- Environnement & Patrimoine
- Gestion des espaces naturels sensibles
Un plan de gestion ambitieux pour restaurer et valoriser les Evières
Situé à cheval sur les communes du Bois-Plage, de Sainte-Marie et de La Flotte, l’espace naturel des Evières constitue la plus grosse entité foncière détenue par le Département et le Conservatoire du Littoral. Site emblématique à bien des titres – on se souvient du vaste projet immobilier qui a fait scandale dans les années 70 – il représente un vrai intérêt patrimonial. La CdC mène un ambitieux plan de gestion 2020- 2029 afin de le restaurer, le pérenniser et le valoriser au plan écologique. Anaïs Barbarin, directrice adjointe de l’environnement et Yvan Sionneau, chef d’équipe des écogardes, nous présentent le projet.
Composé essentiellement d’une clairière et d’un boisement à pins maritimes et pins parasols, le site des Evières a été façonné par les pratiques agricoles durant des décennies : d’un côté la déprise agricole a favorisé le boisement, de l’autre l’entretien de la zone centrale par les activités agricoles des années 1950 à 1980, puis par le pâturage des chevaux a permis le maintien d’une clairière.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle les parcelles étaient probablement plantées de vignes, puis avec l’arrivée du phylloxera les vignes arrachées ont évolué vers de la friche jusqu’à ce que des propriétaires décident de les remettre en culture dans les années 1960 : asperges, vignes puis en 1969 un troupeau de vingt-cinq vaches laitières.
La seule clairière de 60 ha de l’île de Ré
C’est en 1969 que deux propriétaires veulent construire une centaine d’habitations, avant l’arrivée d’un promoteur immobilier qui ambitionne de créer un ensemble de plus de six-cents logements, avec piscines, chenal d’accès à la mer et golf de dix-huit trous. Une piste d’atterrissage est créée dont on peut voir encore les traces aujourd’hui. Le projet sera abandonné sur fond d’implication « douteuse » de politiques nationaux et en raison de son illégalité, créant un scandale à l’époque.
Afin de définitivement protéger ces parcelles, le Conservatoire du Littoral acquiert en 1981 une partie des parcelles et un haras avec une trentaine de chevaux est implanté, toujours en activité aujourd’hui et dirigé par Sophie Fenioux. En effet, une partie du site propriété du Conservatoire est confié au Haras des Evières, via une convention d’occupation.
Tout autour de la clairière, les parcelles ont progressivement évolué vers un boisement dense, ayant pris le pas sur les milieux ouverts que constituent les dunes intérieures, friches et pelouses, qui abritent des espèces et des habitats remarquables que ce plan de gestion vise à préserver et reconquérir. Il s’agit du seul site de l’île de Ré où on se retrouve dans une unité paysagère de soixante hectares de clairière au coeur d’un boisement de pins.
La difficulté principale pour élaborer ce plan de gestion réside dans le morcellement du foncier, avec de nombreuses parcelles de taille réduite, et trois types de propriétaires : le Département, le Conservatoire du Littoral et de nombreux propriétaires privés. Le plan de gestion concerne uniquement les parcelles détenues par les deux institutions soient 178 hectares (essentiellement le Conservatoire), sur les 615 hectares du site.
En 2012, la Communauté de Communes a réalisé un premier travail d’inventaire des parcelles ayant des enjeux naturalistes, avant d’engager un vaste diagnostic naturaliste à l’échelle de l’île en 2014. En 2016/2017, un diagnostic des habitats des Evières par les écogardes a permis de recenser trente-sept habitats sur les parcelles publiques dont dix-sept d’origine anthropique (façonnés par les activités humaines) sur dix-huit hectares et vingt habitats d’origine naturelle sur cent-quatre-vingt-deux hectares.
Le site possède deux habitats d’importance communautaire (Directive Habitat Faune Flore 1992) : les dunes boisées littorales sur centdouze hectares et les dunes grises des côtes atlantiques sur douze hectares. Puis en 2017/2018, les écogardes ont complété les inventaires naturalistes de 2014 en menant de nouvelles prospections sur le terrain : trente-sept espèces d’oiseaux nicheurs ont été observées dont quatorze espèces patrimoniales et une espèce remarquable et menacée, le Pipit rousseline vivant sur les pelouses de l’arrière dune. Quatorze espèces de mammifères ont aussi été identifiées, ainsi que trois espèces d’insectes de fort intérêt patrimonial, trois espèces d’amphibiens dont deux menacées et deux espèces de reptiles.
Conservation, valorisation, connaissance
Sur la base de ces observations, des enjeux importants ont été dégagés pour l’avenir des Evières : améliorer l’état de certains habitats (dunes intérieures…), protéger les aires de nidification d’oiseaux rares ou menacés, lutter contre les plantes invasives, créer les conditions favorables à l’accueil et au développement d’espèces patrimoniales, mais aussi valoriser le site tout en sensibilisant le public à la biodiversité, en créant des sentiers de parcours pédagogiques.
