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Ré sous l’occupation allemande
Le 14 juin 1940, les Allemands rentrent dans Paris. C’est le début de l’occupation et d’une France divisée en deux : la zone libre dans le centre et le sud-est du pays et la zone occupée dans le nord et le long de la côte Atlantique. La situation stratégique de l’île de Ré le long de cette côte fait qu’elle est occupée dès le 29 juin et qu’elle va subir tous les aléas de la guerre comme un grand centre névralgique.
LE DÉBUT DE L’OCCUPATION ALLEMANDE
Au grand étonnement de la population, les Allemands se conduisent plutôt bien au début. Ils sont polis, font l’effort de parler français et aident les vieilles dames à traverser les rues ! Leur conduite est à l’image de celle véhiculée par les affiches de la propagande montrant le soldat allemand en défenseur de la veuve et l’orphelin. Il est vrai que tous les Allemands ne sont pas des adeptes de l’idéologie nazie et certains officiers, tel l’Oberleutnant Peter Ludewig basé à Sainte-Marie, sont francophiles. Par ailleurs, la guerre de Cent ans ayant laissé des traces indélébiles, il perdure dans l’île un ressentiment anti-anglais que la destruction par ceux-ci d’une escadre française mouillant dans le port de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940, ne fera qu’exacerber. « Dans l’ensemble, ils étaient corrects » entend-on dire. Cela ne durera pas. Les difficultés inhérentes à toute cohabitation occupants/ occupés, les actions de la Résistance les rendront soupçonneux et nerveux et les revers sur le front de l’Est les démoraliseront.
La situation stratégique de l’île
Sentinelle avancée sur la frontière maritime face aux ports de La Rochelle et de La Pallice, Ré occupe, et a toujours occupé depuis le XVIe siècle, une position stratégique. Les autorités militaires allemandes ne sont pas les dernières à le comprendre et vont faire de l’île une véritable place fortifiée.
Le Mur de l’Atlantique
Dès 1942, les Allemands savent que Charles de Gaulle, chef de la France libre, prépare un débarquement avec l’aide des alliés. L’attaque de Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, fait entrer les États- Unis dans la Deuxième Guerre mondiale et renforce l’opinion de l’Allemagne que ce débarquement devient inéluctable. Des mois durant, l’armée allemande bétonnera sur 4 400 km la côte occidentale de l’Europe, de la Norvège aux Pyrénées, afin d’empêcher un débarquement depuis la Grande- Bretagne. 15 000 ouvrages étaient prévus, faute de temps seuls 8 000 seront construits (plus de 11 millions de tonnes de béton et 1 million de tonnes d’acier utilisés !), conçus par l’organisation TODT, groupe de génie civil et militaire, oeuvrant au service du Troisième Reich dans les territoires occupés.
Les Allemands sont convaincus que le débarquement aura lieu près d’un port suffisamment important pour assurer la logistique des troupes débarquées. Cette logique orientera l’implantation des batteries côtières. L’édification de défenses sur les autres fronts, notamment celui de l’Est, et celle des bases de lancement des V1 font que l’organisation TODT prend du retard comme le constate le maréchal Erwin Rommel lors d’une inspection du mur, à la suite de laquelle il est chargé, en janvier 1944, de la défense du Nord- Ouest de l’Europe jusqu’à la Loire. Rommel procède immédiatement au renforcement des défenses : mines et obstacles anti chars vont ensemencer les plages et des obstacles sous-marins sont déposés au bord de ces dernières pour détruire les péniches de débarquement. La stratégie de Rommel vise à repousser les Alliés dès le débarquement, à l’inverse de celle de Von Rundstedt qui estime que des troupes armées et blindées doivent être prêtes à combattre plus à l’intérieur des terres. Hitler ne tranchera pas : 3 divisions seront positionnées près des côtes et le reste à l’arrière.
Dans l’île de Ré, c’est également l’organisation TODT qui se préoccupe de la défense. La construction du « Mur de l’Atlantique » nécessitant une main d’oeuvre importante, la citadelle de Saint-Martin devient le centre de regroupement des travailleurs forcés et le centre pénitentiaire passe sous administration allemande. Les détenus politiques continuent d’affluer à Saint-Martin et bien qu’affamés sont employés aux lourds travaux de défense côtière.
