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Tatave : un grand artiste et un grand monsieur
L’île fête cette année le centenaire de la naissance de l’un de ses enfants : Octave Patureau dit Tatave. L’homme à la grande élégance de cœur et l’artiste qu’il fut, est encore vivant dans les mémoires des Rétais. Il a marqué son île, laissant derrière lui une œuvre picturale importante et un exceptionnel capital sympathie.
Issu d’une lignée de marins, Tatave est un pur produit rétais, descendant d’une famille portingalaise du côté paternel et arsaise par sa mère. Son père, Octave Patureau se retrouva capitaine de la marine marchande à 25 ans et consacra sa vie au commerce et au transport de passagers. Sa mère, Laurence Neveur, une femme d’une grande bonté, s’occupait de l’intendance pour que ses hommes puissent naviguer dans les meilleures conditions possibles.
Octave Patureau n’est pas un homme facile, mais il est travailleur, dévoué à sa famille et respecté de tous. C’est dans ce milieu méritant que son fils, portant le même prénom que lui et surnommé Tatave, sera élevé. D’abord marin, il deviendra pêcheur de homards puis moniteur de voile.
L’isolement d’une île qui ne s’est pas encore développée
Dans les années 20, la vie dans l’île n’est pas facile pour ses habitants. Isolée du continent par des communi- cations malaisées, les ressources sont peu nombreuses, les exportations le sel et le vin, les mêmes depuis des siècles, ne suffisent pas à apporter l’aisance à la population. Octave quittera l’île à la recherche d’un lieu plus favorable pour installer sa famille. C’est ainsi que Tatave naît à Toulon en 1922. Son père crée une entreprise de cabotage qui prendra progressivement de l’importance. Il pilote son premier bateau La Denise, puis un deuxième La Denisem (le m étant là pour moteur) avec lequel il s’adonnera au transport de primeurs et de passagers entre Roscoff et l’Angleterre, la Scandinavie et la côte Atlantique. L’esprit d’entreprise d’Octave s’épanouira dans le commerce, alors que Tatave préfèrera se consacrer uniquement à la pêche, dès qu’il le pourra.
La famille Patureau en 1953. Octave et Laurence, les parents, sont assis devant leurs enfants. De gauche à droite : Tatave, Denise et Loulou.
Rencontre avec Pierre tardy, un autre enfant du pays
Les années 30 verront l’installation de la famille à Rochefort, un portnettement plus important que ceux de l’île. C’est là que, la petite Denise verra le jour en 1930, à qui l’on don- nera le nom du bateau, Loulou étant né en 1925. C’est à Rochefort que Pierre Tardy, originaire du Fier d’Ars, professeur au lycée Pierre Loti, décou- vrira parmi les élèves de sa classe de dessin, Tatave, un grand garçon sym- pathique et très doué. Il est frappé, déjà à ce moment-là, par la qualité du dessin de l’enfant « en particulier, dès que le sujet avait trait à la mer, aux poissons, aux bateaux. »
Les affaires sont florissantes et Octave souhaite se procurer un bateau plus moderne pour son commerce. Il ira chercher La Jeune Denise à Hambourg. Pendant ce temps, Tatave poursuit des études fort honorables et son nom apparaît régulièrement au tableau d’honneur de sa classe, mais son père, espérant qu’il reprenne ses affaires, sou- haite qu’il passe le concours Maistrance, comme lui en d’autre temps, pour devenir capitaine de la marine marchande. Ce concours qui ne proposait à l’époque que 70 places pour environ 800 candidats est extrêmement difficile. Ses bons résultats scolaires ne suffiront pas à Tatave pour être accepté ; il obtiendra cependant le Brevet Elémentaire en juin 1940.
Plus rien ne sera jamais comme avant
Désormais, la guerre est là, bien installée pour durer et si elle n’impacte pas l’île de la même manière que le continent, elle marque néanmoins la fin d’une époque pour la famille Patureau. Tatave, qui rentre tout juste dans la vie active, est mousse sur le bateau de son père, avec qui il part pour de longues traversées. Une nuit à Concarneau, père et le fils vont aider une troupe de 180 soldats à échapper aux Allemands. Une autre fois, Octave Patureau trouvera le moyen de déjouer les plans de l’ennemi. Un officier de la marine allemande ayant découvert que La Jeune Denise avait été construite à Hambourg, tentera de la faire mettre à la disposition de son armée. Octave se débrouillera pour vendre rapidement le bateau à un armateur du sud-ouest et La Jeune Denise finira ses jours naviguant en Méditerranée. Ne disposant plus de bateau, Octave se reconvertit dans l’agriculture, mais le plaisir de partir en mer n’est plus là et il ne se remet- tra pas de voir son entreprise réduite à néant. Bientôt, Tatave, âgé de 21 ans en 1943, se trouvera dans l’obligation de partir en Allemagne pour le STO (Service du travail obligatoire). Il rentrera en juillet 1945, dans une île récemment libérée en raison de la poche de La Rochelle. Travaillant d’abord aux côtés de son père sur son nouveau bateau, il prendra progressivement en main les activités de pêche qui l’intéressent plus que le transport de marchandises et finit par s’y consacrer totalement après le décès d’Octave en 1953.
