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Quand le climat change, les raisins trinquent
Les viticulteurs rétais, qui constatent déjà les effets du réchauffement climatique sur leurs vignes, doivent adapter leurs pratiques. De nouveaux cépages, plus résistants à la sécheresse, sont en cours d’expérimentation.
Pour les plantes, et particulièrement la vigne, il peut sembler incongru de parler d’adaptation à la sécheresse après cet hiver, parmi les plus arrosés de l’histoire récente (voir encadré). C’est vite oublier que l’hiver 2022 fut un des plus secs de ces vingt dernières années, et que les nappes phréatiques étaient alors au plus bas… Au milieu de ce désordre météorologique, une constante climatique : un thermomètre qui ne cesse d’exploser les records. Après un automne qui a connu une douceur inégalée, l’hiver 2023-24 se range au troisième rang des hivers les plus chauds jamais enregistrés en France. Sur l’ensemble de l’hiver, le mercure a dépassé d’environ 2 degrés les normales, derrière les hivers 2020 (+2,3°) et 2016 (+2,1°). En 2023, l’île de Ré avait vécu son quatrième été le plus chaud depuis un quart de siècle, avec une température moyenne de 20,9°, soit 1,3° au-dessus des normales. Selon les dernières prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), tout porte à croire que l’Accord de Paris, qui vise à contenir la hausse des températures à 1,5°d’ici 2100, sera largement dépassé. « Selon une hypothèse réaliste, on serait à +3°, ce qui demandera malgré tout beaucoup d’efforts pour y parvenir. Le scénario le pire, de +4,5°, est plutôt mis de côté à l’heure actuelle », explique Eric Chaumillon, enseignant-chercheur en géologie marine à l’Université de La Rochelle1.
Vendanges précoce
Pour la viticulture, activité ô combien importante sur l’île de Ré, le réchauffement climatique n’a plus rien d’une hypothèse abstraite. Depuis deux décennies, les viticulteurs de l’île de Ré constatent un mûrissement de plus en plus précoce du raisin. « Par rapport au début des années 2000, nous avons avancé les vendanges d’une quinzaine de jours », confirme Jérôme Poulard, responsable technique de la coopérative Uniré. Un exemple parmi d’autres : en quinze ans à peine, les vendanges du cépage Merlot ont été avancées du 15/20 septembre à début septembre. Quand les vins de l’île de Ré avaient du mal à atteindre les 11 degrés d’alcool il y a une trentaine d’années, les bouteilles titrent aujourd’hui 13°. Des raisins qui montent trop haut et trop vite en degrés entraînent des vins plus lourds, moins équilibrés et moins faciles à boire. « Nous cherchons à avoir de l’acidité, il ne faut donc pas monter au-delà de 13°. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons avancé la récolte du merlot, qu’on utilise pour les pineaux. Sinon, il monte trop vite en degrés », explique Jérôme Poulard.
Coup de gel
Pour les végétaux, qui ont besoin d’un repos biologique, les cycles naturels – surtout avec des hivers qui n’en sont plus – sont bouleversés. Alors que les premiers bourgeons font habituellement leur apparition en avril, le débourrement a débuté cette année à la mi-mars. « Dès la première semaine d’avril, nous commencions déjà à avoir les premières grappes. Si jamais il y a un coup de gel, c’est problématique », explique Jérôme Poulard. En effet, cette précocité d’une quinzaine de jours, à une période où les températures peuvent encore descendre sous les 0°, peut mettre en péril la récolte, comme en avril 2022. Des températures de -5° avaient entraîné le gel d’une partie de la vigne. On a coutume de dire que le gel peut frapper jusqu’aux saints de glace, le 11 mai, surtout le Cabernet franc et le Chardonnay, les deux cépages les plus précoces.
Un autre risque, très local, peut venir des coups de vent de fin d’hiver, toujours au moment de la floraison. « Quand le vent dépasse les 70 km/h, les vignes peuvent être brûlées par le sel. On voit souvent les végétaux sur l’île qui sont grillés du côté des vents d’Ouest. Fin mars, nous sommes passés près, avec des vents à 120 km/h au phare des Baleines. Heureusement, les grappes n’étaient pas encore visibles, et seules les petites feuilles ont grillé », explique Jérôme Poulard. En 2019, la tempête du 7 juin avait par exemple hypothéqué une partie de la récolte, le sel ayant brûlé une partie des grappes et des feuilles. Quant au risque submersion, tout le monde a encore en tête la tempête Xynthia de février 2010, et particulièrement les vignerons. Sur les 580 hectares de vigne, 110 hectares, soit 20% des parcelles furent touchées par la submersion et les effets du sel sur la plante. Un tiers des plants submergés n’ont pas survécu. Le réchauffement climatique, dont une des conséquences sera l’inexorable montée du niveau des océans, augmentera mécaniquement le risque de submersions marines : à tempête équivalente, plus le niveau de la mer sera élevé, plus les submersions seront importantes.
