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Sous les planètes alignées
Lorsque je participe à un festival, me vient toujours le regret de n’avoir pas le don d’ubiquité.
Au seuil de Jazz au Phare, ce dimanche 4 août, je voudrais être un peu plus qu’humaine. Comment ferais-je honneur à la programmation de cette année, dont les têtes d’affiche font tourner la mienne, de tête – Zaho de Sagazan, The Dire Straits Experience, Caravan Palace et pour finir Murray Head, en rattrapage du rendez-vous manqué de l’an dernier ? Il faudrait que je n’aie pas besoin de dormir, à peine celui de manger, pour ne manquer aucun des concerts off qui scandent la journée, de 11h à 23h30 et ce, 4 jours durant… Sur le point d’entrer dans la 15e édition du festival Jazz au Phare, je sais déjà que je ne verrai pas tout de ce qu’a à offrir « ce lieu de rencontres et d’échanges », comme le dit Jean- Michel Proust, son directeur artistique, « où l’on vient pour une affiche, et que l’on quitte riche de tout l’inattendu. » Il est 19h30, et les pans du chapiteau de la Java des Baleines s’entrouvrent. Dans l’échancrure d’où s’échappe une vive lumière, une main me fait signe. Vous êtes prêt ?
Ladies first
« Les planètes étaient alignées », dira Jean-Michel Proust à la fin de l’aventure, et de fait, si l’on se rappelle les conditions météorologiques qui ont mis un terme précipité à la 14e édition, on regardera la clémence du ciel comme un signe. La douceur de l’air invite à se laisser glisser dans la soirée comme dans un rêve. L’équipe de la Java, sobrement vêtue, accueille les festivaliers pour la soirée d’ouverture. Une grande dame est à l’honneur : Aretha Franklin, disparue il y a presque six ans jour pour jour, et à laquelle the Natural Woman Band rend hommage. Tatiana Gronti est à l’initiative de cette formation toulousaine , Découverte du festival de Jazz de Toulouse en 2023. Ses mots d’introduction donnent le ton des jours à venir : « On est en famille. Ce n’est pas un spectacle, ce soir, on est à la maison. Vous avez le droit de vous émouvoir, rire, pleurer, danser, chanter. » Et de fait, lorsqu’une heure plus tard, la soprano Juhelle Nirinarisoa entonne « Young, Gifted and Black », hymne à la lutte pour les droits civiques écrit par Nina Simone, sous le chapiteau qui affiche complet, dans le silence qui s’installe, l’émotion est palpable. La choriste récolte une ovation.
Femme-tempête
Ses organisateurs l’ont dit : un vent nouveau, un vent électro, souffle sur le Phare. Lundi 5 août, ce ne sont pas les arbres qu’il agite, mais la foule venue nombreuse contempler une comète. De star, elle n’en a pas la prétention, mais un talent grandi sur une sensibilité bouleversante qu’elle ne fait pas mine de cacher. Zaho de Sagazan a 24 ans, de l’humour à revendre, une présence scénique rare et une équipe de choc : quatre musiciens, « les garçons », qui l’entourent comme les pétales un coeur de tournesol. Sa philosophie, elle la résume en une phrase : « Être sensible, c’est être vivant, et on n’est jamais trop vivant. » Elle se raconte sur scène, sans fard, sans emphase, les épisodes douloureux de sa vie devenus des chansons sur lesquels on a moins envie de pleurer que de danser. Elle change le plomb en or, Zaho. Ou plutôt, en énergie pure. Alchimiste d’un genre nouveau, elle transmute les pensées tristes en influx électriques qui vous remuent le corps à votre insu. « Lâchez-vous », vous dit-elle, « comme si personne ne vous voyait. Faites n’importe quoi. Dansez. » Et tandis qu’elle remonte le parterre jusqu’aux gradins, faisant lever sur son passage les bras et les gens, vous chantez après elle « Ah, que la vie est belle », de Brigitte Fontaine, et vous le pensez. Vraiment.
Je ne vous ai pas encore présenté Claudine. Elle connaît bien Jazz au Phare, depuis quatre ans qu’elle y assiste, logée au camping La Pérouse, ce qui lui permet de tout faire à pied. Elle aime le jazz, Claudine. Après le concert de Zaho, elle n’avait pas envie de rentrer se coucher. Elle a poussé la porte du Café du Phare, d’où des notes de piano s’échappaient. Ahmed Gülbay et son quartet y faisaient le boeuf devant un public rassemblé dans la chaude solidarité des mélomanes comblés. Elle reconnaît la jeune femme qui entre à son tour et se met au micro. C’est la chanteuse du groupe LRMS, Margot Soria, en première partie de Zaho, très électro. Mais la voici qui déploie une voix puissante de jazzwoman à vous faire dresser tous les poils. C’est pour ça qu’elle revient, Claudine. Pour les découvertes du jour, et les frissons de la nuit.
