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Quand le climat change, les huîtres dégustent
Entre la hausse des températures, la montée des eaux et l’acidification des océans, l’ostréiculture est en première ligne du dérèglement climatique. Solutions naturelles ou recours aux technologies, les ostréiculteurs sont déjà contraints de s’adapter. Explications.
«On peut s’attendre à une augmentation de la fréquence et de la puissance des évènements extrêmes, notamment des épisodes de sécheresse ou de précipitations plus forts et plus ponctuels », explique Pierrick Barbier, référent scientifique au Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (Capena). La hausse des températures, qui pourrait atteindre 3° d’ici 21001, entraîne mécaniquement une plus grande évaporation dans l’atmosphère, la formation de nuages et in fine des épisodes pluvieux plus intenses.
Les fortes précipitations de cet hiver, notamment sur la façade atlantique, ont montré combien ces évènements peuvent être désastreux pour la filière ostréicole. Les fortes précipitations entraînent un lessivage des sols et le rejet en mer, par les estuaires des fleuves côtiers, de ces excédents d’eau douce. « Chaque hiver, c’est une épée de Damoclès pour les ostréiculteurs, dont les exploitations sont situées à l’aval », explique Pierrick Barbier. L’île de Ré, contrairement au bassin de Marennes-Oléron, n’est pas « arrosée » en eau douce par des fleuves côtiers, comme la Seudre ou la Charente. « Nous sommes moins exposés, mais quand il pleut beaucoup comme ces derniers mois, les fossés, les marais, les ports débordent, confie Tony Brin, ostréiculteur à La Couarde. Tout cela ruisselle jusqu’à la mer et impacte la qualité de l’eau, et donc de nos produits, car nous sommes tout au bout de la chaîne ».
A l’instar de la contamination des huîtres du bassin d’Arcachon pendant les fêtes de fin d’année, ces pluies sont par ailleurs concomitantes avec les maladies hivernales de l’Homme, comme la gastro-entérite. « Les réseaux d’eaux usées sont parfois vétustes, d’autres ne sont pas totalement hermétiques et finissent par déborder. Tout cela se déverse dans le milieu marin et finit par contaminer les huîtres », explique Pierrick Barbier. Même si ce phénomène s’est cantonné au bassin d’Arcachon et à quelques secteurs en Bretagne et en Normandie, c’est toute la filière qui en a subi les conséquences avec une perte de confiance du consommateur. « Même si nous n’avons pas été concernés en Charente-Maritime et que très peu de zones l’ont été en France, nous avons constaté une baisse de 40 à 60% de la commercialisation », déplore Philippe Morandeau, président du Comité régional de la conchyliculture de Charente-Maritime.
Recours à la « clim » !
A l’inverse, les périodes de sécheresse plus fréquentes provoquent, comme ce fut le cas sur l’île de Ré en 2022 (Lire notre article paru en novembre 2022 : www.realahune.fr/coup-dechaud- sur-les-huitres/), une surchauffe des claires, une salinité excessive et une mortalité accrue des bivalves. En mer, milieu relativement stable, les changements climatiques en cours sont souvent moins perceptibles. A terre, et notamment dans les claires, les alternances de fortes précipitations puis de longues périodes de sécheresse ont déjà commencé à produire des effets délétères.
« Soit on se retrouve avec trop d’eau douce2, soit avec une eau à 40° dans les claires. On ne peut plus mettre une huître dans les claires l’été, car on peut perdre jusqu’à 100% de notre production », explique Tony Brin. Comme d’autres collègues, il a dû se résoudre à laisser le plus possible ses huîtres en mer, et à ne les sortir qu’au dernier moment, pour leur commercialisation. Mais aujourd’hui, même cela n’est plus suffisant, et certains professionnels ont investi dans des « clims » afin de refroidir l’eau des bassins ! « J’ai dû installer des groupes froids qui permettent de maintenir l’eau des bassins entre 13 et 15°. L’huître est un produit vivant et on ne peut plus prendre le risque d’avoir de forts taux de mortalité », confie Tony Brin.
Face au réchauffement climatique, les ostréiculteurs s’en remettent donc déjà aux solutions technologiques, très énergivores et qui contribuent elles-mêmes au réchauffement de la planète… Entre ces climatiseurs et les purificateurs d’eau, indispensables pour garantir la qualité sanitaire des huîtres, l’ostréiculteur rétais a vu sa facture d’électricité passer en quelques années de 300 à 1300 euros par mois.
Quand on parle de dérèglement climatique, les tempêtes pourraient également devenir de plus en plus violentes, comme ce fut le cas en novembre dernier sur le banc d’Arguin, quelques semaines seulement avant la contamination des huîtres du bassin d’Arcachon. « Les ostréiculteurs ont perdu une partie de leur cheptel et de leur matériel, avec des poches éclatées sous l’effet de la tempête », explique Pierrick Barbier. Lors de la tempête Xynthia de 2010, les ostréiculteurs rétais avaient également subi de nombreux dégâts.
« On observe depuis quelques années des coups de vents de plus en plus violents qui mettent à mal nos structures d’élevage », confirme Tony Brin. Avec la montée du niveau des océans, de 60 centimètres au minimum d’ici 2100 selon le scénario le plus « probable » du GIEC, les exploitations ostréicoles seront en première ligne. « Sur l’île, on constate déjà les effets, notamment par rapport aux digues qui avaient été faites par les anciens. Aujourd’hui, l’eau monte beaucoup plus haut », confirme l’ostréiculteur couardais.
