- Patrimoine
- Buckingam : un personnage de roman
Un siège qui transforma l’histoire de France
L’île de Ré, au début du XVI° était pauvre et peu peuplée. La décadence de l’église catholique s’y faisait sentir comme partout ailleurs dans la région. Le peuple souhaitait une réforme de cette église, mais la résistance qu’opposera le clergé à toute remise en cause précipitera l’avènement du protestantisme et les idées de la réforme, pénétrant dans l’île via les marins et les commerçants, s’installeront durablement
Au début du XVIIe siècle, Henri IV avait accordé une large tolérance aux protestants dans les domaines politique et militaire, dont ceux-ci ne veulent pas se laisser déposséder, craignant que cela n’entraîne des restrictions de leur liberté religieuse. De 1622 à 1628, l’île devient le théâtre d’une guerre qui ne la concerne pas directement : La Rochelle, s’oppose à la volonté royale de Louis XIII, dont elle ne veut accepter ni gouverneur, ni garnison, ni percepteur. De sérieuses escarmouches en découleront qui auront Ré pour champ de bataille. Henri de Rohan est alors à la tête de l’assemblée protestante. Soubise, son frère, chef de l’armée huguenote, s’assure la maîtrise de l’île de Ré et en fait sa base opérationnelle. Soubise finit par lasser la patience de Richelieu, et, en 1625, les troupes royales se lanceront à la conquête de l’île. Cette difficile prise de l’île de Ré est considérée comme un triomphe par le pouvoir royal et le 18 décembre 1625, la capitulation des huguenots est signée. Afin d’empêcher tout appui de l’île en faveur de La Rochelle, Louis XIII envoie deux ingénieurs, d’Argencourt et Camus, fortifier les lieux. Ceux-ci proposeront la construction du fort de la Prée et de la citadelle de Saint-Martin. Deux futurs fleurons de l’architecture militaire rétaise.
L’affrontement du 20 juillet 1627
Deux mille hommes sont installés début 1627 dans le Fort de la Prée, dont l’édification a été rondement menée, et la citadelle de Saint-Martin à peine terminée. Les soldats sont rapidement décimés par la maladie. En 1627, la querelle reprend envenimée par Buckingham, sur fond d’affaires familiales. Henriette de France, soeur de Louis XIII devant épouser Charles 1er d’Angleterre et d’Écosse, il est prévu que les différentes négociations afférentes au mariage soient menées par George Villiers, duc de Buckingham. Ce dernier a l’habitude que rien ne résiste à son charme, mais en l’occurrence Louis XIII et Richelieu le détestent et vont refuser de recevoir l’Ambassadeur du roi d’Angleterre. Fou de rage, Buckingham déclare que puisqu’on ne l’accepte pas comme négociateur au palais, il reviendra à la tête d’une armée ! Marie de Rohan, plus connue sous son titre de duchesse de Chevreuse, une séductrice acquise aux idées des protestants, profite de l’occasion pour se rendre en Angleterre et intervenir auprès de Buckingham en faveur des protestants. Quant au très faible Charles 1er, il ne résistera pas et laissera son favori préparer une mission maritime dont le but avoué est de secourir les huguenots rochelais, mais qui sent la revanche. L’île de Ré fera les frais de l’ire de Buckingham.
Le 20 juillet, Le Triomphe, navire de Buckingham, suivi d’une flotte de 60 bateaux comprenant de 9 000 à 10 000 hommes, vient mouiller l’ancre à La Pallice. Après avoir tenté sans succès de rallier Les Rochelais à sa cause, il envahit Ré d’où il pense dominer toute la côte. Dans l’île, le gouverneur Toiras a 200 cavaliers et environ 2 000 hommes sous ses ordres. Buckingham fait débarquer ses troupes le 21 juillet à 15 heures. Toiras a pris position avec un millier d’hommes derrière les dunes de Sablanceaux pour l’accueillir. La cavalerie, commandée par le baron de Chantal, père de Mme de Sévigné, charge les soldats anglais et se fait décimer par les canons. Le baron de Chantal et un frère de Toiras décèderont au cours de ce premier assaut. L’infanterie française prend la suite, mais elle est repoussée par les anglais en nombre bien plus important. Une trêve extrêmement courtoise, que l’on aurait du mal à imaginer de nos jours, permet à chaque camp d’enterrer ses morts. Elle coûtera la victoire à Buckingham, car Toiras en profite pour se réfugier dans la citadelle de Saint-Martin. Ce n ‘est que le 25 juillet au matin que l’armée anglaise se remet en route et occupe Sainte-Marie, puis La Flotte et enfin Saint-Martin le 27 sous une forte pluie d’orage. Le reproche de n’avoir pas profité de son avantage sera fait à Buckingham, personnage assez curieux qui rendra hommage à Toiras à la fin du siège. Fair play britannique ? Fin juillet, l’île sera occupée en totalité, sauf la citadelle et le fort de la Prée. Des troubles ont lieux entre catholiques et protestants, certains catholiques terrorisés s’enfuient tel le curé d’Ars. Buckingham prend la décision de désarmer tous les Rétais et de réquisitionner leurs barques.