Une vie dédiée à la mer
A compter de cette date, il se mettra à peindre régulièrement. Tatave a toujours peint, en particulier durant les années passées au lycée, mais il n’a jamais pensé en faire son métier. Il est probable, d’ailleurs, que son père, considérant cette activité comme un simple loisir, ne l’aurait pas laissé faire. Il pêchera un temps avec son frère Loulou, qui finalement achètera son propre bateau et s’activera dans le pertuis d’Antioche, alors que Tatave parcourra le pertuis Breton et le Fier, à bord de l’Espoir. En 1952, il sera à l’origine de la création de l’école de voile au sein du Cercle Nautique d’Ars-en-Ré (CNAR). Bruno Jean-Bart, son neveu, indique à cette occasion dans l’ouvrage qu’il a consacré à son oncle : « C’est sans doute pour son activité de moniteur de voile que Tatave est le plus connu (1) ». Personnage véritablement atypique, il passera également à la postérité en tant que peintre, s’inscrivant dans une grande tradition française remontant au début du XIXe siècle (cf. encadré : Ars en Ré, sous le pinceau de tatave).
Dans les années 60, alors qu’il se consacre au CNAR chaque année dès le mois de juin, s’occupant de l’enseignement de la théorie auprès des jeunes recrues, il explique avec patience le réglage des voiles à l’aide de croquis sur le tableau noir de l’école communale d’Ars. Tatave participera à la création de la section locale de la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) avec Prosper Trocmé, le dernier sardinier d’Ars. Un zodiac sera confié aux deux hommes qui sera installé dans la caserne des pompiers et que Tatave transportera à bord de sa 403 chaque fois que nécessaire. A la même époque, il devient ami avec le Dr Duguy, du musée d’Histoire Naturelle de La Rochelle et sera leur correspondant pour la protection des mammifères marins.
Courageux et marin expérimenté, il sauve en 1962 un chalutier espagnol, le Lequeitio-II, échoué à Chanchardon. Ayant réussi à monter à bord, il tire le navire d’une situation périlleuse grâce aux manœuvres qu’il effectue et ramène le bateau et son équipage sain et sauf à La Pallice.
Le gouvernement espagnol l’invitera en Espagne pour fêter ce sauvetage ; une médaille lui sera remise ainsi qu’une magnifique montre en or offerte par l’armateur du chalutier et les marins espagnols reconnaissants !
Tatave à la pêche.
Un ancrage familial fort
Homme au caractère réservé et plu- tôt timide, Tatave est généreux, fidèle en amitié et particulièrement attaché à sa famille, ce que corroborent les différents témoignages à son sujet Ses neveux et nièces passent leurs vacances scolaires à la Grenouillère, la maison familiale, même après la disparition de leur grand-mère. Laurence Jean Bart, sa nièce, fille de Denise, nous fait découvrir dans ses souvenirs le respect qu’ils avaient tous pour Tatave et la bienveillance qu’il leur manifestait. (cf. encadré : le chien Youki).
Un artiste à part entière
Tatave était avant tout un peintre d’aquarelle, une technique beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît car l’exécution doit être rapide et qu’il est impossible de revenir sur ce que l’on a fait. Technique peu courante dans l’île à l’époque ou de « vrais professionnels » tel Barbotin, Roullet, Enard tenaient le haut du pavé rétais ! Autodidacte, il se fie à son goût et à ses envies. Il peint beaucoup en particulier dans la décade 60/70 et pourtant il ne possède pas d’atelier, s’installant un peu partout dans la nature, sur le port d’Ars, dans les marais salants ou sur son bateau l’Ariel. Il n’a jamais cherché à faire de son art une source de revenus et il ne pensait à signer ses toiles que lorsqu’il les offrait comme le raconte sa nièce Maryline Dupic (Cf. encadré : Une signature ou pas). Au fil des années, il devient la coqueluche des estivants parisiens qui s’entichent de ce personnage atypique capable de leur vendre des homards au retour de pêche et de leur offrir une délicate aquarelle le soir au dîner.
Car il est invité de plus en plus fréquemment dans les villages du nord de l’île et sa mère s’agace de le voir distribuer gracieusement son travail pictural. En hiver, il peint des cartes de vœux dans le salon de sa mère, sur une table que sa nièce Maryline Dupic a conservé et prêté lors de la dernière exposition des créations de Tatave en avril dernier, salle du Havre à Ars. (cf La table aux cartes de vœux). Vers la fin de sa vie, Laurence Jean-Bar poursuivant des études aux Beaux-Arts d’Angoulême, lui fera découvrir l’encre de chine qu’il utilisera dans ses dernières aquarelles pour souligner certains contours (cf. encadré : L’encre de chine).
Cet homme, généreux et dévoué à sa communauté, acceptera à la fin de sa vie de faire partie de l’équipe municipale d’Emile Gaudin. Mais la politique n’est pas sa tasse de thé. Premier conseiller en charge du port, il assure une lourde tâche qui ne lui permettait pas de satisfaire tout le monde et il en souffrait. Malade dans les dernières années de sa vie, il ne parlait jamais du mal qui finira par l’emporter le 30 novembre 1984.
1) « Tatave, peintre de l’île de Ré » de Bruno Jean-Bart avec une préface de Pierre Tardy, parti en avril 2001.
Le bassin d’arc et le café du commerce.
Nos remerciements les plus sincères, pour les informations sur la vie de Tatave, les prêts de documents et de photos et les témoignages, vont à Laurence Jean-Bart, Maryline Dupic et Jerôme Dumoulin.
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