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Tony Brin, un ostréiculteur rétais qui fait de la résistance
Entre les sorties en mer et le travail sur l’exploitation, la journée d’un éleveur d’huîtres à La Couarde ressemble à une course de saut d’obstacles. Avant tout métier de passion, intense et physique, son avenir pourrait se résumer à cette formule lapidaire : se réinventer ou disparaître.
D’abord il faut prendre la D735 depuis La Couarde en direction de Saint-Martin. Tourner à gauche dans le chemin de la Moulinatte, faire 300 mètres, aller jusqu’à la mer, c’est là. Les plus courageux braveront le vent de face et prendront la piste cyclable. Peu importe, tous les chemins mènent à l’exploitation ostréicole Brin. Sur l’île, il suffit d’ailleurs de dire Brin et immédiatement, la réponse va fuser : « Les huîtres ! » Tel le village d’Astérix qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, en marge des gros producteurs ostréicoles de l’île de Ré et du continent, l’entreprise Brin développe une exploitation familiale à taille humaine, où le savoir-faire et l’amour du produit s’est transmis depuis les années 1930 et quatre générations.
À sa tête, Tony Brin, patriarche à la silhouette élancée, 60 ans tout juste sonnés, qui gère son affaire avec l’autorité tranquille d’un général sur le champ de bataille à qui on ne la fait pas : il voit tout, anticipe tout, a l’œil sur tout. Il le faut. La vie d’une exploitation ostréicole sur l’île de Ré est tout sauf un pertuis tranquille, elle est en prise directe avec les saisons, les aléas de la météo, les marées. Il faut sans cesse planifier et organiser en fonction du temps, un œil toujours rivé vers le ciel. Les applis météo type RainToday ou Marée.info, Tony les laisse à ses fils Maxence, 33 ans, et Raphaël, 32 ans. Lui préfère son bon vieux calendrier des marées, quand ça n’est pas carrément sa feuille de papier A4 affichée sur l’un des murs de son bureau, avec les coefficients écrits à la main, à l’ancienne. Au téléphone, il a immédiatement accepté le principe d’être suivi dans ses moindres déplacements et faits et gestes le temps d’une journée. Et assez vite aussi, Tony Brin ne s’est pas fait prier pour évoquer un métier en pleine crise d’identité, au carrefour des choix et des routes à emprunter pour les années qui viennent : « On fait 20 à 25 % de notre chiffre d’affaires pendant les fêtes. C’est une période importante mais heureusement, ça n’est pas la seule. Le marché commence à devenir très compliqué, il va falloir se réinventer sinon on est mort… » Le ton est donné, ça commence bien.
8h30 : vider les poches
Une journée-type en semaine avec Tony Brin débute à 8h30 précises. Rendez-vous devant le portail de l’exploitation. Il est largement ouvert, on entre. Dans la grande cour, plusieurs tracteurs avec leurs remorques accrochées. Un peu partout, des palettes entreposées, des bacs empilés. Sous le porche, trois bassins couverts remplis d’eau de mer, certains accueillant des caisses pleines d’huîtres, et trois réserves. Sur la droite, un large hangar, un petit bureau, et une remise où l’on range les cuissardes, les cottes de pêche étanches, les gants, divers matériels ostréicoles… Tony Brin est là, fidèle au poste. Il me conduit vers une autre partie en dur, où les employés sont déjà à pied d’œuvre. Ils ne sont pas trop de quatre pour vider les poches apportées la veille. Dix à douze kilos d’huîtres par poche, pas encore prêtes à la consommation car le travail de triage, de calibrage et de nettoyage est crucial. Pour l’heure, il s’agit simplement de vider la centaine de poches dans des grands containers. Les huîtres sont parfois presque noires, pas encore présentables, pleines de concrétions calcaires, de morceaux de roches, d’impuretés ou même de petits mollusques minuscules solidifiés et agrégés sur la coquille. « Je suis salarié chez Monsieur Brin depuis 35 ans, explique Thierry, qui part à la retraite à la fin du mois. Travailler dans l’ostréiculture, c’est toute ma vie. »
