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Quand les Rétais se donnent du bon temps
Le Musée du Platin consacre une exposition à l’arrivée des loisirs sur l’île (1850-1939), phénomène qui change en profondeur une société de labeur, rythmée par le calendrier agricole et chrétien. Découverte.
Au XIXème siècle, l’île de Ré est un territoire profondément rural, dont la vie est rythmée par le calendrier agricole et chrétien. Au milieu d’une vie de labeur et de subsistance, les habitants se retrouvent, à certaines occasions de l’année, pour prendre du bon temps. La fête des battages, des moissons et des vendanges, célébrant les récoltes et l’abondance, est l’occasion de se réunir autour de grands banquets et de festoyer. Chaque « clocher » possède sa fête particulière, à l’image de la fête du Printemps à La Couarde. « Le milieu du XIXème siècle marque le début des loisirs avec les fêtes de villages, le Mardi gras ou encore le Carnaval, qui sont des moments de respiration dans la dureté du quotidien », explique Romain Masson, responsable de la maison du Platin. Le Carnaval voit défiler dans certains villages le boeuf gras, les jeunes gens se déguisent et des chars défilent dans les rues. Le bûcher, qui vise symboliquement à chasser l’hiver, marque le clou du spectacle. Pour animer les festivités, on croise dans les rues acrobates, fanfares, cirques ambulants ou des petits spectacles de rue. Instituée en 1880 pour célébrer la Révolution française1, la fête nationale donne lieu à une journée de festivités qui se conclut par un feu d’artifice et un bal populaire. On voit apparaitre à cette occasion de nombreux divertissements : courses en sac, course à la nage, course de lenteur à bicyclette ou concours de grimaces. Quant aux foires annuelles, elles existent depuis un moment mais se caractérisent uniquement par leur dimension économique et commerciale. Au XIXème siècle, les foires rétaises, souvent au mois d’août, se dotent de toute une série d’attractions et d’animations à travers des frairies où l’on retrouve manèges, prestidigitateurs, jongleurs, Guignol, loterie ou jeux de massacre.
Gymnastique idéologique
L’exposition met en lumière le rôle des sociétés de musique sur l’île de Ré, dont les fanfares permettent de « sonoriser » et d’animer les différents événements. Privilège jusqu’alors réservé aux militaires, les sociétés de musique obtiennent en 1848 le droit de jouer en extérieur : huit sont créées sur l’île de Ré entre 1860 et 1865. Fanfares et harmonies sont traversées par les clivages idéologiques de cette époque : à La Flotte, la Société Philharmonique, de tradition catholique, est en rivalité avec la Fanfare Républicaine, d’obédience laïque teintée d’anticléricalisme. On retrouve ces divisions dans les sociétés de gymnastiques, comme à La Flotte où la société Pour la France (catholique) cohabite avec La Jeune République (laïque). Particulièrement populaire, la gymnastique – premier sport organisé sur l’île – est considérée comme une activité masculine destinée à encadrer la jeunesse et surtout préparer les corps à la guerre. « Après la défaite de 1870, il y a l’idée de préparer la revanche contre l’Allemagne », explique Romain Masson.
Après la Première Guerre mondiale, le football, de plus en plus populaire dans l’Hexagone, prend une place importante sur l’île de Ré. Symbole de cet engouement : au milieu des années 30, la commune d’Ars possède deux équipes de football. Les premiers tournois, entre équipes des différents villages, font leur apparition. Avec les débuts du tourisme, certaines activités de subsistance, comme la pêche à pied, se détournent peu à peu de leur vocation initiale. « Avec les premiers estivants, le bord de mer se transforme et la pêche à pied devient une activité de loisirs », confie le responsable du Musée.
Une île « repoussoir »
Le XIXème siècle voit émerger sur le littoral atlantique les premiers bains de mer, réservés aux notables. A partir de 1820 à La Rochelle, les bains de mer se développent ensuite à Royan, Fouras ou Châtelaillon, avec tout leur cortège de loisirs afin d’attirer les « baigneurs ». Sur l’île de Ré, rien de tout cela. Le tourisme balnéaire arrivera bien plus tard, avec plusieurs décennies de décalage par rapport au continent. « Il y a encore beaucoup de préjugés négatifs les insulaires sont souvent perçus avec mépris. C’est un peu la vision qu’on retrouve dans les ouvrages de l’écrivain Eugène Fromentin : celle d’une île monotone, où il n’y a rien à voir à part de la vigne à perte de vue », explique Romain Masson. Cette « île-repoussoir » est surtout difficilement accessible, et seuls quelques excursionnistes osent s’y aventurer. Les « bains » du Vert-Clos à Saint-Martin et de La Couarde voient toutefois l’apparition de premières cabines de plage, installées pendant l’été, et les plages commencent à attirer quelques baigneurs.
