Que nous dit Covid 19 de nous-même ?
Après le tumulte d’une campagne électorale, acmé de ce processus démocratique, le silence du confinement
Tiens, relire Jacques Rancière sur cette question. « La haine de la démocratie ». 2005. Une voix dissonante. Une voix douce et forte. Une autre critique radicalement hostile à celle de Carl Schmitt, ça fait du bien. Penser encore à la critique de Tocqueville.
Covid 19 est un accélérateur de particules. Je le vois comme un révélateur accéléré de nos incohérences politiques, de notre hystérie individuelle et collective. Un virus, chinois. Première incongruité. Un virus n’a pas de nationalité. Un virus chinois, donc, premier vecteur d’un réveil conspirationniste et nationaliste. Le mal, c’est l’autre. Un vieux Nobel plagiaire comme couche de finition.
Un virus létal. Deuxième incongruité. La maladie est potentiellement et consubstantiellement létale. On mourrait de caries dentaires au 19ième siècle, avant la pénicilline. On a oublié. Le confort tue la mémoire. Des chaines de télévision toutes BMFisées, des radios qui suivent le mouvement pour ne pas perdre pied dans leur audimat, une presse nationale et régionale à l’unisson ; l’entier secteur de l’information saturé et saturant, en boucle permanente de cette information anxiogène et mortifère. On ne pense plus qu’à cela. Toute autre forme de pensée est proscrite, douteuse, suspecte même.
Nous parlons d’une pandémie. Une de plus. Pas la pire. On a connu pire. Récemment. Le sida. J’appartiens à cette génération qui a en mémoire les noms et les visages de tant d’amis qui sont partis à l’aube de leur vie… Ebola en Afrique. La grippe espagnole. La peste auparavant. Thucydide. Les longs murs d’Athènes. Périclès. L’humanité ne connaît que cela depuis des millénaires.
Covid 19 nous fait réagir de manière hystérique. Irrationnelle. La presse audiovisuelle, audio et papier nous prend par la main, par le cerveau, dans une longue lamentation collective. Nous n’admettons plus aucun fatum. Tout devient anormal. La maladie est anormale. Elle est étrangère, surabondamment. Bonne pioche pour les nationalistes de tout bord. Onfray barre logorrhéiquement la barque des « anti maastrichiens » (comprenez nationalistes, comprenez souverainistes, comprenez ce que vous voulez, en fait). Drôle de paradoxe que Covid 19 – incarnation d’une évidente transnationalité – qui nous conduit à un renfermement hystérique comme seule réponse. Confinement. Arrêt de l’activité. De l’activité de pensée même, et surtout. Les Européens se sont mis en abymes. Ils se regardent souffrir et mourir. Ils se comptent. Ils comptent les morts frénétiquement. Comparent leurs statistiques. J’attends avec impatience des chiffres qui ne seront pas hystérisés Des chiffres comparatifs. Pas ces chiffres frappés au syndrome caniculaire, ânonnés par des journalistes qui ont mis leur cerveau en location gérance le temps de cette mortelle catharsis.
Un peuple entier de vieux confinés dans une crainte irrationnelle, voilà ce que nous devenons. Terminé le temps de la société festive de Philippe Murray. Après la fête, la vieillesse. La gueule de bois. La fête et la pensée de font pas bon ménage durablement. Bons amants, pas bons époux.
On ne confine pas avec des chars (pas encore), mais avec des ordonnances, des décrets, des lois, des directives, des instructions. Plus efficace. Plus orwellien. Les munitions de cette guerre sont les oukazes du gouvernement et de la technostructure. On fait passer n’importe quoi. Le Conseil d’Etat valide. Laurent Fabius n’y voit rien que de très normal. « Il n’y a pas d’éclipse des principes fondamentaux », dit-il. Le dire, c’est déjà trop. La question est posée, donc. On ne raisonne pas, on gère. Et mal de surcroît. Ça relance la discussion viciée comme de l’air climatisé. On ne parle que de ça. Rebelote. BFMisation de la pensée. Pas de décrets sans sanction. On verbalise. L’entière pensée glisse docilement vers l’organisation d’un gigantesque Ehpad, bien normé, bien policé, bien policier. Les regards changent. On se dénonce, on ne se voit plus mais on se supporte encore moins.
Covid 19 jette un rai de lumière blanche et brutale sur ce que nous sommes devenus. Des couards. Sur ce qu’est devenue notre démocratie : une machine normative pour de vieux peureux. Quoi de plus rassurant alors qu’une société orwélisée, stade ultime de la décadence de démocraties qui n’en finissent pas de jamais se questionner, de se caparaçonner dans l’affirmation ethnocentrée de leur validité. Notre démocratie, pas plus que nous, n’admet sa finitude. Alors on parle de la société « d’après ». On prend date. Grand peur qu’après soit comme avant en pire, dit le jeune Le Drian. Pan ! Les lois d’exception deviennent souvent la Loi du genre. Relire le coup d’Etat permanent. Covid 19 nous familiarise, pire nous mydriatise. Nous serons prêts à ne plus penser dans la grande maison de retraite aseptisée qu’on se prépare pour après.
J’allais finir. Ouf ! André Comte Sponville vient enfin d’envoyer un grand jet d’oxygène !
Lire aussi
-
Politique
Signalétique des voies cyclables, où en est-on ?
On en entend parler depuis un moment mais la situation a-t-elle changé ?
-
Politique
Département : « Tout ce qui a été voté sera fait »
Alors que la dernière séance pleinière du Conseil départemental a confirmé l’état très préoccupant des finances du Département de la Charente-Maritime, les conseillers départementaux de l’île de Ré ont tenté de rassurer, relativisant quelque peu le discours de la présidente.
-
Politique
Séance municipale animée au Bois-Plage
La pugnacité des débats n’est pas chose extraordinaire au Bois-Plage, mais il aura fallu quand même près de trois heures pour mener à terme l’ordre du jour du 25 septembre.
Je souhaite réagir à cet article