Quand le jazz est là…
L’électro ne s’en va pas. Mercredi 7 août, le beau temps persiste. Sur le terre-plein encore clairsemé, les premiers spectateurs installent des couvertures, on sirote un verre au bar en regardant le ciel rosir par-dessus la digue. La parade des Allumés du Phare joue un air de Duke Ellington, « Caravan », en hommage au groupe qui tient ce soir le haut de l’affiche. Caravan Palace réconcilie les contraires, en répandant depuis 15 ans sur les scènes internationales les vibrations de l’électro-swing, du Django Reinhardt qui aurait mis les doigts dans la prise. Colotis Zoé est une boule de feu qui propulse son public dans une autre dimension. Ses cinq compagnons de route manient leurs instruments en bondissant, comme mus par des ressorts. La nuit est déjà bien avancée lorsque les lumières de la scène s’éteignent, celles du parterre s’allument. Le silence, soudain. « On aime vous regarder danser », susurre la chanteuse en s’asseyant au bord du plateau. Les bras levés, la foule ondule comme un champ de blé. « Lâchezvous ! » lance-t-elle, et il semble que ce soit le cri de ralliement de cette 15e édition vibrionnante.
Claudine est retournée au Café du Phare, la veille au soir, après le concert de The Dire Straits Experience. A ce propos, Chris White, du haut de ses 74 ans, avait presqu’autant d’énergie que Colotis Zoe, et s’était entouré de musiciens de très grands talents. Généreux, avec ça, ils avaient joué jusqu’à minuit passé ! Pour autant, elle avait cédé en sortant aux sirènes du Ahmed Güblay Quartet, et voilà, elle était rentrée à 2h du matin, prise dans l’enchantement des sets qui s’enchaînent, de la complicité entre musiciens de passage qui apprennent à se connaître en jouant, de la résonance des standards que l’on fredonne tant on les connaît bien, mais que chaque improvisation renouvelle. Ce soir, elle fait une pause, pour profiter de la dernière journée, demain.
Un tremplin pour l’an prochain
Jeudi 8 août, 15h. J’ai rendez-vous avec l’inattendu. Au programme du Jazz Connexion, le tremplin Jeunes talents du festival, Six for six, une formation toulousaine – comme ses trois concurrents, qui se sont produits à la même heure les jours précédents : Salmon Saumon, Polis Matak et Giampaolo Missaglia Sextet. Curieux, cette coïncidence géographique. Jean-Michel Proust s’en amuse aussi. « Chaque ville a un son. Cela lui vient de son conservatoire, de ses professeurs. Cette année, nous avons eu le son de Toulouse. » Et sa générosité. Les Toulousains aiment leur public, me dit encore Jean-Michel. Cela se sent, avec Malo Evrard, le leader de Six for six. Il mène sa barque avec une assurance qui n’a rien à envier aux professionnels. Ce « mini big band », pour reprendre ses propres termes, né de son désir de faire comme les grands, mais en plus léger, enchaîne les compositions et les arrangements originaux, jouant de l’équilibre entre les six instruments, parfaitement ajustés. Pour le concours, ils se prêtent à l’exercice d’interpréter deux standards arrangés à leur façon, dont Take five, de Paul Desmond. J’ai dans l’esprit, très présent, la version de Dave Brubeck mais me laisse prendre à la déconstruction ingénieuse qu’en a fait le pianiste Etienne Manchon, par ailleurs lauréat de l’an passé avec son trio et qui était sur la grande scène la veille, en première partie de Caravan Palace. Il se fait là tout à fait discret, le dos courbé sur son piano dont il semble sonder les profondeurs harmoniques, les yeux fermés. Instant de grâce. La scène, dressée sous les frondaisons du Café du Phare, qu’ils laissent vacante, reprend du service à 18h avec le Leslie Lewis Quartet. Ici, Jazz au Phare entretient son ADN de festival ouvert à tous. Les badauds et les festivaliers se croisent à la terrasse du café, on applaudit en sirotant une menthe à l’eau, on commente, on compare, vous étiez là lundi ? Pour Alex Grenier et son quartet. C’était bien, aussi. On communie dans la fraîcheur soudaine et bienvenue d’un petit vent venu de la mer.
Après le concert de Murray Head, un moment de douceur et de simplicité où le célèbre chanteur et acteur, dans un français impeccable, a partagé anecdotes et chansons connues avec un public conquis d’avance, Claudine s’est dirigée d’un pas assuré vers le Café du Phare. L’établissement dégorgeait son trop-plein d’auditeurs sur la terrasse, on se tordait le cou pour voir. Elle est restée dehors à écouter, les yeux dans les étoiles. L’année prochaine elle reviendra, pour entendre Six for six, les jeunes qui ont remporté le Jazz Connexion, pour la beauté du site, pour la gentillesse et l’efficacité des 104 bénévoles ; pour le jazz et pour l’inattendu ; pour les découvertes du jour et les frissons, la nuit.
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