9h30 : trier et nettoyer les huîtres
La récolte de la veille est désormais prête pour le triage. La machine qui les accueille fait une dizaine de mètres de long et assure plusieurs fonctions. Elle réceptionne d’abord les huîtres au début de la chaîne, les brasse, puis les distribue sur un tapis roulant. C’est ici qu’intervient la première intervention manuelle. Ce jour-là, Thierry et Odile sont au triage. Ils sont concentrés sur leur tâche, il ne faut pas trop leur parler. Le geste est sûr et l’œil précis. Il s’agit en une demi-seconde de séparer les huîtres longues, destinées à la vente en gros et à l’export, des huîtres qui partiront en vente directe sur les marchés et dans quelques restaurants de l’île. Et puis il y a le troisième bac, la « bassine poubelle » qui reçoit des coquillages entièrement vides. La faute à ces diables de bigorneaux perceurs japonais. L’ocinebrellus inornatus a beau faire la taille d’un ongle, il est capable, tel le meilleur des cambrioleurs devant un coffre-fort, de percer un trou minuscule dans l’huître pour s’y introduire et se délecter du mollusque. À l’arrivée, il ne reste plus que la coquille. « C’est un énorme fléau pour nous et un terrible manque à gagner, peste Tony Brin. Ces bigorneaux sont arrivés du Japon avec l’importation des huîtres creuses dans les années 1970, et voilà le résultat ! On jette chaque jour 40 à 50 % de ce que l’on a mis quatre ans à faire arriver à maturité. » Impossible de se débarrasser de ce redoutable prédateur, seuls les grands froids et le gel peuvent en venir à bout. « Mais avec le réchauffement des mers, les grands froids c’est terminé… », constate-t-il, un peu amer.
10h30 : calibrer les huîtres pour la vente
Les huîtres qui passent entre les mailles du filet entrent maintenant dans la phase « calibrage ». Du haut de sa tour de contrôle, Sophie gère l’alimentation de la calibreuse avec l’assurance et la vista d’une pro aguerrie. N°4, n°3, n°6, il faut les ranger par taille. Dans un ballet parfaitement orchestré, la machine délivre, soupèse, calibre. Et en bonne gare de triage, renvoie les huîtres dans des poches vides une fois mesurées et pesées. Il faut en moyenne une seconde par huître, ça ne traîne pas et les poches se remplissent à vive allure. « On sort 80% de n°3, c’est ce que les gens préfèrent consommer sur les marchés et au restaurant », précise Tony. Quels marchés ? Quels restaurants ? « Avant je vendais mes huîtres dans une quarantaine de restaurants sur l’île et à La Rochelle mais j’ai arrêté. Les clients devenaient de plus en plus exigeants, il fallait livrer dans des rues piétonnes de moins en moins accessibles… Trop contraignant pour nous, stop. Aujourd’hui nous sommes présents sur le marché de La Couarde, hiver comme été. Et j’ai conservé quatre ou cinq restaurants avec lesquels je travaille bien, sans histoires. » Les huîtres labellisées « Tony Brin » ne se retrouvent aujourd’hui plus que dans les assiettes de la Cible et la Baleine Bleue à Saint-Martin, l’Océan au Bois, le Repère à Ars, et évidemment la Part des Anges, le spot historique, dans la grand-rue de la Couarde.
