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Sécheresse, canicule : quels impacts sur les récoltes des maraîchers ?
Tout le monde s’accordera à dire que cette année fut exceptionnelle en termes d’épisodes caniculaires, et si pour certains comme les prestataires de tourisme c’est une bonne nouvelle, pour d’autres, comme les maraîchers, cela est loin d’être un cadeau…
Si le gel touche plus particulièrement les vignes et les vergers, les maraîchers, eux, craignent plus la chaleur, ils usent alors de techniques pour sauver leurs récoltes. Mais cela aura-t-il suffit à sauver leur saison ?
Quelles solutions pour pallier les fortes chaleurs ?
Dans le milieu du maraîchage, il existe plusieurs stratégies pour sauver ses cultures face aux phénomènes climatiques, et notamment en cas de fortes chaleurs. La technique du blanchiment de serres, par exemple, est communément pratiquée en début d’été. Les maraîchers mélangent de l’eau avec de la poudre de calcaire pour obtenir un mélange pâteux qui s’opacifie en séchant. Cette couche de protection va réduire la photodégradation des bâches de serre et, ainsi, augmenter leur durée de vie. Elle va également permettre la réduction des températures dans la serre et donc améliorer le travail des pollinisateurs et des maraîchers. Cette couche s’en va d’un coup de chiffon à l’hiver pour, à l’inverse, garder un maximum de chaleur quand les températures sont négatives.
“On a blanchi les serres fin mai – début juin comme d’habitude, nous avons été très contents de l’avoir fait car la météo avait prévu une première vague de chaleur et ça a permis de la passer sans soucis”, nous explique Jean- Baptiste Lacombe, gérant du Potager Roi au Bois-Plage-en-Ré. “Cependant, il y a une pluie intense juste derrière, normalement une pluie ne suffit pas pour effacer le blanchiment, mais là cette pluie était assez conséquente pour l’effacer complètement, et ne l’ayant pas refait, mes serres ont bien brûlé. La température idéale dans une serre est de 25°C dès qu’on arrive à 40°C, les fleurs brûlent. Pareil à l’extérieur pour les pieds de tomates, ils ont subi une coulure à cause de la chaleur, des bouquets étaient déjà ouverts et ont brûlé donc ils ne pouvaient pas être pollinisés. On a bien vu le résultat un mois et demi après puisqu’il n’y avait rien à récolter, pour cette semence en tous cas. On a eu également le cas pour les tomates vertes, qui étaient donc déjà formées, mais qui ne mûrissaient pas parce qu’il faisait trop chaud contrairement à ce que l’on peut croire. Nous mettons également des filets sur nos salades, cela permet évidemment d’éviter que les lapins, les faisans ou encore les pies ne les mangent, mais cela les protège aussi contre l’évaporation car ces filets leur procurent 30% d’ombre en plus, les salades résistent donc mieux en cas de fortes canicules. Nous choisissons également des espèces plus résistantes à la chaleur, mais pour les tomates ça reste compliqué, il n’y a pas vraiment d’espèces plus résistantes. Il existe donc plein de solutions techniques mais parfois par fainéantise ou par manque d’argent, nous ne les mettons pas en place. De plus, il faut bien noter qu’une canicule est un événement ponctuel et brutal, donc difficile à maîtriser. Cela a eu des répercussions sur les récoltes mais également sur nous, la fatigue s’est très vite fait ressentir car nous devions nous lever tôt le matin pour travailler de nuit jusqu’à 13h”, poursuit-il.
Y-a-t-il eu un manque d’eau ?
Les maraîchers sont d’accord pour dire que le côté positif est qu’il n’y a pas eu trop de pluie, ce qui est bien car cela éloigne les maladies des récoltes, et donc ils évitent les traitements fongicides. Cependant, la sécheresse assèche les nappes phréatiques. C’est donc l’histoire du chat qui se mord la queue…
Lors de certains épisodes caniculaires importants, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a émis des restrictions d’eau pour pallier la sécheresse et préserver les ressources en eau potable. Si cela semble logique et moins contraignant à mettre en place à son domicile pour arroser ses quelques pieds de tomates ou remplir sa piscine, cela l’est beaucoup plus pour un maraîcher qui doit arroser ses cultures puisqu’il s’agit de son gagne-pain. Alors en ces temps de restriction, comment font-ils pour arroser quand même ? Les maraîchers rétais ont-ils manqué d’eau ?
Ivonig Caillaud nous donne son ressenti : “Si je n’ai pas eu de problèmes côté récoltes, j’ai cependant eu des soucis avec les nappes phréatiques qui sont descendues très bas, on a eu du mal à utiliser les puits peu profonds pour irriguer les cultures. La chance que l’on a est qu’on a un réseau d’irrigation sur l’île, même si l’eau recyclée est de moins bonne qualité que l’eau de la nappe, ça a au moins permis d’irriguer les cultures et de ne pas les perdre. Sauf à la fin du printemps, quand tout le monde arrosait beaucoup, notamment la pomme de terre AOP, les bassins d’irrigation ont commencé à être à un niveau critique et il a fallu que l’on s’organise dans l’association d’irrigation pour se partager le temps d’irrigation sinon les bassins ne suivaient pas.”
