- Environnement & Patrimoine
- Interview
Quelle viabilité du projet éolien Sud-Atlantique ?
Alors que le Préfet de Charente-Maritime a annoncé lors d’une conférence de presse mardi 18 octobre le lancement du projet de parc éolien, dont la mise en service serait projetée pour 2030, le Rétais Dominique Chevillon, tête de proue de l’opposition à ce projet, notamment via le Collectif NEMO, monte à nouveau au créneau.
Dominique Chevillon estime que la question de l’utilité du projet dans cette zone protégée n’a jamais été débattue dans le cadre du Débat Public et doute de sa viabilité.
Ré à la Hune : Qu’est-ce qui vous fait douter de la viabilité du projet ?
Dominique Chevillon : La question « Êtes-vous pour ? » n’a jamais été posée, alors qu’elle est centrale. Le contexte national et international a changé et après vingt ans d’expérience d’éolien offshore en Mer du Nord et en Baltique on voit les professionnels – tel General Electric – réduire la voilure, la viabilité de ces projets étant posée. Dans le contexte actuel les prix sont durablement inconnus au niveau des matériaux, des produits semi-finis et finis. L’énergie que permettrait de produire ces parcs français est à coûts inconnus.
Seconde inconnue : l’approvisionnement en composants et matériaux rentrant dans la composition des parcs éoliens, à technologie complexe, n’est pas durablement assuré.
Par ailleurs on est à technologie inconnue à ce jour puisque tous les parcs éoliens posés en mer le sont par profondeurs maximales de 25 à 30 mètres. Or le premier parc envisagé au large de nos côtes serait posé entre – 50 à – 60 mètres de profondeur.
On ne maîtrise pas la technologie, le premier parc posé serait de l’ordre du prototype : poser des mâts de 280 mètres de hauteur et au potentiel de 15 MW chacun dans les contraintes océaniques du Golfe de Gascogne, très différentes de celle de la Mer du Nord, on ne l’a jamais fait.
Ce sont de vraies inconnues qui questionnent sur la faisabilité du premier projet, dont on ne connaît absolument pas la viabilité économique, en termes de prix, d’approvisionnement et de technologies. Aujourd’hui il n’existe pas un parc dans les mêmes conditions que celles du Golfe de Gascogne. Quant à la technologie pour l’éolien flottant elle est aussi inconnue.
Vous contestez aussi le modèle économique de l’Etat ?
L’Etat va devoir créer à côté, pour chaque GW d’énergie intermittente, solaire ou éolienne, un GW d’énergie pilotable : centrale thermique ou, comme à Saint- Brieuc, centrale au gaz. Quel gaz ? A défaut du gaz russe, du gaz algérien, italien ou encore du gaz de Schiste ? La France ne dispose que de deux terminaux de gaz liquéfié. Il va devoir doubler le coût de l’énergie.
Le raccordement entre les mâts de pilotage et la station en mer puis le lieu de réception du courant sur le réseau haute tension s’étendra sur au moins 70 km à terre et 30 à 50 km en mer. Ce modèle économique inconnu n’a pas été discuté en France, à Dunkerque ou Dieppe on est sur 15 km de raccordement.
Le projet verra le jour au plus tôt en 2030, plus vraisemblablement en 2032-2033, il faut raisonner à 8 à 13 ans. On n’a jamais vu un projet industriel avec l’Etat en maîtrise d’ouvrage avoir de telles inconnues en termes de faisabilité, de viabilité économique et de conséquences environnementales et socio-économiques.
Le modèle économique est inconnu tant pour les industriels que pour l’Etat. Pour les premiers ce n’est pas trop grave car ils négocient avec l’Etat le prix de l’électricité achetée par celui-ci, qui est majoré pendant quatre ans. Ce n’est toutefois pas sérieux, les industriels vendent des prestations à coûts inconnus. On voit bien que cela se traduit par le fait que les vrais industriels de l’éolien s’inquiètent de cette situation, l’article du journal Les Echos du 23 octobre dernier « La déconfiture de l’éolien se déploie en Europe » traduit bien ces inquiétudes, avec la suppression prévue de quatre mille emplois en Europe qui marquent bien le retournement du marché. La France, à contretemps, investit alors que les Allemands, les Néerlandais, les Américains désinvestissent dans cette industrie.
L’éolien est fait avant tout de béton et de ferraille, et de production d’électricité, cette dernière ne représentant qu’une petite partie de l’économie des projets. Ce grand marché extrêmement rentable a été doublé d’une financiarisation forte, malgré des investissements considérables, car dans une première phase de développement de l’éolien l’Etat a tellement subventionné les projets qu’il a attiré les financiers de tous bords. On entre dans une seconde phase, où les Etats sont beaucoup plus regardants sur les subventions accordées. Le système se retourne et la générosité des Etats européens se tarit. Sauf en France, pays de grande gabegie économique et financière, jamais connue jusque-là, qui pourrait le conduire à sa faillite.
Bref, ce dossier est devenu insupportable sur les plans économique et financier, en ayant choisi une zone dans laquelle les conséquences environnementales et socio-économiques sur la pêche notamment sont extrêmement importantes, sans que l’Etat ne les ai encore abordées.
Qu’en est-il au plan environnemental et socio-économique justement ?
