- Environnement & Patrimoine
- Géologie
Quel risque sismique sur l’île de Ré ?
Après le séisme de La Laigne du 16 juin dernier, qui a surpris les spécialistes par son intensité, peut-on s’attendre à un tremblement de terre de même ampleur sur l’île de Ré ? Eléments de réponse avec Sophie Debaecker, spécialiste rochelaise en tectonique.
Le 16 juin dernier, en fin d’après-midi, les Charentais-Maritime étaient surpris par un séisme d’une intensité rare. Certes, la terre tremble régulièrement dans la région, puisqu’on recense un peu plus d’une vingtaine de secousses en un demi-siècle, soit une occurrence d’un tous les deux ans. Mais il s’agissait presque toujours de séismes de magnitude inférieur à 5, appelés microséismes. A l’époque contemporaine, le séisme de La Laigne -5,5 de magnitude- n’a d’équivalent que le séisme du 7 septembre 1972 sur l’île d’Oléron. Avec une magnitude 5,7, il fut le plus violent ressenti sur le littoral charentais au XXème siècle1. Ce séisme « historique », s’il n’avait entraîné que des dégâts matériels (chutes de cheminées, murs fissurés), reste la référence absolue pour notre région. Celui de La Laigne, le second plus important, est venu nous rappeler que nous nous trouvons, exception faite des Pyrénées et des Alpes, sur une des zones les plus sismiques de France métropolitaine (voir carte).
Le choc de 1972
Dans notre région, il y eu clairement l’avant et l’après 1972, qui marqua profondément les esprits. Peu de temps après le séisme d’Oléron, le commissariat à l’énergie atomique (CEA) mit en place un système de surveillance afin de mesurer les éventuelles répliques et de mieux connaître l’origine du phénomène. Avec la création de l’université de La Rochelle, un Réseau national de surveillance sismique (RENASS) fut mis en place dans les années 1990, considéré à l’époque comme l’un des plus modernes de l’Hexagone. Grâce aux données collectées, des spécialistes locaux comme Jean- Claude Mercier, professeur émérite en Sciences de la Terre au sein de la toute jeune université2, conclurent que le sous-sol de la région possédait des failles décrochantes (voir illustration), orienté nord-ouest/sud-est. Il s’agirait de très vieilles failles datant de -400 millions à -200 millions d’années, qui correspondent à une époque où notre territoire était coupé en deux par une immense montagne, appelée chaîne varisque ou hercynienne. Née d’une zone de collision entre deux plaques, cette chaine de montagne, d’altitude probablement équivalente à l’Himalaya3, se trouvait…en Vendée ! Depuis, le temps a fait son oeuvre et l’érosion a quasiment réduite à néant cet « Everest » local, mais les géologues en ont trouvé des traces à la pointe du Payré (Jard-sur-Mer, en Vendée), sous forme de roches comme le disthène ou la kyanite qu’on ne trouve habituellement qu’à 80 kilomètres de profondeur. La présence inattendue de ces roches, en surface, indique clairement un phénomène important de subduction4.
Les failles actuelles, qui datent de la même époque que cette chaîne de montagne, ne sont pas directement issues de cette zone de subduction, mais plutôt de sa bordure. Aujourd’hui, la faille régionale le plus connue, le cisaillement sudarmoricain, s’étend de Quimper au sud Vendée. Il n’est donc pas surprenant que les plus gros séismes recensés dans la région se situent entre la Vendée et les Deux-Sèvres, indiquant les derniers soubresauts de cette faille continentale. Ainsi, le séisme du 25 janvier 1799, dont l’épicentre était situé à Machecoul (Vendée), fut extrêmement puissant, à tel point qu’il fut ressenti dans toute La France. Les sources écrites de l’époque, ou ce qu’il en reste, évoquent des villages totalement détruits ! Si les principales failles sont connues des géologues, les failles secondaires sont beaucoup plus difficiles à identifier. « Sur les pourtours de cette faille sud-armoricaine, il peut y avoir tout un tas de petites failles qui l’accompagnent, pas forcément connues. C’est probablement l’un d’entre-elles qui a entraîné le séisme de La Laigne », explique Sophie Debaecker, Maitre de conférences en tectonique à l’université de La Rochelle.
