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« Une découverte exceptionnelle pour l’île de Ré »
Des fouilles archéologiques préventives, sur le terrain d’un particulier à La Flotte, ont permis de mettre à jour des sépultures de l’époque carolingienne (8ème-10ème siècle). La présence dans cinq tombes d’objets du nord de l’Europe pourrait accréditer la piste de populations Vikings. Explications avec Annie Bolle, responsable des fouilles à l’Inrap.

Le cadre de la découverte
Cette découverte, révélée le 10 février dernier par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) de Poitiers, a eu lieu en octobre 2024, sur le terrain d’un particulier souhaitant y construire une maison, venelle de l’Adélion, à proximité de l’école de La Flotte. Si des fouilles ont été entreprises, c’est que le site était connu depuis les années 80, suite à des prospections de l’instituteur local Pierre-Philippe Robert, pour abriter les restes d’une villa gallo-romaine1. Ainsi, le service archéologie avait prescrit dès 2023 un diagnostic, qui avait déjà révélé la présence de sépultures de l’époque carolingienne (8ème-10ème siècle), entraînant donc la prescription de fouilles plus poussées en octobre 2024. « Au moment de les débuter, nous savions déjà que nous étions sur un site vraiment intéressant », explique Annie Bolle, responsable de la fouille à l’Inrap de Poitiers.
Des fours à cloches, première découverte majeure
La mise à jour des vestiges d’un bâtiment très ancien représente la première découverte majeure du site. Les archéologues pensent immédiatement à un édifice religieux, d’autant que des textes anciens mentionnent l’existence d’un prieuré Sainte-Eulalie sur la commune de La Flotte au 14ème siècle. La présence de cette église ou chapelle est corroborée par une première découverte majeure, passée médiatiquement presque inaperçue : la mise à jour de trois fours à cloches du 13ème siècle ! « Pour la période médiévale, on n’en connaît vraiment pas beaucoup », se félicite Annie Bolle. A cette époque, il n’était pas rare que les cloches soient directement moulées sur place par des artisans. Si les cloches, probablement fondues par la suite, n’ont pas été retrouvées, les chercheurs ont mis à jour les restes des moules ayant reçus le métal en fusion. « Grâce aux fragments de parois retrouvés, nous allons peut-être, tel un puzzle, réussir à les reconstituer », explique la spécialiste.
Des sépultures très anciennes et de mystérieux objets
La découverte d’une zone funéraire dans et autour du bâtiment comprend un total de quarante-huit sépultures d’une période comprise entre le 8ème siècle et le 15ème siècle. Les plus anciennes, au nombre de quinze, correspondent à l’époque carolingienne (8ème-10ème siècle). Très vite, cinq sépultures suscitent la curiosité des archéologues par la présence de plusieurs objets. « C’est une première surprise car c’est excessivement rare de retrouver des objets personnels déposés dans des tombes de l’époque carolingienne », témoigne Annie Bolle. Deuxième surprise : ces objets n’ont rien à voir avec le contexte et la culture locale, puisqu’ils sont typiques des rivages de la Mer du Nord ! « Nous avons compris là que nous étions face à une découverte exceptionnelle », confirme la spécialiste.
Des objets exceptionnels, typiques de la mer du Nord
Parmi ces objets, des parures comme ce collier (autour du cou d’une femme) composé de perles de verre, d’ambre et de bronze, ou cet homme portant un peigne en os ou bois de cervidé. Une autre femme possède un peigne déposé sur sa poitrine, ainsi que des objets ferreux posés à côté d’elle, mais qui sont trop oxydés pour qu’on puisse immédiatement les identifier. Une aiguille en os ainsi qu’une petite boucle, servant potentiellement à fermer une lanière, ont été retrouvées près d’un autre corps. Enfin, le squelette d’une femme a été exhumé avec une magnifique ceinture autour de la taille, composée de quatre éléments de décor et d’un plaquage d’argent, d’agrafes à double crochet (pour attacher une robe ?) ainsi qu’un couteau muni d’un manche en bois. En tout cas, la présence de perles d’ambre ou de verre ne fait aucun doute pour les archéologues : elles proviennent des rivages de la mer du Nord et en particulier d’une région du nord de l’Europe proche de l’actuel Danemark, connue à l’époque sous le nom de Frisons. Une région d’où étaient originaires les fameux Vikings ! « Dans l’Ouest de la France, c’est une découverte extrêmement rare. A ma connaissance, il n’y a pas d’équivalent », confie Annie Bolle. De tels objets ont déjà été retrouvés, notamment à Quentovic, port marchand du nord de la France2 important à cette époque, mais très rarement dans des tombes. « Sur les zones d’échanges commerciaux comme les ports, on en retrouve, mais pas dans un contexte funéraire », précise l’archéologue.
