Sous le lustre du temps : les « Ré-miniscences » de Loulou Gaudin
Dans un livre témoignage, Louis Gaudin, figure d’Ars-en-Ré, déroule un paysage d’anecdotes et de réflexions. Mêlant récit de vie et évocation des transformations ayant marqué l’île de Ré depuis plus de 80 ans, l’ouvrage se distingue, dans la production éditoriale « rétaise », par son ton percutant et sans emphase.
Quand ils voient l’escalier [qui jouxte sa maison], les gens qui passent croient qu’on est riches », confie Louis Gaudin, amusé de cette confusion, en raccompagnant l’auteur de ces lignes. De fait, celui que tout le monde appelle « Loulou », et qui habite depuis si longtemps avec son épouse Josette à proximité de l’emblème du village – le magnifique clocher des « trois églises » d’Ars-en-Ré – revendique ses attaches et son passé paysans. Ce Casseron « d’origine » – bien qu’il n’apprécie guère ce type de formulation – est aussi un témoin privilégié des évolutions qui ont traversé l’île de Ré depuis de nombreuses années, et qui scandent le livre de « Ré-miniscences » qu’il vient de publier à compte d’auteur.
Ce dernier, kaléidoscopique dans sa forme, constitue une sorte d’écho à la vie tourbillonnante de Loulou, qu’il déplie à travers l’évocation entremêlée de morceaux choisis et d’épisodes-clés de l’histoire récente de l’île. L’ouvrage déborde d’anecdotes, respire le sens du tranchant autant que le souci du vrai, et témoigne d’une verve et d’un goût pour le débat qui tranchent avec le ton policé des plumes « rétaphiles » habituelles. Dans un contexte de prolifération de livres sur l’île de Ré, son histoire, son patrimoine, et jusqu’à même ses « personnalités », Loulou nous livre un récit qui frappe par au moins deux aspects. D’abord, l’humilité de son auteur, qui assume délivrer là « son » point de vue de « paysan » ayant connu une autre île, mais aussi d’acteur majeur du développement agricole local (il est souvent présenté comme le « père » de la labellisation AOP de la pomme de terre de l’île de Ré). Ensuite, son attention chevronnée à sortir des sentiers battus d’une vision trop enchantée et folklorisante du passé, qui fait directement écho à ce que les historiens ont appelé depuis longtemps « l’invention de la tradition » (soit le processus par lequel des éléments culturels sont remodelés et cristallisés au service de la constitution d’une appartenance localisée).
Qu’on penche avec ou contre Loulou à propos des querelles parfois savantes dans lesquelles s’immisce son récit, on appréciera toujours la franchise de l’exposé et la droiture du style (« ni en deçà, ni au-delà », comme aime à dire son auteur). Jusqu’à sa façon d’évoquer sa propre personne, ses goûts, ses actions, ses pensées du moment, Loulou, loin des clichés bien commodes qui entourent l’île de Ré, fait droit à la complexité et aux contradictions, à l’exception touchante de certaines convictions que le temps ne semble pas avoir érodées, telle son hostilité à certains ornements de sa chère église…
Rencontre avec le fringant auteur de ces « Ré-miniscences ».
Ré à la Hune : Pourquoi ce titre, Les Ré-miniscences de Loulou ?
Louis Gaudin : Parce que ce ne sont pas des « mémoires ». Les mémoires, on en vérifie le contenu. Ce sont vraiment des réminiscences, ce qui fait que ce n’est pas obligatoirement net.
Ce livre, vous y pensiez depuis longtemps ?
Pas du tout ! D’ailleurs, j’ai pris des notes juste comme ça. J’ai eu une vie assez active. Et puis j’ai des petitsenfants, enfin surtout une, qui m’a dit « Ecoute, tu as eu une vie active, faut que t’écrives ! ». Il y a 20 ans de ça. Et je m’y suis donc mis en 2015. Et j’ai fait un bouquin. Et puis en écrivant le livre, deux-trois personnes m’ont dit « On veut le voir ». Alors je leur ai fait voir, et elles m’ont dit « Mais ça, ça intéresse plus large que ta petite-fille ».
Vous commencez le livre en prévenant le lecteur que vous y serez « parfois rugueux » et « parfois avec un petit côté déballage »…
Ce n’est pas un livre fait à l’eau de rose. Ni en deçà, ni au-delà… C’est fait pour faire voir que dans l’île de Ré, la vie n’est pas si facile que certains le croient. Mais il n’y a pas que moi qui ai écrit un bouquin comme ça.
Il y est beaucoup question des Rétais…
Ouais, je les engueule ! Ah non, parce qu’ ils ne se rendent pas compte de l’image qu’ils renvoient parfois… Pendant la querelle sur le pont, je faisais partie de la fédération des pommes de terre primeurs. Et il y avait eu une discussion entre Philippe Lamour (ex-président de la CGA, ancêtre de la FNSEA), et Brice Lalonde (ancien président des Amis de la terre, association écologiste). Un jour le beau-frère du premier me dit : « Mais qu’est-ce qu’ils ont tes Rétais, ils sont pas bien ? Ils ne s’attendaient pas à un grand spectacle pour ou contre le pont ? ».