Jean-Baptiste Lacombe nous dit ce qu’il en est pour lui : “Je n’ai pas manqué d’eau et pourtant j’ai vraiment eu peur de ne pas en avoir car les forages ont désamorcé assez tôt, on a vu les niveaux baisser mais ça ne s’est jamais tari. Quant aux restrictions du Gouvernement, heureusement elles n’ont jamais empêché d’arroser la nuit, nous sommes sur des cultures longues, si on arrête d’arroser ne serait-ce que trois jours on a trois mois de boulot qui s’envolent. En maraîchage on a la chance de pouvoir arroser beaucoup en goutte à goutte, ce qui consomme beaucoup moins d’eau, il n’y a que les salades que j’arrose encore en aspersion. On fait donc au mieux, mais le problème c’est que l’on puise dans une nappe phréatique sans savoir à quel moment elle va se tarir. Ce qui a été le cas pour Harald Lesaigle des Vergers de Sainte-Marie qui n’a pas pu arroser ses fraises. Il y a donc la gestion de l’eau d’un côté et la gestion de la chaleur de l’autre, ce sont deux choses à la fois liées et distinctes et il faut jouer avec ce qu’on a à notre disposition pour sauver un maximum de récoltes.”
Qu’en est-il des récoltes ?
On l’a donc compris, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les fruits et les légumes n’aiment pas les grosses chaleurs. A contrario, dès qu’il fait moins chaud, tout ce qui est un peu en apné pendant une canicule se met à mûrir d’un coup, et il y a des pics de production. Ce sont donc les montagnes russes pour les maraîchers, soit ils n’ont presque rien à récolter, soit beaucoup trop pour pouvoir revendre tout ce qu’ils ramassent d’un coup. Ils se sont ainsi retrouvés avec d’énormes récoltes par moment et ont été obligés de se revendre les fruits et légumes entre eux pour éviter les pertes. Certains d’entre eux ont même été obligés de vendre la récolte aux supermarchés à prix cassés…“Quand vous laissez vos tomates Coeur de boeuf biologiques à 2,50 euros le kilo cela fait mal au coeur vu le travail que ça a demandé derrière, on est à un tiers du prix normal, mais nous n’avons pas le choix…et bien évidemment la grande distribution en profite, les acheteurs le savent, donc on est pris à la gorge”, nous confie Jean-Baptiste Lacombe.
Récoltes mitigées du côté des jardins du Boréal à Saint-Martin de Ré qui a perdu des plantations de haricots verts, de salades : “Depuis trois ans nous arrêtons très tôt, environ début juillet, car à cause de la chaleur et du terrain sableux de l’île de Ré, ces semences ne tiennent pas. Avec les arrêtés préfectoraux, nous avons dû rationner l’eau et faire de l’arrosage uniquement en goutte à goutte la nuit… nous nous sommes donc limités à planter ce qui pousse bien avec cette technique d’arrosage autrement dit les tomates, courgettes ou encore les aubergines, tous les légumes remontants et nous avons réussi à sauver au moins ces cultures en procédant comme cela.”
Ivonig Caillaud des jardins de Mouillebarbe à Ars-en-Ré, n’a pas vécu ces épisodes de fortes chaleurs de la même façon dans le nord de l’île : “Je n’ai pas l’impression qu’on ait spécialement vécu de canicule, car comme il y avait de l’air les soirs ça a permis de ventiler. Je n’ai donc pas eu de problèmes particuliers sous les serres à cause de la chaleur. Il est vrai que ça a été un peu plus compliqué s’est bien passé grâce au blanchiment des serres”.
Quelles solutions pour l’avenir ?
C’est un fait, le réchauffement climatique provoque de plus en plus de phénomènes météorologiques soudains et de catastrophes naturelles, Ivonig Caillaud en a clairement pris conscience : “On a l’impression que c’est le genre d’événements qui vont se répéter, et dans l’île de Ré c’est un peu particulier car d’un côté il y a la DREAL qui veut préserver le paysage, elle m’empêche donc de planter des arbres car selon elle ça va cacher la vue sur le clocher d’Ars, alors que pour moi planter des arbres c’est créer un environnement plus favorable pour les cultures, faire un peu d’ombrage, mieux garder l’humidité sur la parcelle, se protéger du vent, etc…ce sont des décisions qui sont prises par je ne sais qui je ne sais où mais qui sont un peu folles car cela nous empêche de faire évoluer nos systèmes de production, et au regard des contraintes que l’on a actuellement cela n’a pas de sens…”
Effectivement, l’être humain va devoir s’adapter à ces changements climatiques, et encore plus ceux qui travaillent la terre. Certains maraîchers nous ont donné des éléments de réponse en pensant à semer des espèces plus résistantes, en installant des protections sur leurs cultures, mais il faudra également que les acheteurs des centres commerciaux s’adaptent pour permettre à ces personnes qui nous nourrissent de pouvoir vivre de leur métier… “Le problème avec les prix bradés en supermarché c’est que cela fait croire au grand public que c’est ce que vaut une tomate Coeur de boeuf alors que pas du tout. Nous sommes en train de travailler là-dessus avec la Communauté de Communes car il y a vraiment besoin d’un dialogue entre maraîchers pour qu’il y ait une sorte de cohérence sur les prix dans ces moments-là. Pourquoi pas organiser une vente exceptionnelle dès qu’il y a des surplus afin que tout le monde soit gagnant ou qu’il y ait un seul acheteur qui s’adresse à tous les maraîchers et négocie au bon prix. Pourquoi pas également nous allouer une somme d’argent au niveau de la CdC pour nous donner les moyens de protéger nos récoltes. Nos activités sont des activités primaires et donc essentielles à tous, il faudrait nous aider à les sauver lors de ces phénomènes ponctuels. Il ne faut pas oublier que sur l’île de Ré nous faisons notre chiffre d’affaires annuel simplement sur juillet et août. Heureusement j’ai une autre activité à côté, je suis paysagiste concepteur et donc je dors sur mes deux oreilles, mais pour d’autres, le maraîchage est la seule source de revenus…Il faut repenser le modèle économique, l’Etat a également sa part à faire dans cette histoire pour soutenir nos métiers…On a vraiment besoin de trouver des solutions”, conclut Jean-Baptiste Lacombe.
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