Un long siège éprouvant
La citadelle était inachevée, les provisions engrangées très insuffisantes et le petit fort de la Prée ne pouvait résister à un assaut important : telle était la situation. Le siège débute le 28 juillet 1627 et durera jusqu’au 8 novembre. Il sera non seulement long, mais très éprouvant. Encerclé par 8 000 Anglais qui organisent le blocus sur terre et sur mer, Toiras a peu de chance de s’en sortir, mais il reste optimiste malgré la famine qui guette ses hommes ainsi que les femmes, enfants et vieillards qui les ont rejoints, rudement poussés vers la citadelle par Buckingham pour accélérer la consommation des vivres. D’un côté, les Anglais canonnent autant qu’ils le peuvent la citadelle, de l’autre, les assiégés renforcent ses structures aux endroits les plus fragiles. Les deux chefs d’armée tentent e s’endormir l’un l’autre à l’aide de cadeaux pour le moins inattendus. Buckingham adresse une douzaine de melons à Toiras qui, en retour, lui envoie bouteilles d’eau d’oranger et vases de poudre de Chypre !
Pendant ce temps, Toiras délègue trois émissaires au roi qui rejoignent le continent à la nage. Le premier est noyé par un violent courant, le deuxième est repêché par un bateau anglais qui récupèrera le document qu’il transportait, le troisième, Pierre Lanier, atteint le continent et réussit à faire passer le message de Toiras à Louis XIII qui prend la décision d’envoyer du secours aux assiégés. Un convoi de barques, dont seules quelques-unes arriveront à bon port, livrera dans la nuit du 6 au 7 septembre des vivres, des munitions et des médicaments. C’est insuffisant pour améliorer durablement la situation. Les désertions se multiplient et bon nombre de ceux qui restent sont malades. La situation des Anglais est à peine meilleure : l’Angleterre est loin et le gouvernement ne se précipite pas pour ravitailler une guerre impopulaire, imposée au roi Charles 1er par Buckingham. Toiras est inquiet car La Rochelle se décide, tardivement, à apporter son aide à Buckingham en débarquant dans l’île, le 10 septembre, des vivres qui sauvent les Anglais de la famine.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre, alors que Toiras s’apprête à se rendre « 35 navires de moyen tonnage avec, à bord, plus de huit cents hommes ainsi qu’une cargaison de vivres et de munitions part des Sables-d’Olonne et se dirige vers l’île de Ré (…) Les embarcations royales franchissent une première ligne de défense anglaise, mais rapidement se heurtent à une deuxième ligne.(1) » 29 bateaux sur 35 réussiront à passer et ravitailleront Toiras qui peut désormais tenir plusieurs semaines. « Le lendemain, en défi aux Anglais, ses soldats brandissent du haut des remparts dindons, chapons et jambons.(2) »
Le fort de la Prée, botte secrète de Richelieu
Bien décidé à chasser les Anglais de l’île de Ré, Louis XIII fait activer les préparatifs de son expédition. Pour plus d’efficacité, Richelieu utilise le fort de la Prée pour cacher les hommes qu’il envoie dans l’île à plusieurs reprises. Ils agiront ensemble une fois regroupés, prenant l’adversaire par surprise. Entre le 17 et le 30 octobre 1 325 hommes, 30 chevaux, 3 canons et des vivres arriveront discrètement de nuit et attendront le moment d’intervenir cachés dans le fort.
Buckingham, ne voyant pas arriver de renforts d’Angleterre, décide de quitter l’île le 8 novembre et entame les préparatifs de ce départ. Il tente cependant un ultime assaut le 6 novembre. Toiras, à la tête de 1 000 hommes, va résister aux 6 000 Anglais qui les attaquent. La garnison cachée au fort de la Prée arrivant au secours de la citadelle en fin de matinée décide Buckingham à lever le siège et à partir. Le 8 novembre, l’armée royale commandée par Schomberg débarque dans l’anse de Chauveau et rejoint les troupes de Toiras. Les Anglais sont en train de se retirer en direction de Loix où ils comptent réembarquer. Les troupes royales décident d’attendre le moment favorable pour attaquer ; cela aura lieu au pont du Feneau. Le combat est meurtrier et 2 000 hommes et 200 chevaux trouvent la mort. Il est impossible der les inhumer. Ils seront jetés à la mer dans le chenal du Feneau et emportés par la marée dans la baie de Loix, qui porte encore aujourd’hui le nom de « fosse aux Anglais ».
Cette victoire marquera la fin du rôle militaire de l’île de Ré dans l’histoire de la Réforme
L’échec de Buckingham a fait perdre à La Rochelle son principal allié et d’une manière plus générale a annihilé les secours extérieurs aux protestants français persécutés. Si Buckingham avait poursuivi son avantage et pris la citadelle, l’affrontement aurait eu un visage différent : La Rochelle n’aurait pas été prise par Richelieu, ni l’Édit de Nantes révoqué. Toute l’histoire de France en était transformée et l’importance du fait d’armes n’échappa pas aux contemporains.
(1) Jean Combes dans Histoire de l’île de Ré des origines à nos jours de Mikaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Le Croît Vif, GER
(2) Marcel Delafosse – Petite Histoire de l’île de Ré – Editions Ruppella La Rochelle
Biblographie :
Histoire de l’île de Ré des origines à nos jours de Mikaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Le Croît Vif, GER
Marcel Delafosse – Petite Histoire de l’île de Ré – Editions Ruppella
La Rochelle Histoire des Protestants et de l’église réformée de l’île de Ré – Pierre Dez – Éditions des Régionalismes
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