À la veille du débarquement, le « Mur » constitue un obstacle de taille pour les troupes alliées, mais n’offre pas la résistance à laquelle aspirait Rommel et la deuxième ligne défensive reste très incomplète.
Le débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, fait naître un immense espoir dans la population, cependant il va falloir s’armer de patience : il faudra attendre un an pour que la région soit libérée ! Les « poches de l’Atlantique », dans lesquelles l’armée allemande s’est retranchée, résistent et celle de La Rochelle, dont Ré fait partie intégrante, ne sera délivrée que le 9 mai 1945.
LA VIE QUOTIDIENNE
Les aménagements et les règles de sécurité qu’impose la défense de l’île pèsent lourd sur la vie quotidienne des Rétais. Accueillir 2 500 Allemands pour une population de 9 000 habitants, c’est-à-dire pratiquement un tiers de personnes en plus, n’est pas simple.
Le ravitaillement des troupes, imposé par la convention d’armistice, est la première préoccupation. Les hommes étant mobilisés, la main d’oeuvre agricole se fait rare et une pénurie durable s’installe au plan local comme dans le reste de la France. Pénurie gérée par la création de cartes de rationnement dès octobre 1940, qui va susciter l’apparition d’un « marché noir », juteux pour certains. Dans l’île, zone agricole, la vie est moins difficile qu’en milieu urbain, chaque famille se nourrissant de la pêche dans les écluses, des légumes qu’elle cultive, des volailles, lapins et parfois cochons qu’elle élève. Mais il faut nourrir 2 500 personnes de plus qu’en temps de paix dans un territoire restreint, dont les communications avec l’extérieur étaient limitées et règlementées pour des raisons de sécurité.
Le logement posait aussi problème. Le parc immobilier n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui. Des maisons sont réquisitionnées pour les officiers et la cohabitation fait naître des frictions entre occupants et occupés.
Vivre en « zone interdite » implique qu’il faut posséder un Ausweiss pour sortir de l’île et aller sur le continent et, au fil d’une situation qui se dégrade, l’obtention de ces laissez-passer est de plus en plus difficile.
Les hommes sont requis pour surveiller les installations érigées par les Allemands afin d’empêcher tout sabotage. La mise en place du Service du Travail Obligatoire (STO), qui se faitmalgré les négociations de Pierre Laval avec Fritz Sauckel, chargé d’amener en Allemagne toute la main d’oeuvre disponible en Europe, aggrave la situation. Les hommes des classes 40, 41 et 42 obligés d’aller travailler en Allemagne, l’occupant réquisitionne les jeunes gens de 15 à 18 ans, pour installer des batteries dans l’île de Ré. Sur le plan logistique, le petit train est remis en service avec un nouveau parcours desservant les batteries allemandes. Le réseau routier est renforcé et une ligne téléphonique installée, reliant les batteries entre elles.
Et puis, avec la guerre, la vie quotidienne c’est aussi la mise en place des mesures antisémites et l’apparition des premiers cadavres sur les plages…
La Résistance rétaise
Organiser la Résistance sur un petit territoire de 85 km2 avec une telle densité d’occupants ennemis (28%) s’avère difficile. Néanmoins, dès le mois d’août 1940 ont lieu des actes de résistance : coupures de lignes téléphoniques, incendies dans des baraquements et des batteries… cependant la Résistance rétaise s’orientera plus vers le renseignement où elle donne sa pleine mesure. À l’initiative d’Albert Libot, un groupe se constitue en 1941 avec à sa tête le lieutenant Bayonne de Saint-Martin, mais il est rapidement démantelé à la suite d’arrestations. Les trois principaux courants de la Résistance seront représentés dans l’île : le réseau Alliance dans la mouvance du général de Gaulle, l’OCM (Organisation civile et militaire) regroupant toutes les tendances et le Front National.
Une terrible tragédie va frapper la Résistance rochelaise et rétaise : la trahison à Bordeaux du chef régional Grandclément. La Résistance rochelaise en sera détruite et sur l’île soixante personnes seront arrêtées. Plusieurs Rétais s’expatrient dont Albert Libot et Maurice Martineau qui gagnent l’Angleterre. Le lieutenant Bayonne rejoint les Forces Françaises Libres (F.F.L.) par l’Espagne. Certains prennent le maquis tel Paul Verdon, d’autres comme Fernand Aunis et Henri Brin sont envoyés en camp de concentration dont ils ne reviendront pas. Malgré une répression impitoyable, des Rétaises et des Rétais continuent le combat.
