- Environnement & Patrimoine
- Lettre ouverte N°5 du Collectif NEMO
Vers la destruction d’une zone côtière et marine reconnue unique en europe ?

Après les lettres ouvertes du collectif NEMO : N° 1, informant nos lecteurs du projet d’une « grappe » de parcs éoliens offshore qui s’étaleraient le long de côtes oléronaises, rétaises et vendéennes, jusqu’aux Sables d’Olonne ; N° 2, expliquant en quoi consiste un parc éolien ; N° 3 présentant les phases de construction, d’exploitation, puis de démantèlement des éoliennes ; N° 4 mettant en évidence « les manipulations de l’Etat » tout au long de l’évolu tion de ce projet, puis l’interview du Professeur Laurent Bordereaux sur les enjeux juridiques du parc éolien off-shore, nous publions cette lettre NEMO N° 5. Le collectif NEMO précise qu’il n’est pas opposé par principe aux énergies éoliennes, mais à condition que les projets ne soient pas situés en pleines zone Natura 2000 et aires marines protégées.
Du sud Vendée (85) au sud de l’estuaire de la Gironde (33), les espaces marins côtiers et terrestres, qui sont liés, concentrent de telles richesses naturelles (écosystèmes et biodiversité) qu’ils ont fait l’objet de reconnaissances et de protections nationales et internationales.
1) QUI A TRIPLEMENT RECONNU COMME EXCEPTIONNELS ET UNIQUES EN EUROPE CES ESPACES COTIERS ET MARINS ? L’ÉTAT FRANÇAIS ET L’EUROPE
Ce sont la France et l’Europe qui ont distingué ces lieux extraordinaires. Après de longues études documentées principalement par les équipes du Museum National d’Histoires Naturelles de Paris et des scientifiques nationaux ou Européens de différentes instances comme Bird Life International, Fondation créée en 1922 dont le représentant en France est la LPO.
1. Première reconnaissance française et européenne – 7 Réserves Naturelles Nationales :
7 Réserves Naturelles Nationales ont d’abord été créées successivement par l’Etat français depuis 1976 jusqu’en 2011 :
• Marais de Saint -Denis du Payré (85) en 1976
• Lilleau des Niges (17, ile de Ré) en 1980
• Marais d’Yves (17) en 1981, extension marine à venir.
• Moeze-Oléron (17, ile d’Oléron) en 1985,
• Baie de l’Aiguillon (85) en 1996
• Baie de l’Aiguillon (17) en 1999
• Casse de la Belle Henriette (85) en 2011.
Et en projet : Baie de Bonne Anse (17).

2. Deuxième reconnaissance française et européenne : les zones natura 2000
Puis en 2009 est créé le zonage Natura 2000 (voir carte 2) qui couvre, seul cas en Europe, tout le littoral et jusqu’à 110 km en mer pour la zone de protection spéciale (Directive Oiseaux) ou jusqu’à une profondeur de 50 mètres pour la zone spéciale de conservation Habitats Faune-Flore. Dans cette zone la France s’engage vis à vis de l’Europe (patrimoine naturel d’une importance européenne), à conserver le bon état écologique, à l’améliorer, en aucun cas à le détériorer. Il s’agit d’une obligation contractuelle de résultat au titre des Directives Oiseaux et Habitats Faune Flore qui reconnaissent et protègent les espèces animales et végétales ainsi que leurs lieux de vie. Sur la carte ci-dessous on voit clairement que les parcs éoliens seraient positionnés au coeur de la zone Natura 2000 côtière la plus importante de France.

3. Troisième reconnaissance française et européenne : un parc naturel marin
Enfin pour couronner ces lieux uniques, le Parc Naturel Marin de l’estuaire de la Gironde et des pertuis charentais (99,47 % en zone Natura 2000) est créé par la France en 2015 après plus de 10 ans d’études et de travaux pour rassembler tous les acteurs de la zone dans un Conseil de Gestion, conseil que l’Etat n’a pas réuni depuis plus de 18 mois. Notons que la majorité des activités humaines économiques et touristiques exercées dans ce Parc Naturel Marin sont étroitement liées aux richesses naturelles et au bon état écologique de cette zone. Dont la pêche (côtière, au large), la conchyliculture, (huîtres, moules, mollusques divers), le tourisme, activités auxquelles une lettre prochaine de NEMO sera consacrée.
Et c’est justement là que les Ministres de la Mer et de la Transition Écologiques et les services de l’Etat veulent implanter un gigantesque champ éolien industriel marin, une grappe de plusieurs parcs éoliens, un chantier permanent de bouleversement des fonds marins, de pollutions et nuisances diverses, des destructions de la faune et de la flore !

