- Patrimoine
- Conférence Jacques Boucard
Ré d’île en presqu’île
Le pont de l’île de Ré fête son 30e anniversaire cette année. Il fait désormais partie du paysage et de nos habitudes. Mais cela fait beaucoup plus de trente ans qu’il fait parler de lui. Jacques Boucard, docteur en histoire contemporaine, lui a consacré une conférence, le 9 octobre, dans le cadre de l’exposition sur le pont aux Archives Départementales au cours de laquelle il a repris l’histoire de sa construction, détaillant les enjeux pour un territoire insulaire et les mesures de protection mises en oeuvre.
Charles Boucard, né en 1917 et père de Jacques, avait l’habitude de dire « Toute ma vie, j’ai entendu parler de la construction d’un pont ». En effet, la nécessité d’une liaison fixe avec le continent ne date pas d’aujourd’hui. On commence à en parler à l’époque où l’on envisage de relier la France à l’Angleterre par un tunnel. Mais la technologie utilisée pour ces ouvrages n’est pas encore au point et le projet tombe dans l’oubli. On en reparle sérieusement en 1911, puis la guerre passe par là. À partir des années 50-55 l’éventualité de la construction d’un pont revient sans cesse à la Une du Phare de Ré avec trois leitmotivs : le modernisme, la sécurité, en particulier le transport des malades et accidentés vers l’Hôpital de La Rochelle et le développement économique de l’île. La construction du pont d’Oléron en 1958 fait que l’île de Ré se sent défavorisée et lorsque, devant l’augmentation exponentielle du trafic des bacs, la décision de construire un pont est entérinée par le Conseil général de Charente-Maritime, les esprits sont prêts… ou presque ! La construction du pont fera l’objet de nombreuses controverses, les uns voulant protéger l’île, les autres, plus nombreux, pensant aux avantages économiques et souhaitant une amélioration de leur vie quotidienne (aller-retour de ceux qui travaillent à La Rochelle, des lycéens, évacuations sanitaires, etc.). Une « Association des usagers de la liaison Ré-Continent » est officiellement créée et 400 personnes réunies en Assemblée générale votent début 1970 pour la construction rapide d’un pont. À peu près au même moment la DDE (Direction Départementale de l’Équipement) publiait une étude dans laquelle figuraient les trois différents tracés envisagés pour le futur pont : un pont court reliant Sablanceaux au môle d’escale avec des travaux moins onéreux puisqu’une partie était déjà construite mais un pont qui ne serait pas qualifié pour un trafic important. Un pont moyen qui est celui du pont actuel. Un pont long devant arriver vers le fort de la Prée, plus cher à construire, mais offrant l’avantage de ventiler la circulation entre Rivedoux, La Flotte et Saint-Martin. Dès 1973, le Conseil général crée une commission spéciale chargée de recueillir l’avis des ministères intéressés par la construction du pont. L’état-major de la Marine en fixe les caractéristiques techniques : 25 m de tirant d’air et 75 m d’écartement entre les piles. Les ministères des Affaires cultuelle et de l’Environnement ainsi que la Chambre de Commerce s’interrogent sur l’opportunité de la construction et soulignent l’importance de la définition de la vocation de l’île de Ré : doit-elle demeurer un patrimoine naturel ou s’ouvrir au tourisme de masse ? La commission esquive le problème de la vocation de l’île en la qualifiant de « multiple ». Les « pour » comme les « contre » doivent s’en satisfaire et le 26 avril 1974 l’assemblée plénière ratifie la décision de construire le pont.
Les réserves de l’État
Raymond Barre, alors Premier ministre est peu favorable au pont et engage une étude d’impact comme la loi de 1976 l’y oblige. Celle-ci étudie l’atteinte à l’environnement suscitée par la construction d’une liaison fixe. Pierre Mauroy qui lui succède n’est guère plus favorable et ne donne son accord que s’il existe un « dispositif de protection suffisant. » Les élus des dix communes vont élaborer une charte de protection « véritable catalogue de voeux pieux. » Seul Léon Gendre, maire de la Flotte, se bat et exprime son opposition dans un ouvrage intitulé « Mise à mort d’une île ». Une déclaration d’utilité publique (DUP) est signée le 24 août 1984. Elle sera annulée à trois reprises par le tribunal administratif et n’empêchera pas l’édification du pont.
Les enjeux pour un territoire
Le littoral est un espace fragile, très convoité. Tout le monde veut vivre au bord de la mer, ce qui pose un certain nombre de problèmes. La croissance du tourisme s’ajoutant à la population permanente pose la question de la limite de l’urbanisation et de l’équilibre environnemental. On détruit le paysage dans lequel les habitants de l’île vivent et qui fait venir les touristes. Le risque est qu’à la longue il y ait une perte d’attrait du territoire et qu’il n’attire plus de visiteurs. La construction du pont a accéléré les transformations. La population de l’île est passée de 9 682 en 1962 à 18 101 en 2012 pendant que la densité de la population (nombre d’habitants au km2) a évolué pour les mêmes années de 114 à 212. Densité extrêmement forte qui ne tient pourtant pas compte des touristes.
Des mesures pour conserver la qualité du territoire
Dès 1979, la totalité de l’île est inscrite au titre de la loi 1930 sur la protection du territoire. En 1975 est créé le Conservatoire du littoral et des espaces lacustres qui va acquérir 10% du territoire. La promulgation de la loi du 3 janvier 1986 interdit la construction à moins de 100 mètres du rivage. Parmi les mesures prises par le ministère de l’Environnement, certaines ont donné des résultats et d’autres pas. La loi 1930 interdit les campings sauvages en zones naturelles classées. Certains maires ont adopté à ce sujet des positions courageuses mais le problème du camping sauvage n’est pas totalement réglé. Des dispositions ont vu le jour afin de lutter contre l’urbanisation : schéma directeur, SCoT (annulé), POS… Des mesures relativement efficaces sans lesquelles l’île serait aujourd’hui défigurée, mais qui engendrent des effets pervers : le prix de l’immobilier a augmenté ainsi que celui des logements et les Rétais rencontrent des difficultés à se loger.
Des conditions techniques d’avant-garde
Le pont a bénéficié lors de sa construction de techniques de pointe. D’abord en matière sismique, puis en utilisant la méthode de construction en encorbellement par voussoirs préfabriqués (une centrale à béton fabriquait les voussoirs sur place) permettant aux travaux d’avancer de plus de 20 mètres par jour. Une autre technique récente à l’époque est celle du béton précontraint qui permet au béton de ne pas s’altérer sous l’effet d’une charge élevée. Enfin, le pont n’est pas conçu d’un seul bloc. Il est constitué par l’assemblage de six petits ponts entre lesquels se trouvent des joints de dilatation. L’ouvrage n’est donc pas rigide et absorbe aussi bien les vents extrêmes que de grandes dilatations provoquées par de fortes chaleurs. Commencé le 26 février 1987, le dernier voussoir est posé le 15 février 1988 et le pont est inauguré le 19 mai de la même année. Très controversé avant et pendant sa construction, le pont a mieux fait appréhender aux « Rétais leur identité insulaire et les aura sensibilisés à la protection des espaces naturels. Par ailleurs, les mesures fortes prises par l’État pour sauvegarder ce territoire fragile, même si elles sont jugées insuffisantes par certains, ont permis d’éviter le pire ».
Catherine Bréjat
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