Et puisque vous dites que vous engueulez les Rétais, vous avez eu des retours de Rétais qui ont lu votre livre ?
Qu’est-ce que vous appelez Rétais ?
Ah ce n’est pas à moi de répondre à cette question…
Ah les Rétais… Il y a les Rétais on va dire d’origine, un petit peu comme moi si on veut. Et puis il y a les Rétais qui sont là depuis 40-50 ans, qui à mon avis sont autant Rétais que les Rétais. Sinon parfois plus. Ceux qui ne sont pas d’origine sont très contents de ça. Il y a toujours eu du cabotage. Et vous allez au cimetière, vous verrez, il y a des grandes familles qui ont complètement disparu. Il y a toujours eu du cabotage. Les gens qui sont Rétais, Rétais mais pas d’origine, comme on pourrait dire, comme certains disent, ceux-là semblent apprécier.
Et les autres ? Et les Rétais « d’origine » ?
Bah pas de retour. J’ai trois ou quatre paysans qui m’ont dit « C’est bien Loulou, c’est bien ce qu’on a vécu. C’est bien ton caractère, c’est bien ». Mais les autres, je n’en ai pas…
Et vous revenez sur vos prises de position parfois contre le vent…
Il y a eu des blocages. Par exemple, le sel, dans les années 60, la Fédération des exploitants agricoles m’avait dit « On te met responsable pour mettre en route le marché commun ». Bon, j’ai fait une réflexion sur le sel, qui est encore d’actualité, puisque j’avais dit « attention, quand on regarde le catalogue des produits destinés à entrer dans le marché commun, la pomme de terre n’y est pas, mais le sel est un produit industriel ». Le lendemain, tout le monde m’est tombé dessus. Et puis il y a que le Docteur Moinet qui était membre du CA de la Fédération des producteurs de sel qui a dit « Loulou Gaudin il a raison ». Et tous les gens m’en ont voulu hein. Les Rétais sont durs, ils n’acceptent pas qu’on leur dise quoique ce soit.
Il y est aussi bien sûr question de l’église d’Ars…
Les gens tiennent à leur clocher, et il ne faut surtout pas le changer. Et l’intérieur, c’est pareil. Alors que l’édifice de l’église n’a pas été fait pour être comme il est actuellement. Il fallait garder la façon dont a été faite l’église à l’origine. Il faudrait remonter à la Mésopotamie… On va vers la lumière. Et alors, on a un lustre entre les deux. Mais qu’est-ce qu’il fout ce lustre-là ?
Il n’y a pas longtemps qu’il est là. Vous en êtes où des ventes ?
Il y en a 140 qui sont partis actuellement, même plus.
Et ça va continuer ?
Ça va continuer, parce qu’il y a pas mal d’estivants qui vont venir au mois d’août. Mais des gens… Qui sont d’ici. Enfin que je considère comme d’ici.
Pour la préface, vous avez demandé à Jérôme Dumoulin…
C’est le même principe que pour celle qui m’a corrigé, je voulais quelqu’un qui ne soit pas trop d’ici, qui n’est pas vraiment d’ici, enfin, qui ait pas pris trop part. Et alors j’ai demandé à Jérôme Dumoulin, qui a tout de suite accepté. Et j’ai été époustouflé quand j’ai lu ça. Il y a raconté plein d’histoires. Le patriarche, mon père, etc. C’est tout à fait drôle. Drôle mais très bien écrit, attention.
Le livre est en vente au magasin
Ars-Presse, à Ars-en-Ré (place
Carnot), au prix de 15 euros.
Réflexions sur l’« identité rétaise »
« Aujourd’hui, les passeroses, ou roses trémières et autres végétaux triomphent. Le continuel travail journalier du passé laissait bien peu de temps pour le superflu dont le fleurissement. Déjà pas mal que les sociétés (maintenant on dit « associations ») avaient des adhérents assidus pour une vivante vie locale, mais on avait bien peu de temps pour fleurir » (p. 83).
« S’il y a peut-être un caractère rétais, il n’y a pas un type physique rétais. Ils sont grands, ils sont petits, forts ou non. Mon grand-père Babeuf était élancé et son épouse, comme mon autre grand-mère, bien basses. Les chevelures sont aussi fort différentes, les origines des noms divergent. Le cabotage a sans doute permis un lent mais continuel apport extérieur et cela s’accélère… » (p. 85).
« Mais la vie paysanne, surtout pour les femmes, c’est aussi une vie fort rude, une vie d’esclave. Je me souviens notre voisine de marais, devenue volumineuse, souvrayer tout un après-midi et, le lendemain matin, on apprenait qu’un petit casseron Cailleteau était de notre monde » (p. 97)
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