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Ré, sentinelle du changement climatique
Territoire à la géomorphologie plate, l’île est en première ligne de la montée des eaux. Derrière ce phénomène encore peu visible, le changement climatique se manifeste déjà concrètement dans la vie insulaire.
En 2023, l’île de Ré connaissait son quatrième été le plus chaud depuis un quart de siècle, avec une température moyenne de 20,9°, soit 1,3° au-dessus des normales. Sachant que les deux précédents records dataient de 2022 et 2018, on comprend que cette succession d’étés (et d’hivers) de plus en plus chauds ne doit plus grand chose au hasard. « Les mois de cet été sont dans la continuité de ce qu’on observe depuis plusieurs années. Les mois se suivent et sont souvent plus chauds que la normale, ce qui est caractéristique du réchauffement climatique », explique Laurent Feuillatre, météorologue1.
Une étrange invitée
Quelques mois plus tôt, l’année 2023 avait débuté par l’échouage de milliers de physalies sur les côtes vendéennes et charentaises, et notamment sur l’île de Ré2. De couleur bleu électrique, avec des reflets roses, ce magnifique invertébré marin avait suscité la curiosité des promeneurs, intrigués par cette sorte de « méduse » qu’ils n’avaient jamais vue auparavant. Il faut dire que cette espèce de la famille des siphonophores, cousine de la méduse, est plus habituée aux côtes du large de l’Afrique et du Portugal que celles de l’Hexagone. « Avec le réchauffement climatique, on peut s’attendre à les voir de plus en plus. Plus l’eau se réchauffe, plus elle va trouver des conditions propices pour se reproduire et se nourrir », commente Jean-Michel Maggiorani, biologiste à l’Aquarium de La Rochelle. Lorsque la température maximale de l’eau était habituellement comprise entre 20 et 22 degrés l’été, elle est désormais comprise sur la façade atlantique entre 22 et 24°.
Du sel sous le soleil
Outre les physalies, les biologistes ont constaté ces dernières années l’arrivée sur la côte atlantique de certaines espèces de barracudas, de balistes et de carangues. Ces nouveaux venus, qui se nourrissent de nombreuses larves de poissons ou de crevettes, entrent en compétition avec les espèces endémiques et menacent la biodiversité. En première ligne de ces changements, les ostréiculteurs rétais observent les premiers effets sur leurs huîtres, les périodes de sécheresse plus fréquentes provoquant une surchauffe des claires, une salinité excessive et une mortalité accrue des bivalves. Dans le même temps, l’absence de saisons « marquées » favorise le développement d’espèces nocives pour les huîtres. « Nous subissons par exemple une prédation exponentielle du bigorneau-perceur, qui s’attaque à la coquille des huîtres. Comme il n’y a plus d’hiver, il pullule alors que quelques jours de froid suffisent en principe à éliminer cette vermine », explique l’ostréiculteur rétais Tony Brin.
Mêmes causes, effets différents : les sauniers de l’île de Ré réalisent en 2022 une récolte record de sel. Sur les sept dernières saisons, les exploitants de marais salants constatent des récoltes supérieures à la moyenne des années précédentes, concomitantes à une multiplication des périodes de sécheresse. A priori, des températures plus chaudes sont de bon augure pour les sauniers, qui, contrairement aux autres professions agricoles, « se satisfont » des périodes de sécheresse, voire de canicules. « Cela signifie qu’il y aura plus d’évaporation, donc plus de sel », estime Louis Merlin, saunier à Saint-Clément 3. A contrario, une plus grande évaporation entraîne plus de nuages et d’épisodes de pluie (comme nous le constatons cet hiver), véritables ennemies des sauniers. Si ces pluies arrivent quand les marais sont « au repos », comme cet hiver, les marais sont suffisamment résilients pour évacuer cette eau douce.