Début 1944, la Résistance se réorganise selon trois axes : secteur A, Saint-Clément, les Portes et Ars, secteur B Saint-Martin, le Bois-Plage, La Couarde et Loix, et enfin le secteur C, Sainte-Marie, La Flotte et Rivedoux. Des contacts sont établis avec la résistance rochelaise à qui sont communiqués les plans de défense de l’île. Il est difficile d’évaluer les effectifs de la Résistance rétaise, cependant on sait que le groupe d’Ars comprenait une quarantaine de personnes. À partir de cette donnée, on peut extrapoler que plus d’une centaine de personnes étaient concernées par la Résistance dans l’île.
LA LIBÉRATION
L’année de tous les risques
À la suite du second débarquement des Alliés dans le Sud-Est de la France, le 15 août 1944, le commandement allemand décide du retrait général des troupes stationnées dans le Sud- Ouest de la France. Cependant Hitler ne veut pas que des installations hautement sécurisées tombent aux mains des Alliés. La Rochelle en fait partie. D’un côté, les Allemands sont prêts à tout pour conserver La Rochelle et les deux îles de Ré et d’Oléron, de l’autre, la Résistance qui s’équipe, grâce aux parachutages de matériel et d’armes, ne cesse d’attaquer les arrières de l’ennemi. Quant aux Alliés, ils intensifient les bombardements aériens sur le port de La Pallice, la base sous-marine construite par les Allemands en 1942 et l’île de Ré, créant un climat d’insécurité que le hurlement permanent des sirènes rend d’autant plus angoissant pour la population.
Hubert Meyer, capitaine de frégate, voulant empêcher la destruction du port de La Pallice, entreprend de négocier avec le vice-amiral Schirlitz, commandant de la place Après de nombreux contacts, il réussit, le 20 octobre 1944, à faire accepter sa proposition à Schirlitz : les Français ne déclencheront aucune attaque contre la « poche » de La Rochelle si les Allemands acceptent de ne pas détruire le port de La Pallice. Une convention est signée entre les deux hommes qui, à l’époque, n’est pas connue du grand public. C’est ce qui explique que de nos jours certains membres du conseil municipal de La Rochelle puissent éventuellement envisager de baptiser du nom de Ernst Schirlitz une rue du Grand Port Maritime !
Libération rocambolesque de l’île de Ré
La situation est tendue de tous côtés. Dans l’île, l’armée d’occupation est sur les dents ; la Résistance, plus active que jamais, transmet tous les renseignements qu’elle peut sur les mouvements de troupes, de sous-marins et l’emplacement des armes défensives à La Rochelle et se méfie des collaborateurs rochelais qui se sont réfugiés dans l’île avant de passer en Espagne. C’est dans ce contexte exacerbé que, le 30 avril 1945, les troupes françaises débarquent à Oléron qui est officiellement libérée à partir du 2 mai. La reddition totale est proche, mais la « poche » de La Rochelle tient bon. Le colonel Schumaker, chef de l’Office of Strategic Services (l’OSS, ancêtre de l’actuelle CIA), arrive le 5 mai à l’Aiguillon et veut faire un coup de force en faisant tomber Ré, sans se préoccuper des dégâts humains que cela pourrait entrainer. Les forces alliées en présence ainsi que la Résistance rétaise s’y opposent car elles estiment qu’un débarquement de nuit déclenchera le tir des batteries allemandes. Le 7 mai, la reddition sans condition des forces armées allemandes est confirmée avec cessation des hostilités fixée au 9 mai. Les officiers français basés à La Rochelle apprennent alors que Schumaker a donné l’ordre de débarquer dans Ré, ne tenant aucun compte de ce qui lui a été signifié et qu’un commando d’une vingtaine de personnes s’est embarqué à bord d’un chalutier en direction de l’île. Grâce au sang-froid de Fernand Couillaud, chef de la Résistance rétaise, et de Maurice Martineau, lieutenant dans l’armée américaine, qui contactera le commandant de l’île, le capitaine de vaisseau Günther, pour lui expliquer que cette action marginale « était en contradiction avec les instructions du haut commandement militaire », le pire sera évité.
