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Une vie de Casseron pendant la Grande Guerre
L’exposition « 14-18, mémoire d’un village rétais » fut l’occasion de redécouvrir le quotidien des habitants d’Ars-en-Ré pendant le conflit mondial, à travers les nombreuses correspondances entre les soldats et leurs familles.
A la veille de la guerre 14-18, le village d’Ars-en-Ré, à l’image de l’île, est un territoire agricole, comptant la saliculture ou la pêche parmi les activités principales. La mobilisation générale du 2 août 1914, veille de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, va bou- leverser le quotidien si paisible des Casserons. Dans l’avis municipal du 3 août 1914, le maire d’Ars-en-Ré Pierre Méjasson, déclare être « fier de l’atti- tude de ses concitoyens. Les hommes sont partis résolus. Les femmes se sont montrées toutes de vraies Françaises, ayant dans les rues, les visages fermes et calmes, gardant leurs larmes pour la maison ». Au recensement de 1911, il y a 11 948 habitants sur l’île, dont 1389 à Ars-en-Ré. Sur l’île de Ré, plus de 2400 hommes, soit 20% de la population, sont appelés sous les drapeaux. En quatre ans de conflit, à Ars-en-Ré, 363 hommes sont mobilisés, soit près de 28% de la population. La plupart sont mobilisés dès la première année de la guerre (273 Casserons), puis 31 (en 1915), 11 (en 1916), 25 (en 1917) puis 16 villageois en 1918. Le plus jeune a 18 ans, le plus âgé 59 ans. Dans un avis municipal, le maire de la commune rappelle aux mobilisés l’équipement à emporter : les vêtements militaires, deux chemises, un caleçon, deux mouchoirs, de bonnes chaussures et des vivres de réserve. L’armée ajoute une pelle, des couvertures, 12 biscuits, 4 sachets de soupe, 2 paquets de cartouches de 250 balles, 3 cartouchières, un fusil, une baïonnette. Le sac pèse environ 35 kilos.
Certains soldats partis au front ont réalisé gravures (sur des obus), dessins ou poèmes, à l’image du cahier d’Alexis le Port.
L’enfer des tranchées
Comme le rappelle l’exposition « 14-18, mémoire d’un village rétais » (1), la population imagine que la guerre sera brève « et que les hommes rentreront chez eux avant Noël ». Sur le front, l’Etat-major français reprend la doctrine de la guerre de 1870 : avances à marche forcée de l’infanterie quelle que soit l’intensité du feu ennemi, combats rapprochés, charges à la baïonnette face à une armée allemande équipée de mitraillettes. « Moi et mes camarades, nous sommes dans l’enfer, sous les balles et les obus », écrit Charles Victor (2). Le quotidien est marqué par les longues marches, le creusement des tranchées et des combats acharnés. « Depuis 5h du matin, jusqu’à 16h, ce n’est qu’un roulement ininterrompu. Toutes les batteries de la région sont en action. C’est un fracas indescriptible », écrit Marius (3). Très vite, on comprend à travers la correspondance entre les soldats casserons et leurs familles la réalité d’une guerre présentée initialement comme « fraîche et joyeuse ». « On vit comme des bêtes. On ne sait pas les 3/4 du temps le jour que l’on est », écrit Victor, un autre Casseron (4).
Dans cet enfer, les hommes fraternisent et cherchent à retrouver, sur le front, certains compatriotes originaires de la même île, voire du même village. « Tous les soirs, on se trouve, tous les Rétais ensemble, et on va boire un coup de vin », explique Victor. Pour tenter d’oublier ce quotidien inhumain, certains soldats deviennent poètes, caricaturistes, dessinateurs, graveurs. On découvre, entre autres, le cahier d’Alexis le Port, matelot sur le cuirassé Le Condorcet (1918-19), qui a illustré un carnet de 235 chansons.
juin de l’année suivante, cette même Victorine écrit : « Je serais bien contente de savoir un petit peu où tu te trouves, sans m’en dire trop car je sais que la consigne est sévère ». En effet, la censure est sévère et la plupart des courriers sont ouverts avant d’être remis aux familles. En plus des lettres, les familles envoient des colis composés de produits frais ou d’objets du quotidien. Dans l’Hexagone, près de 1,5 million de paquets transitent chaque jour entre le front et l’arrière !
