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Radu Tuian, le voyageur circulaire
Du 23 au 28 avril dernier, la galerie du Havre, à Ars, exposait pour la première fois les oeuvres de Radu Tuian. Praticien d’un art qu’il définit comme une « articulation d’éléments » en dialogue sur la toile, l’artiste, Loidais depuis dix ans, revient sur son parcours et nous partage sa vision du « travail impossible » qui est le sien.
« Je suis né dans la Roumanie de Ceaucescu, entre une artiste et un aviateur. » Ainsi commence le récit de Radu Tuian, l’évocation des fées qui se sont penchées sur son berceau : l’art, le ciel et l’Histoire. Récit d’un immigrant, parti de son pays à 19 ans dans l’espoir « de vivre mieux ailleurs ». Dans les années 80, l’Amérique fait encore rêver. A New York où il poursuit des études d’art, le jeune homme se passionne pour l’art conceptuel. « Pour moi, la peinture était morte. » Il étudie la photographie, encore peu considérée. Il photographie « des choses détruites, de vieilles bagnoles brûlées », commence dès cette époque à accumuler des images. « J’ai appris à ne penser ni comme un photographe, ni comme un peintre, mais comme un artiste. » Sa méthode, avant-gardiste, le conduit à récupérer des matières plastiques, à utiliser du bois et du métal dans ses constructions. Quinze années passées à New York, du côté de Canal Street, forgent l’homme, aux prises avec les difficultés matérielles. Il gagne sa vie sur des chantiers, donne des coups de main à des amis architectes. Au début des années 90, il obtient une bourse en France et rejoint ses parents sur le Vieux Continent. Pendant deux ans, dans l’Oise, il se consacre à son travail d’artiste, « digérant » les années américaines. Il se trouve un atelier à Montreuil, fait des expositions, continue de travailler avec des décorateurs d’intérieur, confectionne des meubles.
Un artiste immergé dans le monde réel/virtuel
Sa manière a évolué. Il réalise de grands dessins, à la gouache et à l’encre, inspirés des principes de la musique répétitive. « Je n’avais pas de sujet autre que le mouvement. » Il retourne à la peinture, dit-il, « pour se simplifier la tâche », au service d’un processus créatif qui se détermine progressivement et dans lequel le numérique s’impose. « Je suis comme tout le monde, je mène une double-vie, réelle et virtuelle. Mes perceptions se nourrissent de ces deux réalités. » Il accumule ainsi des images, photographies prises sur le vif ou glanées sur internet qu’il travaille à l’écran sous forme de calques. Il obtient ainsi des « idées visuelles », qu’il articule ensuite sur la toile, sur un mode intuitif. « Mon but primitif, c’est d’apprivoiser les deux univers, pictural et numérique, de sorte qu’ils communiquent. » Il associe les éléments graphiques dans un « jeu d’objets perplexes » que la peinture organise suivant sa logique. « Cela exige de l’humilité. On ne peut pas tout faire, en peinture. Il y a des limites, et des possibilités. » Il faut accepter d’essayer et d’échouer, beaucoup, avant que le tableau n’advienne, en relation plus ou moins étroite avec ce que l’intuition avait laissé entrevoir. La position de l’artiste, telle que Radu Tuian l’expérimente et l’exprime, est à l’opposé d’un repli, d’une insularité protégée, préservée. « Nous sommes bombardés d’images. J’en suis conscient : je travaille pour arriver à une forme de silence. On ne peut pas s’extraire de la réalité, on ne peut pas ignorer ce qui se passe autour de nous. J’espère arriver à l’apaisement par l’intégration, pas par le rejet. »
Double insularité
Insulaire, pourtant, Radu Tuian l’est doublement. Installé à Loix, il est aussi attaché à la Sicile, à l’île de Favignana plus exactement, qu’il voit se transformer avec l’afflux des touristes, comme l’île de Ré il y a trente ans. « Pour mes amis citadins, vivre sur une île, c’est se couper du monde. Mais je suis aussi connecté qu’eux. » Rétais à temps plein depuis le confinement, il reconnaît avoir eu besoin de temps pour rencontrer l’île véritable sous le vernis de carte postale. « Elle a une histoire singulière, une identité propre, qui se découvre progressivement. » Son destin d’immigrant le rattrape lorsqu’il dit : « Il faut faire avec où l’on est. » Et la tenue de son exposition à Ars est une façon de mettre cette sagesse en pratique. En lui donnant pour titre « Après, avant », Radu Tuian opère un renversement linéaire, et par une rétrospective de son travail des dix dernières années, propose un voyage circulaire autour d’un noyau central, à la recherche de sa cohérence interne. « Je fais partie des artistes qui, selon la peintre allemande Charline Von Heyl, n’évoluent pas mais reviennent en arrière et créent un univers par accumulation, un univers atemporel. » Comme dans l’Atlas Mnémosyne d’Abi Warburg, les toiles s’y rencontrent par résonance intuitive d’éléments graphiques, hors du temps. Et chacune des oeuvres est, à sa façon, une île. « Face à l’illusion d’un monde infini, il faut mettre des frontières : la toile, comme la scène est un territoire sur lequel on peut se déployer. » Le cadre du tableau trace une limite à l’intérieur de laquelle l’artiste donne à percevoir le vide – mais un vide habité. Les grands aplats de couleurs pâles, faux blancs matiérés, sont vibrants de présences, de textures sur lesquelles court une ligne noire, se dépose une combinaison d’éléments abstraits ou figuratifs, créant une troisième réalité perceptive, ni virtuelle ni réelle. Autre. De ce mystère que l’on appelle l’art.
Nouvelles perspectives
Pour Radu, un cycle s’achève avec cet accrochage. « C’est l’occasion pour moi de faire un bilan, et de tourner la page. » De nouvelles directions se présentent : la couleur; être à l’écoute de la peinture, de sa logique, « de ce qui s’affirme sans que je n’impose rien. La démocratie plutôt que l’autoritarisme », ajoute-t-il en riant. Et de conclure : « L’île de Ré, c’est le bon endroit pour faire mon travail impossible, de combiner deux mondes qui ont peu à se dire. » A découvrir sur la Toile, évidemment, et à l’atelier de l’artiste, sur rendez-vous.
Contact : Insta : @radutuian
Facebook : radutuianstudio
radutuian@sfr.fr
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