Vendanges de nuit
Face à ces défis immenses, les viticulteurs rétais ont déjà modifié leurs pratiques. Ils ont notamment adapté les vendanges afin d’éviter les trop fortes températures… de septembre ! Depuis trois ans, les températures de septembre s’apparentent davantage à celles d’un mois d’août. « En 2022, nous avons eu des températures supérieures de 4° par rapport aux moyennes de septembre. Avec le réchauffement climatique, cela pourrait devenir la norme », analyse Jérôme Poulard. Une fois récolté, le raisin ne doit pas arriver trop chaud dans les chais, du moins pas au-dessus de 20°, afin de ne pas compromettre le processus de vinification et la qualité future du vin. Depuis quelques années, les vendanges se font donc de nuit pour éviter que les grappes ne soient soumises à de trop fortes températures. On profite de la fraîcheur de la nuit pour gagner quelques degrés, avec une journée de vendanges qui commence en fin de nuit pour s’achever avant midi. « On ne peut pas non plus commencer trop tôt, car les machines, ça fait du bruit et nous devons composer avec les riverains », complète le technicien. Malgré tout, la coopérative a dû investir dans des groupes « froid » afin d’abaisser la température du jus de raisin en cas de canicule.
Si les sécheresses devenaient systémiques, c’est la vigne qu’il faudra adapter…Quand le phylloxera avait décimé les vignes de l’Hexagone au XIXème siècle, la profession avait importé des porte-greffes d’Amérique, qui avaient la particularité de résister au puceron mortel. Avec le réchauffement climatique, la parade pourrait également venir des portegreffes. « Nous pourrions choisir des porte-greffes plus vigoureux dont le système racinaire va plonger plus profondément et permettre à la vigne de mieux résister à la sécheresse », explique Jérôme Poulard. En terrain calcaire, il faut aussi que le portegreffe soit capable de résister à la chlorose, une carence en fer qui provoque le jaunissement des feuilles et un affaiblissement de la vigne.
Du côté des cépages, le salut pourrait venir d’une variété bien connue dans nos contrées, et notamment dans le Bordelais, mais quelque peu boudée sur l’île de Ré : le Cabernet sauvignon. « Il a été délaissé car nous avions du mal à le faire mûrir dans nos conditions », confirme le technicien. Récolté traditionnellement aux alentours du 20 octobre, il arrive désormais à maturité début octobre. Avec le réchauffement climatique, et avant d’aller chercher des cépages méditerranéens, il pourrait devenir un candidat idéal pour une île qui n’en cultive que 40 hectares sur une superficie totale de 520 hectares.
Cépages du sud ?
Par ailleurs, des vignes d’expérimentation ont été plantées en 2021 à Sainte-Marie2. D’après les premières conclusions, les cépages rouges comme le Chambourcin ou le Prior ne sont pas vraiment adaptés pour produire du rosé, du moins un rosé clair comme les consommateurs le réclament. Or, la coopérative Uniré, c’est 6000 hectolitres de rosé par an contre 1500 hectolitres de rouge. D’autres comme le Solaris sont trop précoces, avec une récolte vers le 10 août pas compatible avec la saison touristique. Sur les cépages blancs, les résultats semblent plus encourageants, notamment sur les variétés Floreal, Voltis, Souvignier gris ou Sauvignac. Il faut souligner que les cépages retenus devront également montrer leur résistance aux maladies (mildiou, oïdium) car la coopérative cherche à réduire depuis plusieurs années les traitements sur la vigne.
Quant aux cépages du Sud, qui ne sont pas présents dans l’île de Ré, ils sont désormais acceptés dans l’IGP « Vins de pays charentais » : la Négrette ou la Syrah pourraient offrir un recours intéressant à plus long terme. D’ailleurs, un voyage d’étude dans les vignobles du sud de la France sera organisé par la coopérative au mois de juillet. Car avec le réchauffement en cours, l’avenir se prépare dès maintenant.
(1) Ré à la Hune numéro 273 ou : www.realahune.fr/a-lavenir-des-hiverspolaires- sur-lile-de-re/
(2) Cette démarche s’inscrit dans une démarche de réduction des intrants sur la vigne.
« Il n’a jamais autant plu »
« Nous n’avons jamais eu autant d’eau. Depuis fin octobre, il a plu en continu », confie Jérôme Poulard, technicien à la coopérative Uniré*. Alors que la moyenne annuelle décennale s’établit entre 550 et 600 millimètres de pluie, on a relevé 1136 millimètres au Bois-Plage sur l’année 2023. Les trois derniers mois de l’année ont été particulièrement pluvieux avec respectivement 276 mm (octobre), 224 mm (novembre) et 155 mm en décembre. « Sur l’année, c’est presque le double des précipitations habituelles », confirme Jérôme Poulard. Le début de l’année 2024 semble confirmer cette tendance, avec déjà 353 millimètres de pluie au Bois-Plage entre le 1er janvier et le 9 avril, soit les deux-tiers de la pluviométrie annuelle (550 mm) déjà atteinte en trois mois ! Si cet hiver pluvieux a eu le mérite de recharger les nappes phréatiques, il n’a pas été sans conséquences pour les viticulteurs rétais : impossibilité pour les tracteurs de travailler dans des parcelles gorgées d’eau, taille de la vigne rendue compliquée, risque d’asphyxie du système racinaire des vignes inondées, prolifération de champignons et de bactéries dus à l’humidité…
*Reportage réalisé le 9 avril dernier.
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