2) POURQUOI CETTE ZONE COTIERE ET MARINE EST-ELLE ECOLOGIQUEMENT SI RICHE ?
Examinons les raisons de cette triple reconnaissance française et européenne. Plusieurs causes, géographiques, climatiques, géomorphologiques, physiques contribuent à la reconnaissance de cette zone écologique unique en Europe.
1 – Une position géographique médiane entre l’équateur et le pôle nord :
Dans le golfe de Gascogne autour du 45ème parallèle, cette situation médiane dans l’hémisphère nord permet la présence d’espèces animales ou végétales en limite de répartition nord ou sud. Effet de lisière bien connu qui explique les richesses faunistiques et floristiques du nord et du sud, qu’on trouve dans les écosystèmes marins comme terrestres.
2 – L’influence du plus grand estuaire d’europe occidentale, de 4 fleuves côtiers et d’un continuum de vastes marais littoraux :
L’estuaire de la Gironde formé par les cours de la Garonne et de la Dordogne, et son gigantesque panache qui distribue nutriments, eaux douces, et sédiments très loin dans l’océan et dans tous les pertuis charentais est complété par les apports de 4 fleuves côtiers, Charente, Sèvre Niortaise, Seudre et Lay. Les grands marais littoraux, marins et doux, les marais rétro-littoraux doux sauvés des cultures céréalières intensives participent par leurs apports aux fonctions nourricières des végétaux et animaux marins. Ils hébergent des nourriceries et lieux de vie et de migrations des poissons amphihalins comme les aloses, anguilles, lamproies, et les derniers esturgeons sauvages d’Europe… Ils sont des zones d’échanges essentiels avec les milieux marins. Quadrillés de canaux et chenaux d’eau douce, et d’accès contrôlés à la mer, ils sont écologiquement très importants pour les écosystèmes terrestres et marins.
3 – Des zones côtières à l’abri des îles, des vasières nourricières, la pente douce des fonds vers le large :
La mer des pertuis, avec ses bras de mer protégés par les îles d’Oléron et de Ré, offre des espaces côtiers abrités dans lesquels se réfugient de nombreuses espèces animales lors des tempêtes et des épisodes de fortes houles océaniques. Elle favorise aussi les zones d’atterrissements des sédiments apportés par les fleuves qui forment ces grandes vasières littorales aux productions animales et végétales exceptionnelles. En faisant la première zone de l’économie conchylicole européenne (huîtres et moules), ainsi que des étapes indispensables aux repos et nourritures des espèces d’oiseaux en migration. Ce sont également des zones de nourriceries de poissons, mollusques, crustacés …
Ce n’est qu’à une trentaine de km de la côte que les fonds atteignent – 50 m, une pente douce découverte pour partie par le jeu des marées (estrans vaseux, sableux, rocheux) autorise donc assez loin du trait de côte la pénétration de la lumière dans la colonne d’eau. Cela permet ainsi la photosynthèse pour les algues et plantes qui sont les habitats et nourritures d’une riche biodiversité.

4) Des voies majeures de migration, des zones de stationnement au large d’importance européenne pour les oiseaux marins :
Des millions d’oiseaux, de chauves-souris, d’insectes migrent chaque année du sud (l’Afrique) vers le nord (Islande, Sibérie, terres du Grand Nord) puis du nord vers le sud. Toutes les espèces d’oiseaux empruntent ces voies migratoires au-dessus des terres et ici des espaces marins.
Trois voies constituent ce qu’on appelle le fly way ou autoroute des oiseaux : une bande de 20 km entre le trait de côte de Charente Maritime et l’intérieur des terres, une bande entre la ligne des 12 miles nautiques et la côte ouest des iles d’Oléron et de Ré (là où serait installé le premier parc éolien industriel marin) et enfin une troisième bande à environ 30-40 miles nautiques pour une voie migratoire qui va passer en mer au large, au-dessus du plateau de Rochebonne. Sortant de ces tracés pour des étapes de repos et de nourritures, les oiseaux regagnent par des déplacements transversaux ouest-est et est-ouest les Réserves Naturelles Nationales et les zones des bras de mer entre les îles et le continent.
S’ajoute à ces voies de migration le plus grand stationnement européen d’oiseaux marins. Ce sont ainsi plusieurs centaines de milliers d’oiseaux qui fréquentent les eaux marines au large de nos côtes pendant la majeure partie de l’année puisqu’ils ne vont à terre pour se reproduire dans le nord que pendant 3 à 4 mois.
En découle une responsabilité européenne et internationale (car cela excède la UE), puisque la majeure partie des rares oiseaux européens de la famille des alcidés (macareux moines, guillemots, pingouins torda, Mergules), des Pétrels, Puffins, Fous de bassan, stationnent massivement dans ces lieux marins.
Reconnus et créés par la France, reconnus et créés par l’Europe, reconnus internationalement, ces lieux uniques sur la façade atlantique, ont donc fait l’objet sur le plan environnemental de 7 Réserves Nationales, de Zonages Natura 2000, d’un Parc Naturel Marin conformément aux Directives Européennes applicables par la France.
Ces reconnaissances reposant sur des réalités scientifiques, on ne comprend pas comment l’Etat français puisse proposer de détruire aujourd’hui les habitats et les espèces qu’il a décidé hier avec l’Europe, de protéger : les Ministres de la Mer et de la Transition Écologique, les services de l’État veulent y implanter un gigantesque champ éolien industriel marin, une grappe de plusieurs parcs éoliens, un chantier permanent de bouleversement des fonds marins, de pollutions et nuisances diverses, des destructions de la faune et de la flore !
Les lettres 2 et 3 de NEMO sont assez explicites sur ce qui se passe sur les fonds marins, dans la colonne d’eau, au-dessus de la surface de la mer, quand est installé un champ éolien industriel marin… Un écocide institutionnalisé inimaginable est en marche … dans le pire lieu d’implantation de la Côte Atlantique, au pire moment : celui de l’organisation en septembre 2021 en France du Congrès Mondial de la Biodiversité ! L’Etat a mis en place la doctrine ERC (Eviter-Réduire- Compenser) pour prendre en compte la préservation des zones naturelles importantes. Il devrait dans le cas présent décider d’éviter cette zone reconnue par l’Europe et la France et ne peut en aucun cas s’appuyer sur la Directive européenne Programmes dont l’objectif majeur est bien d’éviter les implantations d’activités à forte incidence dans les zones naturelles reconnues.
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