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- Histoire - La marquise de Tencin
Une scandaleuse libertine à la baronnie de Ré
Il est un lieu, visible encore aujourd’hui, rue Baron de Chantal à Saint-Martin qui, sous le règne de Louis XIV connut bien des avatars et ne cessa de passer de main en main : la Baronnie de Ré. Quand enfin Jean Masseau de Beauséjour l’acquiert et en devient le baron, on pouvait espérer une accalmie. Il n’en fut rien et c’est la plus scandaleuse des libertines de la Régence, la Marquise de Tencin, qui en 1743 en deviendra la propriétaire par des moyens tout aussi scandaleux qu’elle !
En ce début XVIIIe, l’île vit grâce au sel et à la vigne. Jean Masseau, un négociant d’Ars va bâtir sa fortune sur le commerce de ce sel qui échappe encore à l’impôt. Dans le cadre de son négoce, il a développé des liens amicaux avec Charles-Joseph de la Fresnaye, capitaine de la patache des douaniers qui surveillent les pertuis et les côtes à la poursuite de contrebandiers. Les affaires vont bon train et Masseau est en mesure, en 1710, d’acheter la baronnie de Saint-Martin. Le rêve de sa vie se concrétise. Il s’investira totalement dans son rôle de seigneur et fera fructifier son patrimoine. Bel homme qui plaît aux femmes, la Fresnaye s’intéresse à la fille du baron, Aimée-Marie et en 1718, après une année de fiançailles, les jeunes gens convolent en justes noces. La dote est séduisante et La Fresnaye, monte à Paris pour s’occuper de ses affaires.
Le Paris du Siècle des lumières
À Paris, la Régence bat son plein. Philippe d’Orléans, monarque dévoué à l’État tente de mettre en application ses idées tout en essayant de tempérer l’absolutisme du règne précédent. On discute, dans les cafés et les salons, des théories des philosophes pendant que les savants cherchent à comprendre le fonctionnement du monde. On s’amuse aussi et le Régent n’est pas le dernier. Assoiffé de plaisirs, jouisseur invétéré, il se livre dans l’intimité à de véritables orgies. C’est dans ce milieu qu’évolue Alexandrine de Tencin, que La Fresnaye rencontrera pour son plus grand malheur.
Claudine Alexandrine Guérin de Tencin, la « nonne » de Grenoble
Issue de la petite noblesse grenobloise, Alexandrine est forcée par son père à prendre le voile. Elle ne lui pardonnera jamais, pas plus qu’au reste de la gent masculine ! Elle parviendra à se faire relever de ses voeux par le Pape et se rendra à Paris, bien déterminée à rattraper le temps perdu ; elle n’hésitera pas à employer la luxure pour construire sa fortune et asseoir son influence. Belle, intelligente, cultivée, elle tient de son père un sens aigu des affaires et comprend que pour réussir, elle doit faire partie du cercle rapproché du Régent. Qu’à cela ne tienne, elle sera la grande ordonnatrice de ses plaisirs. Arrivée désargentée à Paris, elle se retrouve rapidement à la tête d’une confortable fortune ! Elle devient la maîtresse attitrée de l’abbé Dubois dont elle pense qu’il a de l’avenir. Elle ne se trompe pas, l’homme sera bientôt promu secrétaire d’État aux Affaires étrangères puis, Premier ministre. Au milieu de cette vie tumultueuse, elle trouve le moyen de donner naissance à un garçon, qu’elle abandonnera sur le parvis d’une église. Récupéré par son père, il deviendra d’Alembert, le célèbre encyclopédiste.
La rencontre avec La Fresnaye
Installé désormais à Paris, La Fresnaye achète une charge d’officier public, puis est nommé banquier expéditionnaire en cour de Rome, c’est-à-dire transporteur de fonds. Les fonds, le plus souvent de l’or à l’époque, sont des espèces sonnantes et trébuchantes transportées d’une banque à une autre par route et nécessitent d’être accompagnées et protégées. L’expérience de La Fresnaye trouve sa place dans ce genre d’activité et quand Mme de Tencin a besoin d’un porteur se rendant à Rome pour accompagner des fonds, c’est à lui qu’elle s’adresse.