Le plan de gestion des Evières, qui représente un budget de 500 000 € sur dix ans financés exclusivement par l’écotaxe, vise ainsi à restaurer et développer les milieux ouverts : dunes intérieures, pelouses, prairies, afin d’y favoriser la biodiversité ; et à favoriser le développement naturel des boisements tout en luttant contre les espèces invasives. Un programme d’actions très détaillées a été élaboré dans ce sens.
Dans un premier temps, sur les cinq premières années du plan, il s’agit d’ouvrir des espaces en gagnant sur la forêt et les friches, par débroussaillage, bucheronnage, retrait de matériau : cela permettra l’installationde nombreuses espèces végétales et animales, a u j o u r d ’ h u i absentes du site. Puis les cinq années suivantes seront notamment consacrées à l’entretien des espaces gagnés, à pérenniser les dunes intérieures et observer l’impact de ces actions sur la biodiversité grâce à des suivis réguliers.
Premières actions
L’une des premières mesures importantes prise a été le remodelage de la convention avec le Haras des Evières. Si le diagnostic écologique a montré que certaines parcelles pâturées par les chevaux ont un petit intérêt patrimonial, cela n’est pas le cas de toutes. Ainsi certaines parcelles ont été retirées de la convention, afin de restaurer certains habitats dunaires et sur la clairière et permettre une reprise végétale, avec un cortège floristique intéressant. Par ailleurs, un calendrier de pâturage est mis en place en accord avec l’exploitante.
Les boisements des Evières ont colonisé les dunes intérieures. Une autre mesure proche va donc consister à limiter la prolifération des bois et à rouvrir certains secteurs afin de recréer une mosaïque d’habitats favorisant une plus grande diversité d’espèces. Les écogardes vont mener des opérations de bûcheronnage avec création de layons et de clairières. Cette création de corridors doit permettre l’amélioration de la connectivité entre les dunes intérieures. Les arbres en bordure de chemins seront conservés pour maintenir les barrières naturelles, afin d’éviter la pénétration des usagers et le piétinement des sols.
La plantation de vergers sur la partie sud-ouest de la clairière est aussi prévue. Les écogardes ont commencé à entretenir un vieux verger planté il y a plusieurs décennies. Pour le compléter, remplacer les arbres morts et reconnecter ces alignements aux boisements existants, une plantation sera réalisée en novembre et les écogardes aimeraient associer à ce chantier des enfants ou des étudiants. Plusieurs ateliers pédagogiques pourraient être animés autour de la taille de l’arbre, la récolte des fruits, la pollinisation des fleurs et leurs pollinisateurs…
Autre action intéressante, la création de mares sur des zones dépourvues de points d’eau afin de créer des points relais et permettre la reproduction des populations d’amphibiens. Une première mare sera créée en 2020 au Nord du site, celle prévue au Sud sera réalisée en 2021. Elles seront ensuite entretenues avec un débroussaillage de la végétation des berges tous les deux ans.
Sensibiliser et valoriser les Evières auprès des Rétais et vacanciers
De nombreuses autres actions sont prévues. Parmi elles, la valorisation du site, la sensibilisation des populations à la biodiversité, aux espaces naturels, aux habitats et espèces patrimoniales des Evières, constituent des enjeux forts. Aménager des boucles de randonnées de découverte au départ des différents villages environnants, avec codes couleurs et panneaux pédagogiques, contribuerait à la découverte du site tout en ayant aussi l’avantage d’éviter que le public fréquente les nombreux chemins ruraux. Lorsque l’exploitante du centre équestre des Evières arrêtera son activité, l’équipe environnement de la CdC pourrait transformer le bâtiment en lieu d’accueil du public, avec salle d’exposition et/ou d’accueil de classes, et pourquoi pas la mise en place d’un pôle d’accueil pendant la saison touristique.
Autre projet envisagé, la mise en place sur un point stratégique du site d’une plateforme de lecture du paysage, en libre accès, ou encore la mise en place d’outils de réalité virtuelle qui permettraient, lors d’animations ou de sorties nature, de remonter le temps pour voir les Evières dans les années 1950 jusqu’à nos jours.
La direction Environnement et son équipe d’écogardes a donc du pain sur la planche pour les dix années à venir. A mi-parcours du plan de gestion en 2024, une étude synthétique sera réalisée durant toute l’année, afin de visualiser les premiers résultats de ces opérations et procéder à des ajustements des actions prévues après 2024.
Nathalie Vauchez
INTERVIEW
« La progression est déjà visible ! »
Ré à la Hune a demandé à Dominique Chevillon, président de Ré Nature Environnement et membre du comité consultatif de suivi, son avis sur le plan de gestion des Evières.