La mobilisation des femmes
Le départ de ces hommes a des répercussions considérables sur la vie du village, les femmes devant assurer les travaux des champs et dans les marais salants. Mais le coup le plus dur à l’agriculture est porté par les réquisitions : un quart de la récolte de pommes de terre est confisqué, un tiers de celle du vin et la totalité de la production d’orge. Pour répondre aux besoins d’une armée hippomobile, les animaux sont également confisqués sur l’ensemble du territoire : le 30 juillet, en pleine période de travaux agricoles, chevaux et ânes sont réquisitionnés à Ars-en-Ré. Au moment où l’île manque de bras masculins, cela prive les gens restés sur place d’un outil de travail indispensable dans les champs et les marais salants, les bêtes servant au transport, aux semis et aux récoltes…
Comme dans tout l’Hexagone, l’activité économique de l’île est profondément affectée. Un chiffre témoigne de ce manque de main- d’œuvre : dès la première année du conflit, 42% des marins rétais avaient déjà été mobilisés. Au début de l’année 1917, tous les hommes restant sur l’île avaient plus de 40 ans ! Les femmes ont alors dû prendre le relais pour les travaux des champs et l’activité salicole, y compris pour les tâches les plus ingrates. Le travail des enfants (5) dans les champs, qui était déjà assez répandu à cette époque, devient de plus en plus fréquent. Victorine s’en fait l’écho dans une missive du 11 mai 1916 envoyée à son « homme » parti sur le front. « Nous avons été sulfater (Sic), mon père, Marcel et moi. Marcel porte la hotte comme un homme, la bonne volonté y est, c’est le principal ». Certaines n’hésitent pas, dans leurs correspondances, à demander des conseils à leurs maris partis au front. « Dis-moi ce qu’il faut que je fasse, toute seule, je ne pourrai fournir à tout », peut-on lire dans une lettre de juin 1915.
« Au sujet du vin rouge, a-t-il été soutiré ? Si cela n’a pas été fait, on le met en petits fûts, et si ce dernier n’est pas plein, buvez-le pour les chaleurs… » conseille le soldat Charles-Victor, le 2 juillet 1915. Durant les premiers mois du conflit, aucune permission n’est accordée : il faut attendre une décision du Maréchal Joffre pour une généralisation des permissions à l’été 1915. Quelques mois auparavant, les agriculteurs furent néanmoins autorisés à rentrer quelques jours chez eux en fonction du calendrier des cultures, ce qui permet aux familles de se retrouver… « Il y a des permissionnaires tous les jours. Mon tour viendra mais je ne sais pas au juste, car on ne prévient pas, on avertit une heure avant de partir », confirme Victor.
L’Association d’Information Arsaise a recensé, année par année, l’ensemble des morts casserons ainsi que le lieu de leur décès.
Transition économique
Dès le 4 août 1914, le maire avait fait appel à la solidarité de tous les habitants d’Ars, les invitant, « en l’absence de bras, à se prêter mutuellement assistance pour le battage, la rentrée de l’orge et le tirage du sel ou tout autre travail agricole. Les voisins de marais pourront s’entendre et se former en petites associations de bonnes volontés amicales ». Pour la première fois dans l’histoire rétaise, les femmes investissent un domaine exclusivement masculin : les dépôts de sel, où le brassage est très exigeant physiquement. La viticulture, secteur phare de l’économie du sud de l’île, est aussi touchée : des hectares de vignes sont abandonnés tout au long du conflit, surtout les moins productives. Globalement, les récoltes furent divisées par trois ou quatre, sans qu’il soit possible de déterminer la part due au conflit (et au manque de bras) et celle liée aux aléas climatiques. Pour relativiser ces chiffres, on peut dire que la première Guerre mondiale n’a fait qu’accélérer un processus déjà en œuvre depuis le début du XXème siècle : le déclin des activités primaires. Maladies cryptogamiques de la vigne, baisse du cours du sel du fait du développement des chemins de fer, mauvaises récoltes à cause d’événements climatiques… Ainsi, le sel, qui se négociait environ 350 francs la tonne dans la première moitié du XIXème siècle, ne valait plus que 7 francs à la veille du conflit. Paradoxalement, la Grande Guerre, en raison de la baisse de production et de la raréfaction de certains produits, a permis de stabiliser les prix, voire de les faire grimper comme pour le vin.
