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Vent, marées et vimers sur l’île de Ré
Dans le cadre et en complément de son exposition « La Défense des côtes sur l’Ile de Ré du moyen-âge à nos jours », la Communauté de Communes de l’Ile de Ré proposait, les 26 et 27 février, un week-end d’animation dans ses locaux de Saint Martin.
Le 26 février, c’est Jacques Boucard, Docteur en histoire et spécialiste de celle de l’Ile de Ré, qui a donné une conférence passionnante « Vent, marées et vimers sur l’Ile de Ré », devant une audience d’une bonne centaine de personnes parmi lesquelles bon nombre d’habitants du Canton Nord de l’Ile… risque avéré oblige ! Ré à la Hune vous propose les grandes lignes de la conférence.
Les conditions qui font les submersions marines
Pour qu’il y ait submersion, plusieurs conditions doivent être réunies : une dépression atmosphérique qui conduit à l’élévation du niveau de la mer par diminution de la pression atmosphérique exercée sur l’eau, la marée haute conjuguée à un fort coefficient de marée et le déferlement de la houle. Tous ces éléments peuvent être associés, parfois, à d’autres facteurs locaux, ce qui est le cas dans nos Pertuis.
L’Ile de Ré a connu trois tempêtes exceptionnelles dans ces cent dernières années. Celle des 22-23 décembre 1935 qui était d’intensité comparable à celle du 27 décembre 1999 n’a pas causé de submersion car le coefficient n’était que de 43 et le gros de la dépression est passé lors de la marée basse ; elle a, toutefois, causé de gros dégâts à terre. Celle de décembre 1999, prénommée Martin, n’a causé qu’une légère submersion car la surcote s’est produite deux à trois heures avant la pleine mer. La tempête du 28 février 2010, Xynthia, était moins forte que celle de 1999 mais la surcote est survenue en phase avec la pleine mer d’une marée de coefficient 102. De plus, explique Jacques Boucard, l’Ile de Ré ne se situait pas sur la zone de déplacement de la dépression qui était née aux Canaries et qui se déplaçait vers le Nord Est mais sur la zone tangente, là précisément, où les vents sont les plus importants. L’effet de la tempête a aussi été accentué par la configuration géographique des pertuis ; en présence de caps, les trains de houle tendent à se modifier, créant des trains de houle croisées, ce qui accentue l’entrée de la mer dans les terres. Lors de l’épisode Xynthia, on a pu constater, un autre phénomène, celui de l’onde de tempête : sur le côté de la dépression, la mer s’élève de quelques centimètres, cela sur une grande largeur et une grande profondeur et quand la masse d’eau rencontre un obstacle, elle pénètre de façon importante ; c’est alors l’inondation dévastatrice. Ce phénomène se rencontre typiquement en zone tropicale, lors de cyclones ; or, c’est la première fois qu’il a été relevé dans nos contrées, sans qu’on puisse en conclure pour autant qu’il ne s’était jamais produit.
Les vimers à Ré dans l’histoire
Jacques Boucard se penche ensuite sur l’histoire de Ré, depuis le XIVème siècle, pour citer les principaux vimers qui sont rapportés dans les archives : – 10 août 1518 ; – 22 août 1537 : niveau du vimer cité 80 cm à 1m, soit plus haut que lors de Xynthia mais pas de référence au coefficient de marée ; – décembre 1601 : grosse tempête mais pas de référence à une quelconque submersion ; – 7 décembre 1682 ; – 9 décembre 1711 : « la mer vint jusqu’à trois toises de l’église » (des Portes) ; de gros dégâts sont constatés au point que l’intendant de la Généralité de La Rochelle demande une enquête économique et, non content d’un premier rapport, il se déplace en personne sur le terrain. Les travaux sur les digues seront confiés à l’ingénieur MASSE ; – 22 février 1788 ; – 23-27 février 1811 : quatre jours de tempête ; la mer vint au Gillieux ; – 24-25 février 1838 ; – 11 janvier 1924 ; – 2 mars 1935 ; – 19 novembre 1940 ; -16 février 1941 : l’occupant allemand autorise que la surveillance des câbles téléphoniques confiée aux rétais ne soit pas effectuée pour permettre à ceux-ci de réparer les dégâts.
Il existe cinquante-quatre mentions de submersion marine repérées dans les archives, soit environ onze par siècle. Différentes observations peuvent en être faites : c’est dans la deuxième moitié du XXème siècle qu’on a enregistré le moins de submersions. La grande majorité des phénomènes (86%) survient d’octobre à février et, pour ceux qui se situent en février, c’est entre le 20 et le 28 février qu’ils se produisent, sans qu’on puisse avancer à cela une explication. A l’exception des mois de mai et juillet, tous les mois ont enregistré des vimers.
Pourquoi les digues semblent-elles céder aussi facilement ?
Jacques Boucard rappelle qu’une étude de 2006 sur l’état des digues maçonnées, étude menée par mesure de la résistance piezoélectrique, avait mis en évidence que 85% des digues étaient qualifiées en « état médiocre », « mauvais » ou « inacceptable » ; dans la plupart des cas, l’intérieur des digues était en plus mauvais état que le parement.
Une donnée importante à avoir présente à l’esprit, également, est l’énergie considérable dégagée par la houle, lors d’une tempête : environ vingt tonnes par mètre carré lors d’une tempête normale et cinquante tonnes, dans le cas de Xynthia.
Il faut différencier les digues maçonnées qui font face à la mer et les levées en terre qui protègent les marais. Ces dernières sont plus fragiles, car érigées en bri (argile de mer) avec incrustation de pierres. Face à la mer, l’intérieur des digues était fait de matériaux ramassés sur la plage pour construire le merlon et la couverture était réalisée en bri incrusté de pierres.
