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Une vie auprès des phares
Dans la famille d’Arlette Courraud la vocation de gardien de phare se transmet de génération en génération. Son grand-oncle, son oncle et son mari, Paul Courraud ont tous trois exercé cette profession aujourd’hui disparue. Elle-même a été gardienne-auxiliaire durant de nombreuses années.
Arlette Courraud, née à La Rochelle en 1941 mais Rétaise dans l’âme, a conservé précieusement dans une petite pochette en carton des souvenirs de ce passé : photos d’époque, dessins, coupures de presse ; autant de témoignages d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître… Les yeux vifs et le sourire aux lèvres, Arlette revient sur ses souvenirs d’une profession qui fascine encore beaucoup de gens.
De l’Algérie à l’Océan Atlantique
De retour de la guerre d’Algérie, Paul Courraud exerce quelque temps comme tonnelier sur l’île de Ré. Un poste de gardien de phare se libère ; informé par son oncle, il postule. La solitude ne lui fait pas peur et la sécurité de l’emploi, après les temps troublés vécus loin de chez lui, constitue un argument non négligeable. Paul commence donc une carrière comme auxiliaire et entraîne Arlette avec lui auprès des phares de Saint-Nazaire.
Si le métier lui plaît, il n’est pas facile, et la vie austère : espace de vie réduit, confort sommaire, isolement, proximité forcée (les gardiens sont toujours par deux dans un phare !)… Et l’ennui parfois… Chacun s’occupe comme il peut pendant ses temps libres : Paul construit des petits bateaux en bois qu’il met en bouteilles, d’autres font du canevas, tissent des filets de pêche, lisent…
Deux ans plus tard, en 1968, il intègre l’école des gardiens de phares à Saint-Clément-des- Baleines. Après six mois de formation il obtient son diplôme de « gardien en chef » et se voit attribuer une place au phare des Barges.
Le Phare des barges, souvenirs du mois le plus long
Le phare des Barges est situé à l’ouest du port des Sables d’Olonne à 2 km des côtes. Construit de 1857 à 1861 sur le plateau rocheux des Barges qui constitue un grand danger pour la navigation côtière, ce n’est pas un phare facile… La loterie n’a pas été douce avec Paul Courraud pour sa première affectation !
Si chaque gardien a son histoire à raconter c’est ici certainement que Paul Courraud a vécu la sienne. En 1970, lui et son comparse se sont retrouvés coincés par le mauvais temps 47 jours, soit 17 de plus que le temps réglementaire (Le temps passé dans un phare par les gardiens avant la relève était en effet limité à un mois avec quinze jours à terre puis vingt jours avec dix jours à terre) !…
Depuis la cote Arlette est restée dix jours sans voir le phare perdu dans la brume. La tempête était telle que les vagues passaient au-dessus du phare dont la taille atteint pourtant les 30 mètres… On imagine le fracas assourdissant des vagues se brisant sur le phare, le poids de la solitude pour les deux hommes entourés par la mer déchaînée, les vivres prévus pour un mois à rationner et l’attente pesante d’une relève qui tarde à venir…
Impossible de récupérer les deux hommes en bateau. C’est donc un hélicoptère qui, après 47 jours, vint les chercher.
Dans une archive d’un journal local vendéen du 10/02/1970, conservée précieusement par Arlette, les impressions recueillies auprès du pilote par le journaliste d’époque en disent long sur la dangerosité de l’opération : « Ce ne fut pas une promenade, il fallait mesurer de l’oeil chaque centimètre, se présenter contre le vent heureusement d‘ouest. En réalité il me restait un mouchoir pour me poser, en dehors duquel j’aurais été victime d’un choc ou d’une fausse manoeuvre. Le vent était assez fort ; la mer houleuse et je ne pense pas qu’un bateau ait pu aborder le phare ».
Des phares de mer aux phares de terre ou de l’enfer au paradis !
En Mai 71, le couple quitte le phare des Barges : Paul est affecté au phare de Dunkerque. Il n’est pas malheureux de quitter la pleine mer et l’isolement pour un phare de terre… Comme on dit dans le métier : « Phare en mer c’est l’enfer, phare à terre c’est le paradis » !
C’est également à cette époque qu’Arlette devient auxiliaire de gardien de phare. Elle le restera jusqu’en 1986. Arlette assiste ainsi son mari et le remplace si nécessaire. La priorité est de veiller à ce que les feux du phare soient bien allumés et visibles pour les bateaux. Et ce n’est pas de tout repos : 285 marches à monter et descendre, plusieurs fois par jours et souvent en pleine nuit. La sirène est directement reliée à la chambre de Paul et Arlette et se déclenche dès que les feux s’éteignent.
Il s’agit également pour Arlette d’assurer le service et la sécurité liés aux visites du phare, ouvert au public comme beaucoup d’autres.
Le couple s’installera finalement au phare des Baleines, réputé comme l’un des plus agréables de la profession. Mais petit à petit avec l’avancée des technologies et l’arrivée des nouveaux combustibles ou sources d’énergies comme l’électricité, l’automatisation progresse et les taches attribuées aux gardiens diminuent jusqu’à disparaître complètement. Paul et Arlette assistent à la fin de cette profession qui a rythmé une large partie de leur existence.
Le phare de Cordouan est ainsi le dernier phare français à avoir abrité deux de ces veilleurs d’océan qui rendirent les clefs le 29 juin 2012 après 35 ans de bons et loyaux services. Certainement beaucoup d’histoires et d’enseignements restent encore à découvrir auprès de ces hommes et femmes aujourd’hui gardiens des secrets d’un métier noble et hors du commun…
Margaux Segré
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