La position singulière de ces cinq corps ajoute au mystère. Une des femme, allongée sur le ventre, intrigue les archéologues mais pourrait s’expliquer par une bascule du corps suite à des mouvements de terrain. Par contre, le positionnement de deux corps la tête orientée vers le sud et de deux autres sur le côté, jambes et bras repliés, semblent accréditer la thèse d’individus venus de contrées lointaines. « Dans les cimetières chrétiens, la tête est à l’Ouest et les jambes sont en extension », rappelle Annie Bolle.
Faire parler les indices
Comme sur une scène de crime, il s’agit désormais de faire parler les indices. La restauration, longue et minutieuse, a été confiée au laboratoire Arc’Antique, situé à Nantes. L’étude de la composition de la lame du couteau et du bois du manche, des traces de tissus (matière, technique de tissage), des perles et de l’ensemble des ornements devraient préciser l’origine géographique des objets. Avec les technologies modernes, ce sont surtout les corps qui pourraient parler : l’analyse isotopique des os, et surtout des dents, pourrait révéler le régime alimentaire de ces individus et donc leur origine géographique. Une analyse paléogénétique, à partir d’ADN prélevé sur les ossements, pourrait confirmer le sexe, les liens de parentés entre les individus et leur origine génétique. Enfin, une nouvelle datation au carbone 14 devrait permettre de dater encore plus précisément la période de vie de ces individus. Pour ce qui est des circonstances de la mort, rien à ce stade ne permet d’évoquer la piste d’une mort violente. On sait seulement que sur les cinq corps, trois appartiennent à des femmes plutôt jeunes.
La thèse de raids Vikings ?
Sur cette période 8ème-10ème siècle, on connait très peu de choses sur l’Histoire de l’île de Ré, car il faudra attendre l’installation des moines cisterciens au 12ème siècle3 pour disposer des premières sources écrites. Entre l’occupation de l’époque gallo-romaine et le 12ème siècle, l’Histoire locale s’écrit en pointillés. « Après l’occupation antique, il y a un grand vide. On ne connait pas grand-chose, mais il est fort probable que l’île de Ré était occupée ». Quelles hypothèses peut-on avancer concernant ces objets exotiques et ces cinq sépultures inhumées en dehors de toute tradition locale ? D’après Annie Bolle, on ne peut pas tout à fait exclure la thèse de Rétais « un peu originaux, voire farfelus » qui auraient opté pour une inhumation atypique, avec des objets nordiques récupérés dans le cadre d’échanges commerciaux. S’il s’agit en revanche de populations « étrangères », comment ne pas penser aux raids Vikings qui ravagent les régions côtières à cette époque. « Tout ça est documenté, on sait que les Vikings ont mené des raids, notamment sur Saintes et Bordeaux, en remontant par les fleuves », souligne l’archéologue. Mais d’autres peuples pouvaient circuler à cette époque pour des raisons plus commerciales que belliqueuses, et on ne peut exclure la présence sur l’île d’une population de passage qui se serait intégrée harmonieusement à la population locale. L’inhumation « raffinée » des corps pourrait accréditer cette piste. En attendant les résultats des analyses scientifiques, le propriétaire du terrain a été libéré de la contrainte archéologique et pourra mener à bien son projet. Quant aux différents objets, une fois leur restauration achevée, on espère qu’ils reviendront sur l’île4, afin que les Rétais puissent découvrir et contempler ces fragments d’une Histoire qui reste à écrire…
1 – Connue sous le nom de villa de la Clavette.
2 – Situé dans l’actuel Pas-de-Calais.
3 – L’abbaye des Chateliers, située sur la commune de la Flotte, est achevée en 1156.
4 – La décision reviendra au ministère de la Culture.



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