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Rencontre avec Jean-François Guillon
A l’occasion du festival, Jean-François Guillon a été invité à présenter, parmi ses oeuvres, deux installations où les insectes font signe(s).
Dans la cour de la Petite école de La Noue, une forêt de pancartes blanches sur piquets noirs frémit au vent en faisant un bruit de carillon japonais. Sur les panneaux, des signes : des caractères gothiques à l’encre noire se défont sous nos yeux, au gré de leur métamorphose. Pourvus de pattes, d’antennes et d’ailes, on s’attend à les voir filer du carton, échapper à notre regard et à notre compréhension. Du dessin de la lettre à celui de l’insecte, procédant à leur hybridation, le pinceau de l’artiste nous dévoile leur familiarité inattendue. Chez Jean- François Guillon, la lettre se défile, elle s’émancipe du sens pour faire signe, énigmatique, redevenu indéchiffrable. L’insecte l’anime, lui fait dire autre chose que sa valeur d’usage. Nous assistons à une coalition du minuscule, de l’insignifiant – au sens propre et au figuré – ce que l’on ne remarque pas et ce qui n’a pas de signification en soi. Cette brèche dans la perception ordinaire des choses, ce pas de côté ouvrent un espace où l’esprit, saisi, se rend disponible à autre chose : l’émotion artistique, le sentiment poétique, la grâce, on lui donnera le nom que l’on voudra mais avec ce petit quelque chose qu’apporte la course rapide et désordonnée d’une fourmi sur la page d’un livre : une tendre dérision, la garantie de ne pas se prendre au sérieux.
L’installation Insectes gothiques dans l’île de Ré
Jean-François Guillon est Rochelais par son père. Il a pour l’île de Ré un attachement qui lui rend précieuse l’invitation de Pascal Gauduchon de s’y exposer. Avec ce dernier, le lien est familial et historique : la grand-mère de l’un et le père de l’autre étaient tous deux instituteurs sur l’île. Une amitié transgénérationnelle dont on ne s’étonnera pas qu’elle ait conduit l’organisateur du festival à souhaiter la présence de l’artiste pour illustrer le dialogue de l’art et de la science. L’installation Insectes gothiques préexistait au festival. Elle est le fruit d’une résidence à la Devinière, la maison natale de Rabelais. L’esprit de ce dernier et de son siècle y préside. Avec la naissance de l’imprimerie, les lettres gothiques sont remplacées par les caractères romains. Le temps est à la classification de la nature. Auteur prolifique, Rabelais est un encyclopédiste avant l’heure. Jean- François Guillon choisit pour support à ses dessins les cartons qui servent à nommer les plantes, et les insectes emportent avec eux les morceaux de lettres en voie de disparition.
Son intérêt pour le langage, il le fait remonter à son père, linguiste, auteur du Bescherelles (manuel de conjugaison qui a donné du fil à retordre à quelques générations d’écoliers) et à son grand-père maternel, libraire et premier traducteur en français de F. G. Lorca. Aux Beauxarts, il se forme à l’estampe. Son travail s’articule autour du mot (ou de son absence) et de la lettre, et emprunte différentes formes : dessins, installations, photo et, depuis dix ans, la scénographie avec Didier Galas.
Pour le festival, il crée la deuxième installation, exposée à la médiathèque de Sainte-Marie : vingt dessins à l’encre en couleur, grand format, suspendus à la façon des kakemono. Le dessin de lettres est pour l’artiste une pratique régulière, une « gymnastique visuelle » que les insectes ont progressivement investie, à partir de leur observation in situ. La régularité du geste, sa familiarité, lui confèrent un aspect méditatif qui le rapproche de la calligraphie. Le regard contemplatif s’arrête sur le signe, s’arrête sur l’insecte, oublie le mot, oublie l’animal, pour ne s’intéresser qu’à la forme, au rapport formel de l’un et de l’autre. Pour ce travail, Jean- François Guillot est parti d’alphabets occidentaux et d’un alphabet japonais, l’hiragana, qu’il fait évoluer et mêle, jusqu’à créer des lettres nouvelles que la présence des insectes bouscule et interroge. « Le langage articulé nous distingue de toutes les créatures vivantes. Mais que comprenons-nous de la communication des insectes ? On sait maintenant que la danse des abeilles est aussi complexe qu’un code de la route. Sait-on ce que dit une fourmi qui se frotte les antennes ? »
Des balades à Fontainebleau qu’il faisait, gamin, avec le Club d’entomologie du Palais de la Découverte, il a conservé l’habitude de remettre en place la pierre qu’il a soulevée ; de sa création pour le festival, un nouveau rapport à l’insecte qu’il a dessiné et regardé vivre. Ses oeuvres témoignent de ce changement de regard, et nous invitent à notre tour à nous arrêter, à suspendre notre geste, à ne pas écraser le cousin dans la douche – à ne pas faire de mal à une mouche.
Le festival Insectes est terminé, mais l’installation Insectes gothiques reste visible à la Petite école de La Noue, aux heures d’ouverture, et continuera son chemin d’itinérance dans d’autres lieux de l’île dans les mois à venir.
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