De la treille des Pelletier au Chauché Gris
Une histoire qu’on croirait légendaire ! Mais il n’en est rien. Celle que m’a confiée Michel Pelletier est bien réelle. Voici l’incroyable aventure d’un homme, d’une plante et de leur formidable ténacité face à l’adversité.
Blottie dans la cour de la maison familiale pousse une vigne. Majestueuse, la treille intrigue le petit Michel qui questionne son grand-père. « C’est du Souché ! » répond Adolphe.
Le temps passe, l’enfant et la vigne croissent dans la simplicité d’une vie paysanne. Comme ses ascendants, Michel sera cultivateur. Les dimensions hors du commun du cep de l’aïeul fascinent toujours le vigneron qu’il est devenu. Dans les années 60, il rejoint le Centre National des Jeunes Agriculteurs, mouvement dont sont issus beaucoup de personnalités du milieu agricole, certaines reconnues au niveau européen. Viticulteur à la Coopérative du Bois-Plage, il en est le vice-président pendant cinq ans aux côtés du fondateur puis la préside durant vingt-cinq ans. Les échanges de méthodes et pratiques avec ses amis du CNJA, issus de terroirs aux Appellations d’Origine Contrôlée, l’ont mené à promouvoir un encépagement qualitatif des terres de Ré lors de ses fonctions à la Coopérative.
“Un paysan qui fait de le recherche n’est pas pris au sérieux…”
Siégeant vingt-cinq ans à l’interprofession du Cognac et vingt-neuf ans à la présidence de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, il a côtoyé du beau monde ! La viticulture n’ayant presque plus de secrets pour lui, il a été reconnu personnalité qualifiée. S’il se dit humble paysan, M. Pelletier est, à l’instar de ses ancêtres, un homme cultivé. Sa curiosité relative au Souché n’a d’égale que sa soif d’apprendre. Il s’informe auprès des Archives Départementales, de la Chambre de l’Agriculture, partout où il peut collecter des renseignements. Il présente en 1994 le fruit de ses recherches à un scientifique de la Station Viticole de Cognac qui n’en mesure pas l’importance. « Un paysan qui fait de la recherche n’est pas pris au sérieux. Dommage, car il y a des paysans qui trouvent ! »
Le Souché, nom rétais du Chauché, est défini comme suit par Le Littré : Nom d’un cépage de l’Aunis. Il y a le Chauché noir et le Chauché gris. D’après M. Pelletier il y aurait aussi le Chauché blanc. En vieux français, chauché veut dire serré, compact. Et c’est bien l‘aspect de la grappe du Souché.
Le Chauché gris, fleuron du vignoble médiéval de l’Aunis
Les vins blancs d’Aunis, célèbres au moyen-âge étaient élaborés avec le Chauché, cépage de qualité dominant dans les Charentes entre le 13e et 18e siècle. Le « vieux vignoble » charentais trouve ses racines historiques autour de La Rochelle et des îles de Ré et d’Oléron. Les moines Cisterciens de l’Abbaye Notre- Dame-de- Ré apportèrent leur savoir-faire cultural et participèrent grandement à l’amélioration des vins et liqueurs. Fleuron du vignoble médiéval de l’Aunis, le Chauché gris entrait dans la composition de vins blancs de bouche réputés. « Henri II en buvait à sa table, on les appelait les vins nobles de Rupella » précise Michel.
Breuvages renommés bien au-delà du territoire français puisqu’ exportés en Angleterre et dans les pays nordiques. Henri d’Andeli, poète sous le règne du roi de France Philippe Auguste écrit des vins de La Rochelle dans La bataille des vins « Vous l’Alsace, vous la Moselle, si repaissez le peuple d’Herr, moi j’abreuve l’Angleterre, Bretons, Normands, Flamands, Gallois, Les Ecossais, les Irlandais, les Norvégiens et les Danois. Au Danemark va mon empire, des vins je suis la zibeline, je rapporte tous les Sterlings ». Puis arriva le terrible hiver 1709 et sa dévastatrice gelée.
On dut introduire tout d’abord des cépages plus productifs et moins qualitatifs.
Les vins se conservant mal, surtout quand ils étaient soumis aux longues expéditions maritimes, la distillation fit son apparition au début du 16e siècle à La Rochelle. L’Aunis, centre incontesté du vignoble charentais pendant six siècles va vers le déclin. Et dans les années 1870, surgit le phylloxéra, insecte dévoreur de racines, fléau qui devait anéantir le vignoble charentais. C’est par le greffage de cépages nobles sur des cépages américains insensibles à la bestiole que le vignoble a pu être reconstitué. Aujourd’hui, seul le vignoble de l’Ile de Ré a résisté dans cette partie du territoire aunisien. Et les vignes franches tombèrent en désuétude. Mais dame Vitis Vinifera n’eut cure de tout cela ! « Âgée de cent ans sinon deux » d’après Adolphe, la belle ampélidacée prospérait tranquillement à l’abri des murs grâce aux bons soins de la famille Pelletier. Même l’attaque de termites ne freina pas sa vigueur !
Un cépage d’une grande rareté, en parfaite santé
Infatigable passionné, Michel continuait ses recherches, écrits et lectures. Jusqu’à ce jour d’août 2003 où un illustre ampélographe se pencha bien qu’elle le surpassât, sur la plante ancestrale. Il ne fallu que quelques minutes à M. Lacombe de l’INRA de Montpellier pour confirmer les longues recherches jusqu’alors restées sans suite du paysan couardais. Nommé Trousseau gris par le scientifique, ce cépage d’une grande rareté est en parfaite santé. Il fut appelé Chauché gris en pays d’Aunis pendant sept-cents ans. S’il a été trop longtemps oublié, il serait bon de lui laisser son nom d’origine. De plus, Michel a découvert récemment que le Chauché existait bien avant le Trousseau gris ! Quoi qu’il en soit, c’est une sacrée trouvaille pour la recherche agronomique et le patrimoine ampélographique local, national, voire international !
En 2004, la vénérable treille aux fruits or vermeil vendangée, une micro-vinification fut réalisée. Puis en novembre, Michel et son frère Jacques, entourés d’oenologues et de sommeliers, dégustèrent l’élixir tant attendu ! « A l’oeil, la robe est limpide et claire. Au nez, les surprises sont grandes car parfumé et aromatique. Agréable en bouche, plutôt persistant avec une petite note d’amer et titré 12°1 ». En juillet 2005, Michel planta soixante pieds. « La récolte en septembre 2007 fut qualifiée de vendanges historiques et donna 60 kg de raisins vinifiés par le Conservatoire du Vignoble Charentais ». Dix-huit bouteilles Chauché Pelletier furent remises à Michel.
D’études approfondies en cultures sur parcelles d’essai, la pépinière du CVC en propose aujourd’hui à la vente pour professionnels et particuliers sous le nom de Chauché gris ou Trousseau gris. Elle oeuvre pour la réintroduction des cépages anciennement cultivés. Depuis 2011, le Chauché gris est inscrit officiellement au catalogue des cépages pour produire des vins de bouche, intégré au cahier des charges de l’IGP vins de pays charentais en 2016 et dans l’encépagement du Pineau des Charentes en 2017. Il aura fallu patienter neuf longues années pour que les rigoureuses recherches de Michel soient prises en considération. Les vérités ont parfois besoin d’une longue décantation avant d’être reconnues par tous ! Comme il aime à dire « Le pas des boeufs est lent mais la terre est patiente ! ».
Marielle Chevallereau
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