Les Rétais auront sorti leurs drapeaux trop tôt ! Le commando reprendra la mer et l’île de Ré devra attendre un jour de plus sa libération. Le commandant Ardouin est désigné pour occuper Ré et désarmer les Allemands qui sont regroupés à la citadelle de Saint-Martin, à la Couarde ainsi qu’à Rivedoux. Une période douloureuse de l’histoire de l’île se termine pour s’ouvrir sur la non moins difficile reconstruction.
Des vestiges patrimoniaux
L’île de Ré, avec celle d’Oléron, La Pallice et La Rochelle constituaient le secteur défensif de La Rochelle. Le sol de l’île de Ré en porte les cicatrices indélébiles et abonde en vestiges qu’il est encore possible de voir et visiter. Karola, construite en 1943 sur la commune d’Ars. La batterie Kora, érigée à partir de juillet 1943, est le deuxième maillon de ce site créé de toutes pièces par les Allemands et que viendra compléter la batterie aérienne transférée depuis Saint-Martin, faisant de l’ensemble la plus grosse batterie côtière de Charente-Maritime.
En dehors du site de Karola, les Allemands investissent les anciennes batteries construites à la fin du XIXe siècle à la Couarde, Sainte-Marie, Saint-Martin et Rivedoux. Mais elles ne sont plus adaptées aux nouvelles armes de tir et doivent être modifiées. Quelques-unes ont une portée de tir de plusieurs kilomètres et sont protégées par des bunkers dont certains ornent toujours nos plages. La batterie Herta*, quant à elle, est placée au Pertuis d’Antioche. Occupée par 168 marins, elle abrite le poste de commandement général, c’est le 2e site fortifié le plus important après Karola.
Bibliographie :
Histoire de l’île de Ré, Michaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Ed Le Croît Vif – GER.
L’île de Ré 1939-1945. Résistance et répression de Jean-Claude Paronnaud (Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation).
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Vos réactions
Il est mentionné dans cet article (très intéressant) que « Le colonel Schumaker, chef de l’Office of Strategic Services (l’OSS, ancêtre de l’actuelle CIA), arrive le 5 mai à l’Aiguillon et veut faire un coup de force en faisant tomber Ré, sans se préoccuper des dégâts humains que cela pourrait entrainer. » puis que « Les officiers français basés à La Rochelle apprennent alors que Schumaker a donné l’ordre de débarquer dans Ré, ne tenant aucun compte de ce qui lui a été signifié et qu’un commando d’une vingtaine de personnes s’est embarqué à bord d’un chalutier en direction de l’île. Grâce au sang-froid de Fernand Couillaud, chef de la Résistance rétaise, et de Maurice Martineau, lieutenant dans l’armée américaine, qui contactera le commandant de l’île, le capitaine de vaisseau Günther, pour lui expliquer que cette action marginale « était en contradiction avec les instructions du haut commandement militaire », le pire sera évité. »
Mon grand-père faisait partit de l’OSS et le débarquement n’avait pas pour but de faire « tombé Ré », mais d’obtenir des renseignements sur les centaines de collaborateur des « Sicherheitsdienst » ou SD, le service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS car de nombreux collaborateurs de ce funeste service avait trouvé refuge dans les poches allemandes sur l’atlantique, dans l’espoir d’être exfiltré vers l’Espagne puis l’Amérique du sud.
Les actions de l’OSS et plus tard de la CIA ne sont pas de nature à combattre militairement un bataillon de soldats retranché dans des bunkers. Le négociateur Meyer, un militaire de carrière Pétainiste, se semblait pas très enclin à traquer ses anciens amis, chose que l’OSS et mon grand-père ont fait à sa place et malgré les risques. Ils étaient d’ailleurs présents avant les troupes de l’armée régulière le lendemain pour mener à bien leur mission de renseignements.
Si cela vous interesse, j’ai une copie d’un document dans lequel le nom du propriétaire du chalutier apparait, ainsi que le prix pour la mise à disposition et de carburant consommé pour cette opération.