Vendanges précoces
Les viticulteurs de l’île de Ré doivent faire face, quant à eux, à un mûrissement de plus en plus précoce du raisin. « Par rapport au début des années 2000, nous avons avancé les vendanges d’une quinzaine de jours », confirme Jérôme Poulard, responsable technique de la coopérative Uniré. Quand les vins de l’île de Ré avaient du mal à atteindre les 11 degrés d’alcool il y a une trentaine d’années, les bouteilles titrent aujourd’hui 13°. « On a par exemple avancé la récolte du merlot, qu’on utilise pour les pineaux, d’une quinzaine de jours. Sinon, il monte trop vite en degrés », explique Jérôme Poulard.
Il a fallu également adapter les vendanges afin d’éviter les trop fortes températures… de septembre ! Depuis quelques années, les vendanges se font de nuit, pour profiter de la fraîcheur et éviter que le raisin ne soit soumis à de trop fortes températures. Autre problème : avec les hivers de plus en plus doux, la vigne débourre dès le mois de mars, ce qui augmente le risque de gelées.
L’eau monte…
C’est sûrement le phénomène le moins visible lié au changement climatique sur l’île de Ré, mais c’est celui qui inquiète le plus : la montée des eaux. Certes, il y eut le traumatisme de la tempête Xynthia en 2010, mais qui était difficilement attribuable aux effets du changement climatique. Depuis des siècles, l’île de Ré est confrontée au risque de submersion, un phénomène si fréquent qu’on lui donne localement le nom de « vimer ». Faut-il rappeler qu’il y eut en moyenne un vimer tous les dix ans du XVIème au XXème siècle ? Mais les travaux scientifiques de ces quinze dernières années offrent une lecture nouvelle de l’évènement, ou du moins de ses conséquences s’il se produisait de nouveau dans les prochaines décennies.
D’après les derniers chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le scénario le plus optimiste prévoit une élévation de 43 centimètres du niveau des océans et le plus pessimiste une élévation de 83 centimètres d’ici 2100. Selon la Virginie Duvat, professeure de géographie à l’université de La Rochelle et membre du GIEC, ces scénarii pourraient être accentués par la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, avec des valeurs d’élévation du niveau de la mer qui pourraient atteindre entre un et deux mètres4. Avec le dérèglement climatique, les tempêtes pourraient donc devenir plus dévastatrices, du fait même de l’élévation globale du niveau des océans. « A tempête équivalente, plus le niveau de la mer sera élevé, plus les submersions seront importantes », alerte Eric Chaumillon, enseignant-chercheur en géologie marine à l’Université de La Rochelle.
Une île basse
L’île, à la géomorphologie plate, est particulièrement vulnérable, surtout dans sa partie nord. Ici, les terres argileuses ont connu, par l’action des marées, une sédimentation lente et continue à l’origine de la création des marais salants. A partir du XIIème siècle, les moines de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm bâtissent alors des digues face à la mer, puis on creuse les différents bassins qui servent de salines. Peu à peu, ces « prises » gagnées sur la mer s’étendent tout autour du fier d’Ars pour atteindre, au 18ème siècle, 1500 hectares. Pour donner un ordre de grandeur, ces endiguements successifs permettent quasiment de doubler la surface terrestre de la partie nord de l’île ! Ce travail des hommes permet de faire ainsi la jonction entre les trois îles qui existaient à l’origine. Loix est la dernière île qui sera reliée au reste du territoire au XVIIIème siècle et cela correspond aux derniers marais salants installés sur Ré.
Quand on sait que 22% de son territoire se trouve sous le niveau de la mer, on comprend mieux pourquoi l’île de Ré et ses habitants ont appris depuis longtemps à lutter contre les éléments. Comme le rappelle le géographe Alain Miossec5, « Ré et Noirmoutier ont été, à partir du XVIIIème siècle, de véritables laboratoires dans l’expérimentation des techniques de lutte contre la mer ».
