelant que les compétences idoines sont aujourd’hui aux Communes et au Département et que la création d’un CIAS*, proposé notamment par le Comité Consultatif Citoyen, a été rejetée par les Communes, le Président de la CdC interroge : « Se met-on tous ensemble ou pas pour avoir des projets sur les communes ? Si on essaye de mutualiser que fait-on ? » Selon lui, « il faut une orientation et une vision et l’aide sociale a aujourd’hui besoin d’une structure ». « Je peux créer de la structure mais pas des personnes », explique-t-il en référence aux problèmes de recrutement qui nous ramènent comme toujours à la question du logement. Réfléchir, échanger… c’est là tout « l’intérêt de cette journée et je remercie Brice Samson de l’avoir organisé » conclut-il.
Parler de l’invisible
« Parler des personnes âgées isolées c’est finalement parler de l’invisible », exprime Brice Samson avec beaucoup d’empathie. « Des études ont été faites, l’Ile de Ré cumule des facteurs d’isolement social », poursuit-il, évoquant les caractéristiques du territoire : personnes déjà âgées, migration de jeunes retraités qui vieilliront et dont les enfants, la famille sont souvent loin, déséquilibre géographique entre Sud et Nord. Mais place à la première table ronde.
Vieillissement et perte d’autonomie
Pour en parler, le sociologue Dimitri Debien déjà cité, le Docteur Marion Charenton, gériatre intervenante à l’hôpital de Saint-Martin et Lucie Pauvert, psychologue et ancienne intervenante à l’hôpital insulaire et à la maison de retraite Korian à Ars.
« Le vieillissement est un phénomène complexe fait de limitations diverses, motrices et cognitives. Il y a des choses que l’on voit et d’autres moins. Il faut distinguer vieillissement en bonne santé et vieillissement pathologique », explique le Docteur Marion Charenton.
« La perte d’autonomie, c’est la difficulté à effectuer les tâches de la vie quotidienne en indépendance », résume-t-elle, ajoutant que l’âge d’entrée en dépendance recule mais dure plus longtemps. Praticienne à l’hôpital, les personnes qu’elle voit arriver sont « déjà dans des pathologies chroniques sur une moyenne d’âge de 86 à 90 ans », poursuit-elle avant d’insister sur l’importance de la prévention. « Un bilan global est souhaitable pour mettre en face des propositions, sachant que la mise en place d’une aide à domicile nécessite un soutien psychologique car très intrusif », conclut-elle.
Une des grandes étapes de la vie
Pour la psychologue Lucie Pauvert, « le vieillissement est à la fois universel et singulier, une période de grands changements et nous n’avons pas tous les mêmes armes pour y faire face ». « Le regard des autres et de la société est très pesant, l’image négative du vieillissement très violente », expliquet- elle, ajoutant que le déni est une protection car « il faut mobiliser des ressources pour faire face et certaines blessures psychologiques peuvent ressortir de manière consciente ou non ». Pour les aidants, enfants, conjoints, cela ne va pas forcément de soi non plus, « il y a un risque d’épuisement et le bénéfice des aides est aussi pour eux », estime-t-elle.
Témoignages et vécus du quotidien Enrichie d’un témoignage audio, la seconde table ronde réunit Geneviève Teruin et Didier Poussin, co-présidents de l’ADMR de l’île de Ré, Claire Blanchard, coordinatrice de parcours DAC et Laurence Regreny, Présidente de l’association « Famille au coeur », fondée à la maison de retraite d’Ars, mais aussi aidante.
« Il faut en parler, ça ne fait pas mourir…» Le témoignage de Marie- France, victime de chutes récidivantes, est à la fois émouvant et révélateur de la souffrance mentale touchant les personnes confrontées à la perte de leur autonomie.
Intervenant souvent dans l’urgence après une hospitalisation, Didier Poussin évoque le quotidien de l’ADMR Ile de Ré, la quasi impossibilité d’intervenir sur le Nord de l’île, la collaboration parfois compliquée avec d’autres intervenants, le manque de temps pour un vrai soutien psychologique, les difficultés du métier d’aide à domicile, confrontée parfois à la mort, très souvent à la souffrance, le manque de moyens alors que les besoins montent en puissance.
De son côté, Claire Blanchard intervient en appui aux acteurs du territoire. Médecins, personnels médicaux, sociaux mais aussi simples usagers peuvent solliciter la DAC. Très active dans le dossier de Marie- France, elle évoque la « difficile balance entre respect du libre-arbitre de la personne et la responsabilité des élus, des professionnels et de la famille ». Quant à Laurence Regreny, elle évoque son vécu d’aidante auprès de sa belle-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Il faut créer des interactions sur l’Île de Ré », estime-t-elle.
La matinée s’achève. Elle sera suivie d’un après-midi d’ateliers participatifs présentant des services existants, ceux de l’ADMR ou encore de Ré-Clé-Ré avec Séniors & Mouvement, mais aussi un simulateur de vieillissement et la présentation d’ICOPE, application issue d’un programme de l’OMS, ayant pour objectif de retarder la dépendance par une prévention dès 60 ans.
Difficile de conclure sur un sujet qui n’en est visiblement qu’à ses premiers chapitres. Ce qui est sûr c’est que le vieillissement n’épargne personne. Et que sans doute, comme on apprend à devenir adulte, on doit apprendre à vieillir… enfin faire ce qu’on peut pour ça car qui, au fond, peut regarder le vieillissement sans crainte et droit dans les yeux ?
*CIAS – Comité Intercommunal d’Action Sociale /DAC – Dispositif d’Appui et de Coordination /OMS – Organisation Mondiale de la Santé
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