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Véronique Richez-Lerouge met les pieds dans le plateau !
L’auteur qui partage sa vie entre l’Île de Ré et Paris publie « Main basse sur les fromages AOP » : une enquête percutante.
Cela fait dix-sept ans que cette journaliste spécialisée milite pour la sauvegarde des produits laitiers respectueux du vivant et pour la défense des fromages de terroirs au lait cru. En 2001, elle crée l’Association « Fromages de Terroirs » qui est notamment à l’origine chaque année, au printemps de la Journée nationale du fromage.
En 2012, elle tambourine avec « France, ton fromage fout le camp ! » paru aux Editions Michel Lafon puis réitère en 2016 en lançant un pavé sur la place publique : « La Vache qui pleure », un essai riche en études scientifiques qui bat en brèche les idées reçues et démontre les bienfaits du lait cru.
Dans ce dernier ouvrage, Véronique Richez-Lerouge poursuit son combat contre la pasteurisation et enfonce le clou là où ça fait mal. Elle nous alerte cette fois sur le système des AOP/AOC : « Qu’il me soit permis de penser que le système des appellations pourrait revoir entièrement son modèle pour devenir le laboratoire d’un environnement réhabilité, renouant avec des paysages variés et vivants où la polyculture en colorerait les traits et enrichirait les sols, et enfin, où l’artisanat retrouverait un vrai sens. »
L’exception fromagère française en péril sous la pression des multinationales
Fleuron du patrimoine gastronomique français, le fromage reste l’incontournable de nos repas au point de nous hisser au rang des plus gros consommateurs de la planète. Spécialité la plus connue aux quatre coins du globe, on copie la fabrication du camembert jusqu’au Japon ou en Nouvelle-Zélande ! Sa version originale au lait cru bénéficie d’une appellation d’origine protégée, et pourtant, seules une PME indépendante, deux laiteries et deux fermiers le fabriquent encore en terre normande, là où il est né il y 250 ans.
Il y a tout lieu de croire à la lumière du livre de Véronique Richez- Lerouge que ces grands fromages français sous appellation voient les fabrications artisanales et fermières disparaître, avec leur typicité, laissant place à des produits de plus en plus standardisés. En cause : les multinationales alléchées par la vitrine flatteuse des appellations. Des géants laitiers (Lactalis, Savencia, Sodiaal, Eurial…) qui rachètent des marques aux noms évocateurs d’un terroir préservé, s’appropriant leur label et n’hésitant pas à s’accaparer le savoir-faire artisanal de maisons familiales parfois centenaires.
Dernier coup de colère à l’origine de ce livre : le rachat de Graindorge par Lactalis en juin 2016. Fondée en 1910 à Livarot par le grand-père de Thierry Graindorge qui l’a cédée, l’entreprise excellait dans la fabrication de quatre fromages normands réputés. C’était également l’un des derniers fabricants de camembert au lait cru AOP… La firme Lactalis (17 milliards d’euros de chiffre d’affaires) y est désormais seul maître du jeu ou presque, confortant une position hégémonique qui a lui permet de tenter de modifier le cahier des charges pour pasteuriser sous couvert de réglementation sanitaire. Alors même qu’on sait que les risques sanitaires des fromages au lait cru sont statistiquement infimes et qu’a contrario les bienfaits des ferments lactiques sont aujourd’hui avérés ! La multinationale est désormais présente dans vingt-deux fromages AOP, avec parfois des positions ultra dominantes, comme dans le livarot, le pont-l’évêque, le banon, le rocamadour… Le géant fromager Savencia n’est quant à lui pas en reste avec le maroilles et l’époisses. La coopérative Eurial est dominante sur les AOP caprines. Et Sodiaal, la coopérative milliardaire, exploite une douzaine de fromages AOP avec de fortes positions en Auvergne. Dans toutes ces grandes appellations, la diversité recule. Les fabrications fermières ou artisanales s’éteignent peu à peu.
« Il aura fallu à peine 50 ans pour déconstruire 1500 ans d’histoire fromagère qui a posé les bases de l’agriculture et de la gastronomie nationales » s’indigne Véronique Richez-Lerouge.
Dévoiement progressif du système AOP et perte de qualité gustative
Avec deux tiers des appellations d’origine protégée détenues par des multinationales sur 45 que compte le plateau de fromages français, la pasteurisation (autorisée dans la majorité des cahiers des charges) va bon train induisant une standardisation du goût dommageable pour le pays inventeur du système des AOC, censé protéger les fabrications et qui s’enorgueillit de proposer plus de mille variétés de fromages. Des cahiers des charges que Véronique Richez-Lerouge décortique depuis des années et qui ne cessent de s’assouplir pour satisfaire aux exigences de la grande distribution et réduire les coûts de production.
Au terme d’un tour de France au coeur des racines de notre terroir en Normandie, Franche-Comté, Béarn, Savoie, Aveyron, Auvergne, « Main basse sur les fromages AOP » apporte la démonstration que les labels AOC/AOP ne sont plus des signes de qualité.
Et pour étayer plus encore son propos tout en joignant l’utile à l’agréable, Véronique Richez-Lerouge organise régulièrement des dégustations comparatives de fromages rares. La dernière en date s’est déroulée au Grand Véfour, réputé pour la qualité de son immense plateau. Chez le chef Guy Martin qui soutient son combat depuis les débuts, elle a réuni chroniqueurs et professionnels. Tous ont pu constater après une notation à l’aveugle, les écarts de qualité au sein de mêmes variétés respectant le même cahier des charges. Le critique gastronomique et animateur de l’émission « On va déguster » sur France-Inter, François-Régis Gaudry allant même jusqu’à relever dans le cas du cantal une amertume désagréable pour l’un, preuve que les dérives sont possibles au sein même des AOP.
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