Tourisme : vers un été déterminant
« Les Français pourront partir en vacances en France cet été ». C’est ce qu’a annoncé d’Edouard Philippe le 14 mai dernier. Une bonne nouvelle mais rien n’est gagné pour autant…
Depuis le déconfinement suit son cours… Zones vertes ou rouges, si l’ensemble des Français tentent de reprendre une vie plus normale, les professionnels du tourisme manquent encore d’une visibilité nécessaire, et ce malgré un plan de grande envergure dédié au secteur.
De nombreuses questions
Locations touristiques et hôtels sont désormais accessibles mais nombre des derniers sont encore fermés. Quant à l’hôtellerie de plein air, très appréciée, elle devra attendre fin mai une décision la concernant. Restaurants et bars pourraient rouvrir dès le 2 juin en zones vertes. Oui mais avec quels clients ?
Quid de la limite des 100 kms et de la présence des étrangers (au moins des Européens) cet été ? Autant de questions aux réponses incertaines. Le monde du tourisme vit au jour le jour, se préparant le plus efficacement possible en attendant les derniers protocoles, les conditions d’exercice de leur activité et… Les réservations des clients.
Des vacances franco françaises
C’est l’idée qui prévaut. Pour des territoires aussi attractifs que l’Ile de Ré, voilà qui est de nature à rassurer. En espérant que les plages ne soient pas seulement vouées à un usage « dynamique ». En filigrane toutefois, une autre perspective : l’absence possible (probable ?) des étrangers, une clientèle (anglaise, belge et autres) nombreuse et réputée pour son niveau de consommation. Une contribution à l’économie touristique rétaise qui pourrait faire cruellement défaut.
Un plan de soutien sans précédent
C’est en tous cas de cette manière qu’il a été présenté par Edouard Philippe. Chômage partiel, exonération d’une partie des charges, report des crédits, accès aux PGE (Prêts Garantis par l’Etat). Cela suffira-t-il aux entreprises les plus fragiles face aux pertes d’une avant-saison sacrifiée ? Rien n’est moins sûr. Cela dépendra en tous cas du résultat estival et du potentiel de l’arrière-saison.
Nul doute que les Français partiront cet été, autant que faire se peut. Présence assurée des résidents secondaires qui oublieront dans un environnement aimé les difficultés des derniers mois. Retour sans doute de vacanciers ayant déjà apprécié les atouts de notre île. Nouveaux venus, espérons-le, qui profiteront de la contrainte hexagonale pour vivre de nouvelles expériences. Les décisions de la fin mai seront cruciales.
Tourisme : Parole de pros
Déterminés, plutôt confiants mais aussi très prudents. Derrière les portes closes, les professionnels se préparent.
Philippe Stanislas – Restaurant Le Tout-du-Cru à Saint-Martin
En attendant ce détail, avez-vous déjà prévu des mesures ?
Ré à la hune : Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
Philippe Stanislas : Positif. Depuis le 11 mai, nous avons lancé la vente à emporter. Et nous livrons aussi sur toute l’Ile de Ré et même La Rochelle, sous réserve d’un panier moyen de 100 €. Je n’ai pas vraiment fait ça pour gagner de l’argent. Plutôt pour les clients et reprendre l’activité. C’est un début de retour à la normale.
Quelle préparation en attendant la fin mai ? Nous allons nous adapter. En cuisine, les restaurants ont déjà des protocoles sanitaires très stricts donc nous sommes habitués et les salariés porteront des masques. En salle, je préfèrerais pouvoir leur laisser le choix. Pour le reste, il y a des solutions à trouver : donner une demie-baguette par couple et écrire le menu sur de grandes ardoises par exemple. En revanche, je trouve ridicule de dénaturer l’esprit restaurant. Il faut laisser les gens prendre leurs responsabilités.
Que pensez-vous du plan de soutien au Tourisme ? C’est une vraie aide, notamment le chômage partiel. Mais maintenant il faut que ça cesse ! Et puis hormis l’exonération de quelques charges, il n’y a pas vraiment de cadeaux. N’oublions pas que le PGE, même à 0%, est un prêt. Il sauve la trésorerie aujourd’hui mais il faudra bien rembourser. Rien pendant un an mais ensuite, il faudra choisir la durée. Avec d’autres prêts en cours, les échéances peuvent être bien lourdes. On risque donc de voir les vrais dégâts plus tard.