Le monument aux morts d’Ars-en-Ré, situé juste à côté du clocher de l’église Saint-Etienne.
Le maire-médecin mobilisé !
A l’arrière, la solidarité se met également en place et les Casserons participent à l’entraide entre les villages de l’île : de nombreuses actions de bienfaisance sont organisées en faveur des blessés, des orphelins, des prisonniers. L’Ouvroir* d’Ars est particulièrement actif, grâce à madame Pascalon. Aux privations et aux difficultés du travail dans les champs et les marais, s’ajoutent les difficultés à se soigner : le village se trouve privé de médecin. Pierre Méjasson, médecin militaire, est installé à Ars depuis le 12 novembre 1893. Adopté par les Casserons, il devient leur maire en 1897. Après le début la guerre, il est mobilisé le 18 août 1914 puis nommé médecin-chef de l’hôpital n° 8 de Tarbes. Elus et habitants interpellent le préfet de la Charente- Maritime puis les autorités militaires pour que « leur » docteur soit affecté à l’hôpital de Saint-Martin et puisse consulter les patients du nord de l’île. On leur oppose une fin de non-recevoir. Cependant, le docteur Grand, demi-frère de Pierre Méjasson, accepte de prendre en charge les urgences. Pour répondre à la demande de soins des habitants du canton nord, les élus mettent à la disposition du médecin de Saint-Martin une automobile pour 20 francs par jour, trois fois par semaine, afin de traiter les urgences et visiter les patients. Le coût est à la charge des trois communes du nord de l’île. Les Casserons devront finalement attendre le 20 février 1917 pour retrouver leur médecin…et par la même occasion leur maire !
Démographie exsangue
Si l’armistice est signé le 11 novembre 1918, les hommes ne rentrent pas immédiatement : la démobilisation, progressive, s’étale jusqu’en 1920. A Ars-en-Ré, on ne compte ainsi « que » 40 démobilisés en 1918 contre 240 en 1919, année de la démobilisation générale (6). Les commémorations de la victoire commencent en 1920. Beaucoup d’hommes reviennent traumatisés, psychologiquement et physiquement : le village, comme l’île, sont durablement impactés. L’observation des recensements de 1911 et 1921 démontre une baisse démographique de 20% sur l’île. La guerre l’explique en partie, mais il ne faut pas oublier la grippe espagnole qui a fait encore davantage de morts que la Grande Guerre. Pour la petite histoire, Jules Baniée, tailleur de pierre à Ars et ancien poilu, est chargé par le conseil municipal, en 1920, de réaliser le monument aux morts de la commune et la stèle dans le cimetière. Il y gravera, dans la pierre, le nom de tous ses copains tombés au champ d’honneur…
* Atelier, souvent à caractère professionnel, où des personnes bénévoles effectuent des travaux d’équille pour les ornements d’église ou au profit d’une œuvre de bienfaisance, d’un hôpital ou de nécessiteux.
(1) Présentée dans le cadre des Journées du patrimoine, les 17 et 18 septembre derniers, salle du Havre à Ars-en-Ré.
(2) Le 5 août 1915.
(3) Lettre du 1 juillet 1916.
(4) Lettre du 1 er er juin 1915.
(5) L’école est obligatoire de 6 à 13 ans, mais durant la guerre, « les enfants utiles à la maison ainsi qu’aux travaux des champs, ne sont pas tenus d’y assister ». (Avis municipal du 18 août 1914.
(6) Proclamée le 14 octobre 1919.
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