Jacques Boucard cite une étude réalisée au Canada, après que l’effondrement d’une digue, le long du Saint Laurent ait fait de nombreuses victimes. Il est apparu que l’argile sèche utilisée, dite « argile sensible » au Canada, peut supporter deux à trois tonnes par mètre carré alors que si elle se trouve remaniée ou mouillée, elle ne peut pas supporter plus de quarante kilo : 2 à 3t/ m2 versus 0.040t/m2 ! Mouillée, l’argile perd ses propriétés de dureté et de résistance et peut même aller jusqu’à se liquéfier. C’est ce phénomène de fues ou fuyes que l’on retrouve en pied de nos digues, surtout les plus anciennes. A noter, cependant, que le bri résiste mieux aux infiltrations d’eau salée que d’eau douce.
En 1712, au Martray, l’ingénieur MASSE a imposé des constructions en pierres ajustées avec chaînages pour éviter les infiltrations. Ces édifices résistent bien jusqu’à ce que les pierres se décrochent, en l’absence d’entretien. C’est au XVIIIème siècle, aussi qu’on a planté des tamarins pour solidifier les digues, ce qui peut avoir son efficacité, à condition que ceux-ci aussi soient entretenus.
A partir du XIXème siècle, avec l’invention du Ciment Portland, on a pu construire des digues avec des profils différents ; ainsi, avec renvoi de vagues qui fait que, en éclatant la vague retourne à la mer, et que, si le calcul du renvoi est bien étudié, il casse la vague suivante. Dans la reconstruction actuelle du Boutillon, par exemple, les pieds de digues sont étudiés pour éviter les sapes.
Réapprendre la culture du risque : une nécessité
Jacques Boucard termine sa conférence en insistant sur la nécessité que nous avons de réapprendre la culture du risque. En effet, ces dernières décennies, avant Xynthia, la mémoire du risque de submersion s’était perdue avec la non survenance de submersion et l’arrivée de nouveaux habitants sur l’Ile, comme s’est perdue l’expertise terrain de l’Administration qui ne recrute plus en local. Toutefois, « La CDC de l’Ile de Ré et le Département de Charente-Maritime ont bien pris conscience de la nécessité des travaux de protection à la mer ; depuis Xynthia les mentalités ont changé. »
Jacques Boucard dit encore la nécessité, selon lui, de construire des pierres mémorielles, de façon à conserver le souvenir des évènements naturels exceptionnels qui sont survenus. Il cite, à ce propos, le repères de crues implanté à BEHUARD (49) et la stèle ancienne érigée à ANEYOSHI, au JAPON, suite à un tsunami, stèle qui rappelle de ne pas construire en-deça de sa limite. Et s’il mentionne le repère officiel créé pour Xynthia, une plaque de bronze de 8cm de diamètre, le plus souvent scellé au sol, il doute que celui-ci, dans le temps, reste bien visible. Jacques Boucard conclut son propos, en citant le Vénézuélien Salvano Briceno, directeur à Genève, de la Stratégie internationale de réduction des catastrophes des Nations unies : «L’aménagement du territoire et la politique de construction portent une responsabilité essentielle dans la fabrication des catastrophes. Elles ne sont pas naturelles. C’est l’action de l’homme qui transforme l’aléa naturel en désastre. »
C’est pour informer les habitants de l’île sur le risque lié aux submersions, entretenir le devoir de mémoire, montrer les travaux de protection réalisés et préparer à de nouveaux évènements inéluctables que la CDC a monté l’exposition accrochée dans ses locaux de Saint Martin. Le week-end d’animation visait à lui donner une plus large audience, encore, en touchant notamment les familles et pour cela, proposait une activité ludique, le dimanche.
Un quiz, le dimanche
Une centaine de personnes dont quelques familles, se sont succédées, ce 27 février, malgré la concurrence d’un temps froid et ensoleillé, et elles se sont, pour certaines, prêtées au jeu. De grandes cartes joliment illustrées et simulant les cases d’un jeu de l’oie étaient disposées au sol, dans la salle de l’exposition, ainsi qu’un dé en mousse et quatre pions pour permettre à quatre équipes de se mesurer. Chaque carte/ case porte le numéro d’une question dont la réponse peut être trouvée sur les panneaux de l’exposition. Par exemple : case n° 9 : « Qu’est-ce qu’un piqueur de digues ? » ; case n° 14 : « Quand a eu lieu la tempête Xynthia ? ». La règle du jeu : chaque équipe lance le dé et avance d’autant de cases que le dé l’indique. Le médiateur pose la question qui correspond à la case où est située l’équipe». Attention, certaines cases donnent des bonus : case N° 4 « La première digue de l’Ile de Ré est construite : Avance de 2 cases » ; d’autres sont des pénalités : case N° 8 : « Une tempête a causé de nombreux dégâts. Les réparations ne sont pas réalisées assez vite ! Recule d’une case ». Et, une fois qu’une équipe passe la case arrivée, il faut répondre à la question pour valider sa victoire.
Nous avons trouvé beaucoup de créativité et d’humour dans ce jeu et dans les illustrations réalisées par Hélène Gaudin, médiatrice du patrimoine à la CDC, de même que dans sa brochure destinée aux enfants « Il était une fois les digues ».
L’exposition est accrochée jusqu’à fin avril et des visites des scolaires sont prévues. Les visites guidées des chantiers en cours se poursuivent également.
Jocelyne Chrétien
Voir le quiz (jeu de l’oie) sur la défense des côtes de l’île de Ré
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