Comment percevez-vous la saison 2020 ? Pour le moment, les 100 kms sont une vraie contrainte. En positif, je pense que les gens vont être plus patients, mieux comprendre le temps d’attente qui peut survenir quand ça « chauffe ». Ils vont se rendre compte que derrière les murs, il y a des gens qui travaillent. Ici nous avons 74 couverts en tout dont 48 à l’intérieur. Donc je prévois une baisse de plus de 10 % de chiffre d’affaires en septembre. Si on en doutait, cette crise montre bien la portée du tourisme sur l’île.
Aurélien Ravet – Camping Sunélia-Interlude au Bois-Plage
RALH : Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
Aurélien Ravet : Très remonté contre la Préfecture. Je ne comprends pas le sens de l’arrêté permettant la réouverture des hôtels et locations saisonnières tandis que nous sommes toujours fermés. On fait les choses à l’envers et il n’y a pas d’équité. Le déconfinement devrait être structurel.
Que pensez-vous du plan de soutien au Tourisme ? C’est pour beaucoup un effet de communication. Prenons par exemple le plan d’investissements qui devrait attirer 7 milliards de fonds privés. Cela favorisera les grandes structures comme le projet Futuroscope 2. Et pour cause, la Caisse des Dépôts en est un administrateur.
Comment percevez-vous la saison 2020 ? Depuis le 14 mai, nous enregistrons des réservations. Mais il y a la problématique des étrangers. Pour exemple, le camping est complet certains jours en août mais avec des réservations d’Anglais que je dois pour le moment prendre en compte. Il y aura sans doute beaucoup de réservations de dernière minute. Dans l’attente, nous prenons 1 € d’acompte et le solde 15 jours précédant l’arrivée. Cela rassure les clients.
On imagine mal les campings ne pas rouvrir. Quand pensez-vous pouvoir le faire ? Pas avant le 1er juillet. On ne relance pas un établissement comme Sunélia en quelques jours. Il y a au moins trois semaines de jardinage et de nettoyage à faire alors que nous sommes obligés d’attendre le 25 mai pour recruter mais aussi avoir le protocole sanitaire. Bien sûr, je prends des informations auprès des hôtels mais il y a de grandes incertitudes. Sur les piscines par exemple. De fait, l’anticipation est obligatoire. J’en suis à 10 000 € de dépenses pour assurer la protection du personnel.
Anne Latour – Hôtel Restaurant L’Océan au Bois-Plage
Ré à la Hune : Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
Anne Latour : Nous n’avons pas rouvert l’hôtel, intimement lié au restaurant. J’espère donc vivement en la date du 2 juin. En attendant, nous nous préparons activement. Le 25 mai, il y aura une réunion avec tout le personnel, dans le respect de la distanciation bien sûr. Mais c’est important de leur présenter le protocole de réouverture et tout ce qui relève de la protection de l’équipe. Puis nous mettrons en place les procédures clients dès que nous en aurons les détails.
En attendant ce détail, avez-vous déjà prévu des mesures ? Oui. Il reste des incertitudes sur la piscine mais dans les chambres, nous allons par exemple doubler les protections d’oreillers et de matelas, enlever les dessus-de-lit et tout ce qui ne peut pas être vraiment désinfecté sera ôté. Pour les recouches, c’est le client qui choisira. Soit de nous laisser entrer dans la chambre pour placer le linge propre, soit il lui sera fourni dans un sac et il nous rendra le linge sale de la même manière. Nous allons également avancer l’heure des départs afin d’assurer l’aération et la désinfection nécessaires. Un mail sera envoyé à tous les clients pour les informer de ces nouvelles procédures.
Que pensez-vous du plan de soutien au Tourisme ? La mise en place du chômage partiel a été un vrai soulagement et un élément très rassurant pour le personnel. Avec un plafond de 25% du chiffre d’affaires, le PGE n’est pas non plus négligeable. Mais il faut être réaliste : pour le moment nous sommes sous perfusion. Il est clair que nous devrons être prudents, avoir une gestion plus rigoureuse. Et il faudra attendre pour les investissements, très compliqués.