La tempête Xynthia du 28 février 2010 aura mis en lumière deux manquements : le mauvais entretien des digues depuis 1945 et la multiplication des constructions avec « vue sur mer » et dans les zones basses de l’île. Pour répondre au premier, le Conseil départemental de Charente-Maritime crée, le 25 juin 2010, la mission Littoral présidée par Lionel Quillet, actuel président de la Communauté de Communes de l’île de Ré. L’objectif est d’élaborer une stratégie de défense cohérente pour l’ensemble du trait de côte de la Charente-Maritime. Avec 75 millions d’euros de travaux programmés6 dans le cadre du Programme d’actions de prévention des inondations (PAPI), l’île de Ré renoue avec sa tradition historique de protection contre la mer. Quant aux Plans de prévention des risques littoraux (PPRL), imposés par l’Etat, ils actent la vulnérabilité du territoire et limitent sa constructibilité, afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé tout en prenant en compte les effets du réchauffement climatique. Cela devrait offrir quelques décennies de répit aux Rétais… mais jusqu’à quand ?
1 – Ré à la Hune, « Le 4ème été le plus chaud depuis 25 ans ». 21 septembre 2023. Lire sur realahune.fr
2 – Ré à la Hune, « Les espèces tropicales sur nos côtes, signe du changement climatique ? » 3 septembre 2023. Lire sur realahune.fr
3 – Ré à la Hune, « Le réchauffement climatique va-t-il échauder les marais salants ? », 8 juillet 2022. Lire sur realahune.fr
4 – La chercheuse précise par ailleurs que « cela pourrait être beaucoup plus en fonction d’un certain nombre de processus liés à la déstabilisation accélérée de la calotte de l’Antarctique Ouest, pour lesquels nous n’avons pas encore suffisamment de connaissances ». La Rochelle à la Hune n°25, interview Mathieu Delagarde.
5 – Cité dans « Adaptation des territoires insulaires : éléments de réflexion à partir de deux îles françaises (Ré et la Réunion) », François Bertrand et Elsa Richard, VertigO.
6 – Dans le cadre du Papi, environ 45 millions d’euros de travaux ont déjà été réalisés. Dans le cadre du Papi 2, environ 30 millions d’euros supplémentaires sont programmés d’ici 2026 pour la protection du Fier d’Ars. Rappelons que le budget prévisionnel pour l’ensemble de la protection du département s’élève à 230 millions d’euros.
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Les côtes de l’île de Ré totalisent environ 110 km. Des côtes composées de dunes et de plages bien sûr, mais pas uniquement. Car l’île de Ré est aussi protégée de la mer par des falaises comme celles qui contournent l’abbaye des Châteliers à La Flotte, ou par des digues comme celles qui bordent le Fier d’Ars ou encore la monumentale digue du Boutillon, édifiée après la tempête Xynthia de 2010, pour remplacer une digue devenue obsolète. Des côtes également façonnées par les activités humaines : s’y dessinent les ports, parcs ostréicoles, marais salants et pêcheries appelées écluses à poisson, autant d’activités économiques traditionnelles de l’île de Ré. Photos de © Yann Werdefroy
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Un trésor de biodiversité sur l’île de Ré
L’île de Ré se distingue par son environnement sauvage préservé, la plaçant parmi les joyaux de la nature en France. Sa diversité écologique offre un refuge à une multitude d’espèces animales et végétales. Cet écosystème d’une richesse exceptionnelle est aussi d’une grande fragilité. Pour cela, la Communauté de communes s’engage pour préserver l’environnement, notamment grâce à l’écotaxe du pont de Ré. Des mesures concrètes sont mises en œuvre : protection des espaces et des espèces, éducation à l’environnement, surveillance du littoral, gestion des zones naturelles… Avec 80 % du territoire protégé, l’objectif est de limiter toute construction incompatible avec la préservation écologique. Une meilleure connaissance des populations locales est essentielle pour garantir la pérennité de cette biodiversité remarquable. Découvrons ici quelques exemples
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