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« Quand un virus émerge, on imagine une conspiration »
Pour le virologue charentais-maritime Jean-Paul Gonzalez, professeur associé au sein du département d’immunologie et de microbiologie de l’université de Georgetown aux Etats-Unis, le SARS CoV-2 présente tous les symptômes d’une cause naturelle et doit interroger sur les rapports de l’Homme à la nature
Ré à la Hune : En tant que virologue, quelle différence voyez-vous entre le SARS Cov-2 et son prédécesseur, le SARS1 qui a sévi en 2002-2003 ?
Jean-Paul Gonzalez : Ce nouveau coronavirus est très infectieux, mais peu virulent avec une mortalité autour de 3 à 4%. Le SARS était peu infectieux, plus virulent (10 à 12% de mortalité) mais il a disparu. On est surtout étonné par l’infectiosité de ce nouveau virus, il va très vite. Il tue surtout les personnes avec des complications. Chez les quelques jeunes qui en sont victimes, il y avait toujours une autre maladie sous-jacente. Il n’y a aucun exemple de jeune solide, en bonne santé et qui ait présenté une forme sévère. C’est un virus particulier qui s’attaque aux plus faibles.
Les deux sont très proches, avec 98% d’identité commune. Mais l’enveloppe, la fameuse couronne entourant la molécule, est différente. Dans la cas du Sars, elle se fixait à un endroit précis en haut des poumons, tandis que le Sars Cov-2 semble capable de se fixer un peu partout.
Cette pandémie est-elle une surprise pour vous ?
Il n’y a rien de forcément exceptionnel, même si on peut être surpris par sa rapidité de transmission et son efficacité. Mais la population mondiale est de plus en plus dense, avec des zones urbaines, notamment en Chine, qui se sont développées de façon spectaculaire. Et plus les populations voyagent, plus le risque pandémique augmente. Si nous avons cloué les avions au sol dans le cadre de la Covid 19, c’est qu’ils sont les principaux vecteurs de diffusion.
Au moment d’Ebola, j’étais en Sierra Leone, et le vecteur fut la mobylette. Vingt ans plus tôt, il n’y avait quasiment pas de mobylettes en Sierra Leone et au Gabon. Les nouveaux modes de circulation sont relativement nouveaux dans nos sociétés à l’échelle de l’histoire humaine, et les politiques ne les ont pas suffisamment pris en compte en termes de risque pandémique.
D’après le Washington Post, des diplomates de l’ambassade américaine de Pékin auraient alerté le département d’État, dès 2018, sur des possibles manquements de sécurité autour du laboratoire de Wuhan.
Si un risque réel existait, je pense que la communauté scientifique internationale aurait été informée, notamment par les chercheurs du laboratoire, comme cela est de coutume entre nous lors des « pauses café » de nos conférences internationales. Vous savez, il y a des normes internationales, avec un système de sécurité de niveau 1 à 4.
Certes, chaque pays doit inventer une sécurité pour chacun de ses laboratoires, et c’est différent d’un pays à l’autre pour des questions culturelles. Il y a des systèmes de surveillance de tout le personnel, avec des enquêtes poussées de type FBI où on analyse tous les profils des gens travaillant dans ces laboratoires, du gardien à la femme de ménage en passant par les chercheurs. On établit même un profil psychologique, pour voir si certains, par exemple, ne sont pas dépressifs.
Les matériels et stratégies de biosécurité dans les laboratoires de haute sécurité et les pratiques sont exactement les mêmes partout en Chine, aux USA, en Europe. Il y a par ailleurs un comité des laboratoires de haute sécurité auquel j’ai appartenu quand je dirigeais le Centre international de recherche médicale de Franceville (IRMF) au Gabon. Des problèmes peuvent apparaître dans la mise en fonction du laboratoire si des matériels sont défaillants, mais ils sont toujours en double ou triple, sécurité oblige.
Le laboratoire du Wuhan a été visité plusieurs fois pendant et après sa construction par des experts internationaux qui font partie du comité de suivi des laboratoires P4.
Avez-vous eu l’occasion de vous rendre dans le laboratoire P4 de Wuhan ?
Je n’y suis pas allé personnellement, mais des collègues qui y ont travaillé n’ont pas signalé de lacunes particulières, et ont été plutôt impressionnés par les technologies présentes. Après, est-ce que la gestion sur place est bien faite ou non, je ne sais pas. Pour avoir travaillé dans des laboratoires à Shanghai, je peux dire que les Chinois bossent comme nous. Il y a globalement un respect des bonnes pratiques de laboratoire.