Comment percevez-vous la saison 2020 ? Nous restons optimistes. Ici, nous avons la chance d’avoir un bel espace extérieur pour le restaurant. Nous allons préserver les distances bien sûr mais aussi organiser les différents services. Il n’y aura ni poivre ni sel sur les tables et la carte des vins sera en papier donc jetable, par exemple. Je sens bien les mois de juillet et août. Mais il faudrait mieux promouvoir l’Ile de Ré l’hiver, allonger au maximum la saison jusqu’à la Toussaint et même pour Noël.
Antoine Sciard – Restaurant La Baleine Bleue à Saint-Martin
Ré à la Hune : Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
Antoine Sciard : Je ne crois pas en une réouverture dès le 2 juin. Plutôt vers le 10 ou le 15. Et même si c’était le cas, on rouvrirait avec quels clients ? Tant que la frontière des 100 kms n’est pas levée, c’est compliqué. De toute façon, nous sommes obligés de prendre notre mal en patience.
Quelle préparation en attendant la fin mai ? Mon associé et moi sommes venus à tour de rôle toutes les semaines pendant le confinement. Tout ce qui était à faire a été fait. Ne reste plus qu’à connaître les protocoles. Notre chance, c’est l’espace, les grandes terrasses, la possibilité d’utiliser la salle du 1er étage. Je ne pense pas enlever de tables, je me servirai plutôt de celles qui seront inoccupées pour y mettre de grandes plantes qui serviront de séparation par exemple. Pour garder la convivialité. Quant à nos fournisseurs, ils sont validés avec des livraisons prévues en 72h. Nous sommes prêts.
Que pensez-vous du plan de soutien au Tourisme ? Il limite les dégâts. Les exonérations de charges, le chômage partiel et le PGE sont une bonne chose. Mais nous n’engagerons pas plus de personnel ou alors des extras de manière ponctuelle si besoin.
Comment percevez-vous la saison 2020 ? Nous avons repris La Baleine bleue l’année dernière. C’était une année de remise en place d’un établissement vieillissant qu’il fallait renouveler. Or la seconde année est toujours très importante, celle où l’on doit conforter. Donc là nous sommes plutôt dans une phase de survie. Il y a l’aspect financier bien sûr, mais aussi psychologique. Le manque de visibilité crée une tension. Côté chiffre d’affaires, nous pensons faire 50 % de nos objectifs initiaux. Nous envisageons la vente à emporter mais aussi une carte plus accessible, sans perdre en qualité ni en personnalité. Tout cela reste à confirmer.
Marina Ducharme, directrice de l’hôtel Le Sénéchal, à Ars-en-Ré
Ré à la Hune : Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement, face à cette crise sanitaire ?
Marina Ducharme : « Résignée », car il s’agit d’une situation face à laquelle nous n’avons pas de « pouvoir », donc nous ne pouvons rien y faire, nous attendons chaque jour avec impatience les nouvelles de notre syndicat qui est très actif. Et nous maintenons l’hôtel beau et accueillant comme s’il allait rouvrir le lendemain !
Les hôtels ont pu rouvrir leurs portes depuis le 13 mai dernier. Quelles sont les contraintes sanitaires ? Nous avons reçu les contraintes sanitaires spécifiques aux hôtels et en attendant bien sûr nous avons respecté les gestes barrières afin de protéger les clients et l’équipe du Sénéchal (masques, gel et gants à disposition, petits déjeuners servis en chambre…).
Selon vous, quelle sera la tendance de cette saison 2020 ? Les réservations arriveront probablement à la dernière minute : les clients voudront être sûrs que toutes les conditions soient réunies pour que leur séjour soit possible (qu’il n’y ait pas de nouveau confinement) et réussi (que les plages et restaurants soient ouverts). Les étrangers ne viendront pas, mais peut être que les Français n’iront pas non plus à l’étranger et passeront donc leurs vacances en France, et sur l’île de Ré..
Propos recueillis par Aurélie Cornec
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