12h30 : parler du métier
On se pose un peu. Il est temps de parler métier, marché, perspectives. Sur le sujet, Tony Brin, il ne faut pas l’asticoter longtemps pour qu’il démarre au quart de tour. Surtout lorsqu’il est question de son chiffre d’affaires, en baisse constante depuis des années. « Les gens consomment moins d’huîtres qu’avant, c’est lié à plusieurs facteurs comme le fait de savoir les ouvrir ou pas, notamment. Et puis il faut bien le dire, dès que les médias parlent d’une intoxication alimentaire à l’huître (l’année dernière à la même époque, le bassin d’Arcachon a dû stopper sa commercialisation à cause d’huîtres contaminées, Ndlr), moi je vois mon chiffre d’affaires chuter dès le lendemain matin, c’est mécanique. La réalité est là : si on ne change pas radicalement nos manières de faire et de produire, on va mourir. » Rien que ça… Il enfonce le clou : « On sait produire mais on ne sait pas vendre. On est les derniers des Mohicans à travailler comme ça. C’est la fin d’un système. La solution désormais va être de valoriser notre produit, réduire considérablement nos quantités. »
Valoriser, qu’est-ce que cela signifie concrètement ? « On ne vend pas nos huîtres assez cher, poursuit Tony Brin, il faut absolument les mettre au juste prix. On est resté sur des quantités de production des années 1980. On continue d’en produire 130.000 à 140.000 tonnes par an au niveau national, alors qu’on n’en vend plus que 90.000 tonnes. C’est un problème. Du coup on subit le diktat des intermédiaires, ce sont eux qui fixent les prix. En ce moment, on vend à 1,50 € le kilo alors que ça nous coûte 2,80 € à produire. On vend à perte, c’est une équation impossible. On est coincés parce que si on refuse, le téléphone ne sonne plus, c’est aussi simple que ça. »
Produire moins, produire mieux, augmenter les prix au kilo… L’une des solutions, même si elle est loin d’être la seule, pourrait aussi être le label de qualité déposé il y a un an par plusieurs ostréiculteurs de l’île, dont Tony Brin fait partie avec quelques autres, comme Sébastien Réglin de la Cabane Océane, Didier Fournier de Ré Ostréa ou encore Jana Rose, de la Réthaise. L’APH-Ré, pour l’Association des Producteurs d’Huîtres de l’île de Ré, pourrait à terme faire des huîtres de l’île une marque attractive. Le processus est lancé, mais il prendra dix ans avant de voir le jour. « Il y a trente ans, on avait une vraie reconnaissance des huîtres de l’île de Ré, souligne Tony. On a perdu ça. Aujourd’hui, pour les consommateurs, les huîtres de l’Atlantique, c’est celles de Marennes-Oléron, point. »
14h : passer les huîtres au « karcher »
Retour à l’exploitation. Il est l’heure de passer les huîtres au nettoyage final, leur dernier brin de toilette – sans mauvais jeu de mot -avant de finir le lendemain sur les étals des marchés et dans les assiettes. C’est ici, dans cette lessiveuse, que les demoiselles vont trouver leurs reflets définitifs gris et argent. C’est ici aussi que l’on en goûte une de temps en temps, histoire de vérifier la qualité du produit. Un geste uniquement professionnel, aucune bouteille de vin blanc ne traîne dans les parages.
16h30 : se rendre dans les parcs pour charger les huîtres du lendemain
La mer est maintenant suffisamment basse, il est temps d’aller au dépôt chercher les huîtres du lendemain. Le dépôt, c’est le frigidaire naturel dans lequel sont stockés les mollusques en attendant d’être traités. Celui de Tony Brin se situe à quelques dizaines de mètres de la digue, de l’autre côté de la piste cyclable. Pour atteindre le parc à huîtres et les rangées de poches de coquillages, il faut attendre que la mer se retire suffisamment. Chaussés de cuissardes, Tony et Maxence s’enfoncent dans l’eau jusqu’à mi-mollet. Le tracteur conduit par Raphaël s’engage dans les allées étroites en marche arrière. Aisance, maîtrise, coup de volant du professionnel. On charge maintenant les poches qui attendent là depuis la précédente marée. Il faut aller vite et ne pas se faire prendre par la montée de l’eau. En une heure et quart, l’affaire est dans la poche. « Là c’est bien, on était trois. Mais parfois je fais ça tout seul, sans mes deux fils. Manœuvrer le tracteur, descendre, charger, remonter dans le tracteur tous les dix mètres… » Reste à retourner à l’exploitation, la remorque chargée d’une centaine de poches d’huîtres. Elles attendront là toute la nuit, avant d’être traitées le lendemain. Et ainsi de suite…
En même temps que la nuit, le froid commence à tomber sur la Moulinatte et la journée est terminée. Devant le portail, on évoque une dernière fois le métier, les conditions de travail qui ont changé. On demande à Tony si Thierry sera remplacé une fois parti en retraite. Réponse du tac au tac : « Ça m’étonnerait, on a de plus en plus de mal à trouver du personnel qualifié. »
Une difficulté supplémentaire dont Tony Brin se serait bien passée.
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