On voit naître depuis quelques semaines la thèse d’une expérience de laboratoire qui aurait mal tourné. Qu’en pensez-vous ?
Au passage, en 1983, je travaillais avec le professeur Montagnier sur le VIH, et nous avions relevé que les moustiques possèdent un gène de VIH, et certains ont dit :
« Les moustiques vont transmettre le VIH », alors qu’il s’agit de séquences qui sont inscrites depuis des millénaires. Quand Ebola est apparu, c’est une soi-disant création de l’armée américaine. Mes collègues de l’université Columbia ont analysé la séquence de la Covid 19 : ce n’est pas un virus fabriqué.
Peut-on imaginer dans ce cas un accident de laboratoire ?
L’histoire du virus qui se serait échappé, c’est un grand classique : lorsqu’un phénomène émerge et qu’on a du mal à l’expliquer, on imagine une conspiration. Dire qu’il était dans un frigo et qu’il en est sorti, c’est raconter une histoire sans fondements. S’ils avaient découvert un virus pathogène pour l’Homme, il aurait déjà fait l’objet d’une publication. Il y a probablement eu une phase pré-épidémique avec quelques cas en circulation, peut-être un ou deux mois avant les premiers cas graves découverts à Wuhan. La fierté d’un chercheur, quelle que soit sa nationalité, c’est de trouver. Et quand il trouve, il publie. Il ne va pas le garder pour lui, c’est une question de reconnaissance. Ces dix dernières années, les Chinois ont publié des résultats magnifiques sur les nouveaux virus, notamment sur les coronavirus. Croyez-moi, ils ne vont pas garder ça pour eux.
Pourquoi la chauve-souris est un réservoir naturel pour ces virus ?
On parle de réservoir car c’est en effet un animal qui conserve le virus sans tomber malade. Ce sont des virus très anciens, avec lesquels la chauve-souris cohabite. C’est peu connu, mais l’ancêtre de la rougeole vient également d’une chauve-souris. C’est l’hôte naturel de nombreux virus. Pour la variole, l’hôte naturel est l’Homme, c’est pour cela qu’on a réussi à s’en débarrasser.
La chercheuse chinoise Shi Zhengli, surnommée « batwoman » pour ses recherches sur les coronavirus de chauve-souris, a déclaré dans une interview en janvier qu’elle n’avait jamais imaginé qu’une telle épidémie puisse survenir à Wuhan, mais davantage dans les régions sub-tropicales du sud du pays. Partagez-vous cet avis ?
Selon moi, il n’y a aucune raison épidémiologique pour que ce virus n’émerge pas à Wuhan. Le climat, l’environnement, le virus s’en fout. Il n’a pas de limite géographique. Les chauves-souris sont partout et peuvent le transmettre à d’autres espèces. Quand il y a ce saut d’espèce, il mute. La manière dont l’hôte intermédiaire change le virus, c’est le hasard. Tous les jours, nous côtoyons de nouveaux virus, mais qui n’ont pas le potentiel pour déclencher une maladie. L’Homme transporte des milliards de virus sur lui chaque jour, sans même le savoir.
Pour la Covid 19, sa colonne vertébrale, c’est la chauve-souris, avec un hôte intermédiaire qui peut être le pangolin. Les gènes du pangolin ont sûrement modifié l’enveloppe du virus. On peut imaginer qu’il y a eu plusieurs passages silencieux chez l’Homme, puis le virus s’est adapté. D’ailleurs, il peut évoluer encore à force de passer d’individus en individus, avec une mutation génétique possible, en bien ou en mal.
Comment expliquez-vous que les autorités chinoises n’aient toujours pas communiqué à la communauté internationale les prélèvements effectués sur le marché à poissons de Wuhan ?
Pendant l’épidémie de SARS, en 2002, je travaillais en Thaïlande. Pendant six mois, les Chinois n’ont rien dit, ce qui leur a été reproché par la suite. En fait, ils ne savaient pas à quoi ils avaient à faire. Aujourd’hui, ils nous parlent d’un pangolin sur un marché à poisson pour éviter de passer pour des cons et dire qu’ils ne savent pas. Juste un exemple : les Arenavirus sont connus depuis toujours pour avoir pour hôte naturel les rongeurs. Un jour, un chercheur allemand m’appelle pour me dire qu’il en a retrouvé chez des boas. Cela s’est confirmé ! Une chose est sûre : sur ces marchés ouverts en Chine, il y a souvent, une partie poissons, volailles et mammifères.