Il n’était pas prévu qu’elle tombe amoureuse. Lui non plus probablement, comme le montrera la suite des événements. Délaissée et enceinte, l’épouse de La Fresnaye, s’ennuie à Paris et retourne dans l’île de Ré où elle décèdera peu de temps après avoir accouché ainsi que son enfant quelques mois plus tard. La Fresnaye, libéré de toute contrainte matrimoniale, donne alors libre cours à sa passion pour le jeu.
La chute de la Maison Masseau
Bernard Guillonneau(1) pose la question à laquelle Daniel Bernard apporte une réponse dans son ouvrage(2) : « Comment Jean Masseau de Beauséjour fut-il amené à s’endetter ? »
S’étant rendu à Paris, le baron Masseau, dont le fils a épousé la soeur de La Fresnay – ceci expliquant cela -, se laisse séduire par les « dîners du mardi » de Mme de Tencin. Ébloui par le luxe et la compagnie qu’il y rencontre, il « aide » la marquise à qui il remet de belles sommes d’argent. De son côté, le capitaine, qui devait être plus beau qu’intelligent, souhaitant imiter sa maitresse dans les jeux de la finance, monte une petite banque, métier dont il ignore tout, fait de fort mauvais investissements et se retrouve ruiné. Pour sauver les quelques terrains et valeurs qui lui restent sur l’île de Ré, il transfert le tout, par acte notarié, à Mme de Tencin.
Quelques mois plus tard, la situation s’étant améliorée, La Fresnaye tente de récupérer ses biens et découvre la véritable personnalité de Mme de Tencin qui n’a aucunement l’intention de lui rendre quoi que ce soit. Affolé, il appelle son beau-père à son secours. Jean Masseau qui a déjà pas mal « financé » les diners du mardi croit trouver une oreille favorable à un compromis ou un arrangement auprès de Mme de Tencin et pense encore pouvoir éviter une banqueroute. Dès son arrivée à Paris, il se précipite chez Alexandrine qui ne lui refusera pas son aide et lui prêtera 50 000 livres (environ 200 000 €), mais avec un acte passé devant Me Jourdan, notaire.
Ces deux hommes n’ont pas compris que seuls l’argent et le pouvoir intéressent Mme de Tencin. Rien ne s’arrangera pour La Fresnaye, qui aura le mauvais goût de venir se suicider le 18 février 1726 sur le divan du boudoir de sa maîtresse. Le scandale est énorme !
La marquise de Tencin, baronne de l’île de Ré
Quelques années plus tard, en 1734, Jean Masseau décède sans avoir pu rembourser ses dettes. Il a même dilapidé sa fortune et les deux enfants, Jean-Pierre et Marie-Madeleine, qu’il laisse derrière lui ne tardent pas à voir arriver les créanciers. Mme de Tencin n’attendait que ce moment-là pour faire valoir ses droits et s’y était préparée. Elle exige le remboursement de 95 000 livres augmentées des intérêts. La baronnie est saisie et lui est adjugée, après dix ans de procédure, le 23 août 1743 par arrêt de la cour de Paris. Alors âgée de près de 62 ans, elle séjournera dans l’île à plusieurs reprises, mais n’aura pas vraiment le temps de profiter de son titre : elle meurt le 4 décembre 1749 dans son hôtel particulier de la rue Saint-Honoré.
Catherine Bréjat
(1) Les Grandes Heures de l’île de Ré, Bernard Guillonneau, Ed Rupella.
(2) L’excellent La Tencin, la scandaleuse baronne du Siècle des lumières de Daniel Bernard, Ed L’Harmattan.
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