Ré à la Hune : Dominique Chevillon, vous participez au plan de gestion mené par la CdC dans les espaces naturels des Évières, quel regard portez-vous sur cette gestion ?
Dominique Chevillon : Je voudrais dire tout d’abord que ces lieux d’exception ont échappé au pire puisqu’ils étaient menacés, il y a 40 à 50 ans par de grands projets immobiliers avec une piste d’atterrissage en son centre. On peut remercier la vigilance et l’engagement de Rétais dont Jean-Pierre Goumard et Gilles Brulon qui s’y sont opposés. Après une période récente où les fragiles terres sableuses de cette partie centrale de l’île ont été dégradées fortement par une activité équine intensive (pensions de chevaux et centre équestre), s’ouvre aujourd’hui une nouvelle ère. Les dunes intérieures forêts de ce site classé, véritable mosaïque de 37 habitats (20 milieux naturels et 17 milieux dit anthropisés*) connaissent les débuts d’un plan de gestion ambitieux de 500 000 e sur 10 ans.
Quelles sont les difficultés pour élaborer un plan de gestion ?
Pour faire un plan de gestion, il a fallu réunir plusieurs conditions : – des milieux, dunes intérieures, pelouses sableuses, leur faune et flore associées, reconnues pour leur valeur patrimoniale par une collectivité publique (la CdC), des associations. – des surfaces suffisantes pour engager un plan de gestion. Aujourd’hui environ 260 hectares avec les Hauts de Turpine sont propriété du Conservatoire du Littoral et de la CdC. Avant la parcellisation des terrains et la présence de terrains privés ne permettaient pas d’engager un tel plan de gestion. – une collectivité (la CdC de l’Ile de Ré) qui a souhaité acquérir et réunir les compétences nécessaires, mais aussi investir dans un plan de gestion d’espaces de son territoire. Sans cela vous ne pouvez pas y arriver.
Avec quels résultats ?
Les résultats se verront les années prochaines. En effet les terrains dégradés n’ont que douze mois de restauration. C’est donc encore trop tôt, mais les actions prévues sont prometteuses. Le retour des pelouses sableuses, de leur faune et flore associées se concrétisera notamment par le retour des plantes annuelles et vivaces avec les sauterelles, criquets, grillons et autres insectes comme les papillons… Il faut du temps mais déjà sur un an la progression est visible. Ça donne la pêche ! C’est très positif.
Propos recueillis par NV
*Anthropisés : modifiés par l’homme et ses activités
Une équipe d’écogardes renouvelée : Du fait de départs et au vu de la charge de travail, l’équipe d’écogardes va être renouvelée et renforcée, pour atteindre sept écogardes et un chef d’équipe. Yvan Sionneau quittant prochainement cette fonction, Fabienne Legal va devenir chef d’équipe des écogardes. Plusieurs recrutements sont lancés. D’ici à la fin de l’année, deux écogardes devraient être assermentés, ce qui leur permettra – si besoin – de verbaliser les contrevenants lors des opérations de contrôle.
Les autres Sites suivis par la CdC :
Le site conséquent des Biettes, qui s’étend entre Les Grenettes (Sainte-Marie) et Gros-Jonc (Le Bois-Plage), va bénéficier d’un « plan de gestion ».
Le site des Turpines sera concerné par une « notice de gestion ».
Le site du Défend situé à cheval sur Rivedoux et Sainte-Marie a déjà fait l’objet d’interventions ayant permis de préserver l’Azuré Serpollet et un « plan de gestion » sera élaboré une fois que le Conservatoire du Littoral aura acquis la Pointe du Défend.
La Pointe du Grouin à Loix est aussi concernée par une « notice de gestion ».
Le site de Mouillepied entre La Couarde et Le Bois devrait aussi être concerné par la planification de gestion des sites naturels de l’île de Ré.
Lire aussi
-
Environnement & Patrimoine
L’île de Ré et La Rochelle, un destin lié… jusque dans les commémorations
Dans le cadre des 400 ans des guerres de religion, la Communauté de communes de l’île de Ré, la ville de La Rochelle et La Rochelle Université organisent un colloque scientifique, ouvert au grand public, du 27 au 29 novembre.
-
Environnement & Patrimoine
AlimenTerre, engagé pour une alimentation éthique
Les 25 et 26 novembre, le festival AlimenTerre se tiendra sur l’île de Ré. Trois projections documentaires suivies de temps d’échange sont programmées à La Maline. Présentation avec l’un des co-organisateurs sur l’île de Ré de ce festival international, Geoffroy Maincent.
-
Environnement & Patrimoine
Grand Port Maritime : MAT-Ré reste vigilante
Après avoir été longtemps isolée, l’association rétaise entretient désormais des relations avec la gouvernance portuaire, avec les autres associations et élargit ses sujets de vigilance.
Je souhaite réagir à cet article