Dans le cas du Sars, qui s’est déclaré à Guangdong, les civettes, porteuses, étaient vendues à côté de chauve-souris. Sur ces marchés, on mélange tous les genres, avec des animaux qui ne se sont jamais rencontrés dans la nature. Ce n’est pas bon. C’est comme quand on envoie des travailleurs dans les forêts tropicales pour la déforestation ou dans des mines d’uranium, dans des écosystèmes qu’ils n’ont jamais fréquentés. Ils sont au contact de maladies nouvelles. Quand on augmente ces interactions, on multiplie les risques.
A l’époque du SRAS, alors que vous étiez en poste en Thaïlande dans le cadre d’une mission de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), vous déclariez au sujet des porteurs sains : « C’est mauvais signe, car ça veut dire qu’il s’est bien adapté à l’Homme »…
Nous n’avons toujours pas retenu les leçons de Charles Nicole, qui, au 19ème siècle, nous disait de faire attention aux « porteurs silencieux », qui étaient selon lui les réservoirs pour les épidémies. Pour la dengue, on voit que 90% de la population a des anticorps en Asie du Sud-Est, ce qui indique une circulation silencieuse : le moustique vous pique et va infecter une autre personne. Pour la Covid 19, on compte une fourchette de 40 à 70% d’asymptotiques, mais cela pourrait monter jusqu’à 80% ! Les recherches sont en cours, nous aurons le résultat.
On parle de déconfinement, mais tous les séropositifs sont-ils protégés d’une nouvelle infection ? Et ont-ils encore des traces de virus qui peuvent contaminer les autres ?
Pour le virus Ebola, on avait vu que le virus pouvait se transmettre par rapports sexuels deux mois après la fin de la maladie. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la Covid 19. Pour le SRAS, Shi Zhengli et son équipe de chercheurs ont mis une quinzaine d’années pour découvrir l’origine du virus, une chauve-souris présente dans une grotte reculée au sud de de Kunming, dans le Yunnan.
Pensez-vous qu’on trouvera cette fois la vérité plus rapidement avec la Covid 19 ?
Il a une dimension pandémique et une portée internationale incroyable, donc je peux vous dire que tout ce que la planète possède de chercheurs travaillent dessus en ce moment. Mais il faut beaucoup plus d’attention des gouvernements pour la recherche, et il va falloir nous débloquer des fonds. C’est simple : si on donne les moyens à la recherche, on trouvera. Nous avons tellement d’outils, de nouvelles technologies, de savoir-faire, de compétences. Cela sera donc une question de gros sous.
Selon vous, quels seront les principaux risques épidémiques dans les prochaines décennies ?
Il y a sept à huit coronavirus bien connus qui peuvent affecter l’Homme. Dans nos sociétés modernes, ces virus « respiratoires » sont clairement les plus dangereux car ils se diffusent facilement par voies aériennes. En Afrique c’est davantage les virus gastro-entériques, pour des questions sanitaires et d’accès à l’eau. Mais imaginez Ebola avec la contagiosité de la Covid 19, on tue la moitié de la planète.
Actuellement, la grippe, avec son pouvoir de mutation, est une pandémie inquiétante. Et on ne s’en occupe pas trop. Il y a un vaccin mais qu’on doit changer tous les ans et qui ne marche pas toujours. C’est une course contre la montre chaque année, qu’on est loin d’avoir gagné. Globalement, le plus gros problème concerne les maladies zoonotiques.
Propos recueillis par Mathieu Delagarde
(1) Severe Acute Respiratory Syndrome (Syndrome respiratoire aigu sévère)
(2) Le virus Ebola, depuis sa découverte en 1976, a entraîné 28 épidémies sur le continent africain, la plus meurtrière faisant 11 310 morts en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Il a été prouvé en 2006 que des chauves-souris sont en fait le réservoir naturel d’Ebola, les grands singes étant des hôtes intermédiaires dans sa transmission à l’Homme. Quant au virus hémorragique Marburg, découvert en 1957 suite à la contamination accidentelle par des singes de chercheurs dans la ville allemande de Marbourg, il a fallu attendre 2007 pour découvrir leur réservoir naturel : la chauve-souris roussette d’Egypte.