La décision de l’Etat a été prise sans avoir fait d’études environnementales et socio-économiques, la meilleure preuve en est que l’Etat annonce que les études vont démarrer courant 2023, reconnaissant ainsi implicitement qu’il n’a à ce stade aucune notion des conséquences notamment pour la pêche et pour l’environnement. Et il en est de même pour le raccordement passant par le Pertuis d’Antioche ou au Sud d’Oléron vers Arvert.
A partir de 2016/2017 l’Etat a pris deux décisions : on ne fait pas d’études préalables, on peut tout faire sans connaissance des conséquences ; et les zones Natura 2000 sont compatibles avec des projets industriels, ce qui aurait été impensable avant.
Le Préfet a rappelé que le Président a annoncé que les pêcheurs auraient accès aux zones de pêche à l’intérieur du parc éolien ? La France va avoir deux différenciations fortes : ce sera la seule à implanter un parc en Zone Natura 2000 et le premier pays au monde à accepter des pêcheurs dans des lieux dangereux, fréquentés par des industriels… Quid de leur sécurité ?
Un nouvel article des Echos en date du 8 novembre 2022, intitulé « Les parcs éoliens en mer ravivent la colère des pêcheurs », prouve s’il en était besoin l’ampleur de la fronde. Les dirigeants des pêcheurs du Comité Régional des Pêches de Nouvelle Aquitaine ont raison de maintenir que les grappes de zones éoliennes d’Oléron, Ré et autres vont détruire la lèche sur cette zone de pêche essentielle. Même le Président du Comité Régional des Pêches de la Région Pays de Loire le reconnaît dans cet article, alors qu’il a été l’un des promoteurs du Parc de Saint Nazaire – La Baule. Tous les pêcheurs des façades maritimes le reconnaissent aujourd’hui, ils se sont faits floués, donnant raison au Président du Comité Régional de Nouvelle Aquitaine, Johnny Wahl, qui s’est toujours opposé et maintient son refus du parc d’Oléron… Je ne serais pas étonné que demain un front uni des pêcheurs de France se constitue contre les zones éoliennes qui sont annoncées par le gouvernement a 50 GW !
Quid des recettes fiscales de ces projets ?
C’est une autre inconnue : qui se partagera les recettes fiscales ? La répartition est clairement définie dans la zone territoriale jusqu’à douze mille marins, or on est là à vingt mille. Le Préfet vous a annoncé qu’une réflexion est en cours à ce sujet et que les textes vont évoluer quant à la clé de répartition des 800 M€ à un milliard d’€ sur la période.
On sait qu’avant tout l’OFB (Office français de la biodiversité) sera bénéficiaire d’une grande partie de ces recettes fiscales, ce qui est un scandale car c’est cet organisme et son Conseil d’Administration qui décident de la viabilité d’un parc éolien offshore.
Les recours gracieux risquent ils de se transformer en actions contentieuses ?
Ils sont au nombre de quinze, émanant d’une collectivité locale, d’une organisation professionnelle, d’associations citoyennes ou de protection de l’environnement, quinze recours gracieux déposés contre le projet : Saint-Pierre d’Oléron, 8 associations de protection de l’environnement (LPO, ASPAS, NE17….), 3 associations citoyennes, Comité Régional des Pêches de Nouvelle-Aquitaine, Association Initiatives pour le Climat et l’Energie, Oléron Nature Environnement. L’Etat a deux mois à partir de la date de chaque recours, pour apporter éventuellement une réponse. Il est probable que certains de ces courriers soient suivis d’une action juridique devant le Conseil d’Etat, voire au niveau des juridictions européennes et internationales non européennes. Ce dossier est loin d’être franco-français, il viole trois directives européennes : celle sur la programmation obligatoire des activités en mer et celles sur les oiseaux et sur les habitats. La sortie du Parc Naturel Marin n’empêche pas les désordres et incidences.
Au final, croyez-vous que ce projet sera mené à son terme ?
Ne soyons pas abusé par le discours offensif du Gouvernement. Ce projet industriel éolien marin Sud- Atlantique, véritable écocide dans des zones protégées, comporte des risques nombreux et non maîtrisés. Sont-ils d’ailleurs maîtrisables dans le contexte national et international actuel ?
Aucun projet industriel de ce type dont la réalisation est à un horizon de 8 à 10 ans (voire plus) n’échappe à une nouvelle donne économique, financière, sociale et écologique voire politique que nous estimons durable.
Ce projet évalué à 3 ou 4 milliards d’euros (voire beaucoup plus !) à prix aujourd’hui inconnu, à approvisionnements inconnus, à technologies inconnues, à conséquences socio-économiques inconnues (emplois de la pêche notamment), à conséquences écologiques inconnues (les études débuteraient maintenant), à risques juridiques inconnus (qui peut être sûr des décisions futures du Conseil d’État et de la Cour Européenne de justice ? ), à risques sociaux inconnus (quelle acceptabilité pour ce projet massivement rejeté lors du Débat Public) est un projet à risques non maîtrisés et non maîtrisables dans le contexte international et national actuel.
L’État a déjà reculé trois fois à Oléron, qui peut assurer qu’il ne reculera pas une 4ème fois dans le contexte actuel ? La solution n’est-elle pas une implantation encore plus à l’ouest, dans un timing plus long ? Avec un projet plus assuré, plus maîtrisé, plus viable, plus acceptable… dans toutes ses dimensions.
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