Des failles « cachées » ?
Concernant les failles locales, difficile donc d’en connaître le nombre exact, mais il pourrait y en avoir au moins une dizaine, parallèles aux îles de Ré et d’Oléron, dont certaines sont aisément repérables : on peut ainsi observer une faille « fossile » au milieu de la falaise de la Repentie, face à Rivedoux. Jean- Claude Mercier, professeur émérite en sciences de la terre et grand connaisseur de sismologie locale, évoquait en 2012 cette anecdote5 au moment de la construction du pont de l’île de Ré. « Lors de la pose de la pile n° 3, ils se sont rendus compte qu’ils se trouvaient sur la faille. Ce fut la panique à bâbord ! Ils ont dû injecter du béton en très grande quantité afin de stabiliser cette zone ». Il existerait en fait, entre l’estuaire de la Gironde et l’île de Ré, tout un tas de failles parallèles aux failles principales « connues », qui auraient provoqué presque la moitié de la cinquantaine de séismes comptabilisés en Charente-Maritime ces 70 dernières années. Pour l’île de Ré, une carte du BRGM, datant de 1988, fait état de trois « axes de fracturation », parallèles et d’orientation nord-ouest/sud-est, sur le nord de l’île de Ré et une quatrième faille perpendiculaire aux autres, qui pourrait être une faille « conjuguée »6. Contrairement à l’île d’Oléron, traversée par une faille connue et à risque, l’île de Ré ne connait pas le même phénomène. « Oléron possède le risque le plus important, mais il faut parler en termes d’intensité sismique. En 1972, l’épicentre se trouvait à Oléron mais l’intensité sismique fut quasiment équivalente sur l’île de Ré », rappelle Sophie Debaecker.
L’île de Ré peut être donc une « victime » collatérale d’un séisme déclenché par des failles importantes de notre région, se trouvant du côté d’Oléron ou de la Vendée. Sans compter que des failles secondaires, non identifiées, pourraient se révéler destructrices, comme ce fut le cas à la Laigne. « Les dégâts en surface dépendent de plusieurs facteurs, dont l’un des plus importants est la profondeur. Un séisme de magnitude modérée mais de faible profondeur, comme ce fut le cas à La Laigne, peut provoquer plus de dégâts qu’un séisme de forte magnitude situé à plusieurs centaines de kilomètres de profondeur », résume Sophie Debaecker. Quant au risque d’un séisme de très forte magnitude, comme ceux qu’elle étudie du côté d’Okinawa au Japon, Sophie Debaecker n’y croit pas car l’île de Ré ne se trouve pas sur une zone de contact entre deux plaques continentales. « Même un séisme de 6 ou 7 est extrêmement peu probable sur l’île de Ré car ce ne sont pas des zones actives comme on peut trouver au Japon, en Californie ou en Turquie. L’histoire sismique récente nous montre qu’on peut s’attendre à des magnitudes autour de 5, ce qui est déjà relativement important. Après, le risque zéro n’existe pas… », conclut la spécialiste.
1. A titre de comparaison, le séisme pyrénéen du 13 août 1967, qui détruisit 80% du petit village d’Arette, avait été mesuré à 5,8 et fit un mort et des centaines de blessés…
2. L’université de La Rochelle a vu le jour en 1993.
3. JdP décembre 2013.
4. Processus géodynamique d’enfoncement d’une plaque tectonique sous une autre, par exemple une plaque océanique sous une plaque continentale.
5. JdP décembre 2013.
6. Pour une force donnée, les failles vont se créer avec un angle d’environ 30° par rapport à la direction de la force. Ainsi, pour une même contrainte donnée, deux failles dites « conjuguées » peuvent se former simultanément et symétriquement de part et d’autre de la contrainte principale.