Jean-Paul Gonzalez victime d’un accident de laboratoire
A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit outre-Atlantique. Nous sommes le 8 août 1994, et Jean-Paul Gonzalez travaille seul dans son laboratoire du YARU (School of Medicine, Yale University) sur le virus Sabià. Cet Arenavirus issu des rongeurs, provoquant des fièvres hémorragiques très graves, fut décelé en 1990-91 au Brésil après avoir infecté trois personnes, dont un mort.
« Un tube contenant la préparation du virus Sabià se fêla dans l’ultracentrifugeuse. “Protégé” par ma tenue réglementaire et par les installations de sécurité du local classé 3, j’appliquai la procédure de nettoyage ; et je poursuivis mon travail ce jour-là et les suivants », raconte le virologue. Le 15 août, il est victime de fièvre et de maux de tête et décide de consulter un médecin quelques jours plus tard, qui décide de l’hospitaliser en isolement le 19 août.
Grâce au test de diagnostic que Jean-Paul Gonzalez vient lui-même de développer quelques jours auparavant, il est déclaré séropositif au Sabià ! Une quarantaine de spécialistes de tous les Etats-Unis viennent à son chevet pour décider d’un protocole : il s’agira d’un traitement à base d’une molécule antivirale encore à l’étude et de Ribavirine, qui avait prouvé son efficacité contre la fièvre hémorragique Lassa.
Malgré une grosse frayeur, le chercheur quitte l’hôpital le 29 août. Durant l’incubation, Jean-Paul Gonzalez avait été en contact avec 135 personnes au total, mais aucune ne présenta de traces d’infection. « Le traitement que je subis de la part des médias fut plus douloureux que la maladie ! En septembre, un hebdomadaire populaire français me qualifia de « Français le plus haï des Américains ; C’était heureusement faux » explique Jean-Paul Gonzalez.
Son histoire inspira Outbreak, film catastrophe américain de Wolfgang Petersen, et entraîna le changement progressif des centrifugeuses incriminées.
Une carrière d’exception, débutée à Bordeaux
Fils d’immigrés espagnols ayant fui le régime franquiste, Jean-Paul Gonzalez naît à Royan en 1947 et passe son enfance à Saint-Georges-de-Didonne. Il obtient son diplôme de docteur en médecine à l’école de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux en 1974 avant d’intégrer le CHU de la ville comme attaché clinique et de sciences fondamentales puis l’Institut de Recherche et Développement (IRD), où il va dédier sa carrière au service du développement hors de la France métropolitaine.
En 1984, il obtient un doctorat en virologie moléculaire à l’université de Clermont-Auvergne et se spécialise dès lors dans les maladies émergentes : fièvres hémorragiques d’origine virale, interaction des pathologies, préparation et réponse aux épidémies, sécurité sanitaire et bio surveillance et risque zoonotique. Dans les années 80, il dirige dans les pays en développement des équipes internationales de recherche, notamment dans le réseau des instituts Pasteur (République Centrafricaine, Sénégal).
Recruté pour deux missions aux Etats-Unis (centre de lutte et de prévention des maladies à Atlanta et université de Yale), il se forme dans les laboratoires de haute sécurité (protection 3 et 4) pour la manipulation de pathogènes hautement infectieux.
De 1997 à 2008, il exerce à l’université de Mahidol en Thaïlande comme expert pour les pathologies émergentes et encéphalites virales, et y développe plusieurs concepts comme « la coévolution hôtes-virus sur le temps long » et une approche transdisciplinaire (médecine, sciences-sociales, environnement, information) pour expliquer et traiter l’émergence des maladies.
En 2008, il devient directeur général du Centre international de recherches médicales de Franceville, où il travaille notamment sur Ebola.
En 2017, il est nommé directeur adjoint du Centre d’excellence pour l’étude des maladies zoonotiques et animales à l’université d’Etat du Kansas, puis exerce comme professeur associé au sein du département d’immunologie et de microbiologie de l’université l’université de Georgetown (Washinton DC).
Jean-Paul Gonzalez a signé ou consigné plus d’une trentaine d’ouvrages et publié près de 300 articles scientifiques.
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