Les débuts du XXème siècle marquent à cet égard un tournant : la mise en service du petit train et l’aménagement de l’embarcadère de Sablanceaux vont offrir des infrastructures qui facilitent la venue des touristes, même si le phénomène reste embryonnaire. Les premiers syndicats d’initiative (1909), ancêtres des offices de tourisme, vont jouer un rôle fondateur dans l’éclosion de la « destination » île de Ré. A coup d’encarts publicitaires dans les journaux et d’affiches vantant la beauté des paysages et les « charmes insulaires », ils valorisent l’image de l’île de Ré auprès des habitants des grandes villes. Dans la capitale, l’Amicale des Rétais de Paris – dont le président d’honneur n’est autre qu’Ernest Cognacq, Rétais de naissance et fondateur de la Samaritaine – est chargée de promouvoir l’île de Ré au sein des cercles d’influence. « Les expatriés, souvent partis pour le travail, sont appelés à être les ambassadeurs de l’île », explique Romain Masson. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières affiches promotionnelles, dont la célèbre affiche des Chemins de Fer de l’Etat représentant un âne en culotte transportant une insulaire coiffée de la quichenotte, devant le phare de Saint-Clément-des- Baleines. Tous les symboles de l’île y sont présents. Les noms des villages font l’objet de ce qu’on appellerait aujourd’hui du marketing territorial : La Couarde devient La Couarde-sur-Mer dès 1905, puis Le Bois devient Le Bois-Plage-en-Ré en 1927.
Les cafés « dancing » Si la compétition est féroce avec les stations balnéaires du continent, elle l’est également sur l’île, notamment entre les deux villages qui sont considérés comme « de véritables stations balnéaires » : La Couarde, qui bénéficie d’une image « huppée » avec les séjours de stars comme Mistinguett et Ars, plus populaire. Pour attirer les touristes, on crée autour de la baignade de nombreux autres loisirs : le tennis de plage (!) à La Couarde, le croquet, les concours de châteaux de sable, les balades à dos d’âne. Tandis que la plaisance pointe le bout de son nez, les premiers cafés « dancing », comme la Pergola à La Couarde ou l’Oasis au Bois- Plage, permettent de divertir les touristes après la baignade. De nouvelles danses comme le tango, importé d’Argentine, s’imposent sur les pistes de danse, témoignant par la même occasion d’une évolution des moeurs. « Le rapport au corps change et on assiste à un début d’émancipation », témoigne Romain Masson. Sur la plage, le maillot de bain, qui couvrait jusqu’alors une bonne partie du corps, raccourcit et laisse apparaitre la peau. Ce sont les « Années folles », qui percutent de plein fouet les traditions locales et une île encore très catholique. Et voilà que les touristes sont accusés d’inciter à la débauche, de propager de mauvaises moeurs et d’être à l’origine de la flambée des prix… Sans parler des colonies de vacances, qui voient débarquer des jeunes issus des banlieues rouges parisiennes, et qui vont même jusqu’à chanter à l’été 1934 l’Internationale dans les rues des villages !
Liens amicaux
Peu à peu, ce regard sur les touristes va évoluer, car des liens, pas seulement économiques, se nouent entre ces deux mondes. « Il y a ces touristes qui reviennent chaque année dans le village, avec qui on noue des liens et qui deviennent même des amis », confirme le responsable du Musée. La loi sur les Congés payés, votés par le Front populaire en 1936, mettra plusieurs décennies avant de conduire les Français massivement sur la route des vacances. Jusqu’à la veille de la seconde Guerre Mondiale, nous ne sommes sur l’île qu’aux prémices du tourisme, qui deviendra vraiment populaire à partir des années 60, et qui sera l’objet de l’exposition de l’année prochaine au Musée du Platin.
(1) Par la loi Raspail du 6 juillet 1880.
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