Depuis 2011, l’île de Ré en risque « modéré »
Dans la hiérarchie des zones de sismicité, la partie nord-ouest de l’ancienne région Poitou-Charentes a été classé niveau 3 en 2011, c’est-à-dire qu’il fut revu à la hausse par rapport au classement précédent où seuls les secteurs de l’île d’Oléron, de Rochefort, du marais de Brouage et du nord Deux-Sèvres faisaient l’objet d’une surveillance plus particulière. Alors que ce classement s’échelonne de 1 à 5, le risque sur l’île de Ré est désormais considéré comme modéré. En France métropolitaine, seules quatre zones géographiques ont un risque plus élevé (niveau 4) : les Pyrénées, la région de Nice, Annecy (alpes) et le sud de la Lorraine. Les règles parasismiques applicables depuis plus de vingt ans dans les zones à risques comme Oléron le sont, depuis le 1er mai 2011, aux bâtiments des zones 2 et 3. Ainsi, toute transaction immobilière doit comporter la situation du bien au regard de la zone réglementaire de sismicité. Ensuite, tout dépôt de permis de construire doit intégrer l’arrêté du 22 octobre 2010 relatif à la classification et aux règles de construction parasismique applicables aux bâtiments de la classe dite « à risque normal ». Il a donc fallu mettre en conformité les nouvelles constructions, avec un surcoût estimé de 5 à 10 %. Il faut par exemple utiliser des briques plus résistantes, utiliser davantage de fer dans le béton armé pour l’édification des murs. Ces normes peuvent aussi représenter certaines contraintes pour les architectes, qui doivent utiliser des formes plus simples de bâtiments et éviter les configurations pouvant entraîner des morts ou blessés en cas de séismes.
Séismes les plus importants dans la région ces 30 dernières années
16 juin 2023, La Laigne, 5,3.
17 mai 2016, entre Saintes et Saint- Jean-d’Angély, 3,7.
28 avril 2016, entre La Rochelle et Rochefort, 4,9.
11 octobre 2014, à La Rochelle, 3,8.
6 avril 2013, au large d’Oléron, 3,5.
13 avril 2012, à Marennes, magnitude entre 3,6 et 3,8.
5 mars 2013, au large de l’île de Ré, 3,5.
26 février 2012, au large d’Oléron, magnitude entre 3,6 et 3,8.
5 février 2011, à La Rochelle aux Minimes, 3,8.
28 septembre 2010, île d’Oléron, 4,5.
24 août 2006, Matha, 4,2. 18 avril 2005, île d’Oléron, 4,7.
4 avril 2005, île d’Oléron, 4,1.
14 février 2003, Fontenay-le-Comte (Vendée), 4.
19 avril 2002, île d’Oléron, 3,5.
14 mars 2002, Bournezeau (Vendée), 3,7.
25 juin 2001, au large de Saint- Trojan-les-Bains, 4,2.
8 juin 2001, Chantonnay (Vendée), 5 (échelle MsK).
5 avril 2001, Sepvret (Deux-Sèvres), 5 (échelle MsK).
12 janvier 1997, sainte-Hermine (Vendée), 4,2.
25 janvier 1992, pertuis Breton au nord de Saint-Martin-de-Ré, 5 (échelle MsK).
La plupart des séismes de cette liste, non exhaustive, ont été mesurés selon l’échelle de Richter (qui permet de quantifier la magnitude), sauf certains relevant de l’échelle MsK (qui mesure les dégâts et les effets au sol).
Lire aussi
-
Environnement & Patrimoine
L’île de Ré et La Rochelle, un destin lié… jusque dans les commémorations
Dans le cadre des 400 ans des guerres de religion, la Communauté de communes de l’île de Ré, la ville de La Rochelle et La Rochelle Université organisent un colloque scientifique, ouvert au grand public, du 27 au 29 novembre.
-
Environnement & Patrimoine
AlimenTerre, engagé pour une alimentation éthique
Les 25 et 26 novembre, le festival AlimenTerre se tiendra sur l’île de Ré. Trois projections documentaires suivies de temps d’échange sont programmées à La Maline. Présentation avec l’un des co-organisateurs sur l’île de Ré de ce festival international, Geoffroy Maincent.
-
Environnement & Patrimoine
Grand Port Maritime : MAT-Ré reste vigilante
Après avoir été longtemps isolée, l’association rétaise entretient désormais des relations avec la gouvernance portuaire, avec les autres associations et élargit ses sujets de vigilance.
Je souhaite réagir à cet article