Plus de saisons…
S’il y a bien une espèce sensible aux conditions environnementales, et particulièrement à la qualité et à la température de l’eau, c’est bien l’huître. Filtrant dix litres d’eau par heure, l’huître vit en symbiose avec son milieu, qui en, retour, à des conséquences directes sur son développement et sa reproduction. « Leur métabolisme varie en fonction de la température extérieure car elles ne peuvent pas, contrairement aux mammifères, réguler leur température », explique Pierrick Barbier. D’une manière générale, avec le réchauffement global des océans, c’est la phénologie3 de la reproduction de l’huître qui pourrait être modifiée. « Comme il n’y a plus de saisons, avec des hivers doux et des printemps chauds, cela dérègle la biologie des espèces et modifie notamment la date de ponte », observe le scientifique. Un hiver bien marqué est indispensable au repos biologique du bivalve, un peu comme pour les végétaux. Il y a encore vingt ans, les professionnels constataient une ponte précoce et synchrone, toutes les huîtres pondant globalement en même temps. Les anciens se souviennent que la laitance était si visible qu’ils avaient l’impression, au moment de la reproduction, de naviguer dans du lait. Avec le dérèglement climatique, les pontes s’étalent dans le temps et les larves se fixent au compte-goutte, et pas forcément au moment où elles peuvent bénéficier du bloom de phytoplancton indispensable à leur croissance…
A l’inverse, les côtes du nord de l’Europe pourraient bénéficier d’ici trente ou quarante ans de ces changements en cours, avec la possibilité de capter leur propre naissain. « Jusqu’à maintenant, on ne captait pas de naissain au nord de la Loire. Dans la rade de Brest, quelques ostréiculteurs ont commencé à faire leurs propres huîtres, et un pays comme l’Irlande pourrait devenir autonome d’ici 2050 et n’aura plus besoin d’acheter du naissain charentais ou arcachonnais », estime Pierrick Barbier. Par ailleurs, l’absence d’hivers favorise le développement d’espèces nocives pour les huîtres. « Nous subissons par exemple une prédation exponentielle du bigorneau-perceur, qui s’attaque à la coquille des huîtres. Comme il n’y a plus d’hiver, il pullule alors que quelques jours de froids suffisent en principe à éliminer cette vermine », explique l’ostréiculteur rétais Tony Brin. Avec le réchauffement des océans, de nouvelles espèces, venues de régions tropicales, pourraient aussi entrer en rivalité avec les huîtres sur la ressource trophique. « Ces espèces compétitrices pourraient se fixer au même endroit que les huîtres et les concurrencer sur la nourriture », explique Pierrick Barbier.
Des algues contre l’acidification
L’autre inquiétude majeure vient de l’acidification des océans, due aux émissions croissantes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les océans, véritables puits de carbone, absorbent le CO2 présent dans l’atmosphère. Or, plus l’eau est acide, plus le carbonate de calcium (matière première indispensable à la construction de la coquille) se dissout et plus la calcification de la coquille est entravée. Or, la qualité de la coquille est essentielle à la bonne santé du bivalve, de la larve à l’âge adulte. « Je constate depuis quelques années que mes huîtres sont de plus en plus fragiles, que ce soit musculairement ou au niveau de la coquille. On doit prendre énormément de précautions dès qu’on les sort de l’eau » confirme Tony Brin. Les ostréiculteurs constatent, lors des opérations de manipulation des huîtres (triage, stockage), des taux de mortalité de plus en plus importants.
Depuis 2020, le projet CocoriCO2, porté par l’Ifremer et le CNRS, s’intéresse à l’impact du changement climatique sur la filière ostréicole et aux possibilités de s’y adapter. Si le réchauffement des océans semble inéluctable, des pistes commencent à apparaître pour lutter, du moins localement, contre l’acidification. Parmi elles, l’association des huîtres avec les algues : en captant le CO2 pour faire leur photosynthèse, les algues redressent le PH de l’eau, offrant aux huîtres une sorte de « bulle » contre l’acidité. « Ensemencer avec des algues, c’est un peu comme planter des arbres », résume Pierrick Barbier. Si l’algue verte n’est pas la plus appropriée, les travaux de recherche ont montré que l’algue rouge Porphyra serait idéale pour le bien-être des huîtres. Or, depuis longtemps, les ostréiculteurs locaux passent énormément de temps à « nettoyer » les poches d’huîtres, colonisées en mer par…des algues rouges ! Dans le même temps, des scientifiques de la chaire de recherche Manta (Marine Materials) de l’université de Pau et des Pays de l’Adour ont découvert que cette fameuse algue rouge possédait une concentration considérable de molécules anti-ultraviolets, ce qui pourrait fortement intéresser l’industrie pharmaceutique pour la conception de crèmes solaires naturelles.
D’où le projet de création, sur l’île d’Oléron, d’une écloserie d’algues rouges portée par Centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (Capena), le Centre d’études et de valorisation des algues (CEVA) et la Ferme marine du Soleil. Le projet est si prometteur qu’il a reçu le soutien du Plan de Relance de l’Etat, et qu’il pourrait bénéficier à terme à toute l’ostréiculture charentaise. Après leur culture en écloserie, l’idée est d’ensemencer les algues directement sur les poches d’huîtres : cette symbiose, bénéfique pour les huîtres comme pour les algues, pourrait permettre à terme de créer une nouvelle filière aquacole. « Si les résultats sont positifs, l’étape suivante visera à se rapprocher des industriels de la cosmétique, que les ostréiculteurs pourraient fournir en algues rouges », explique Pierrick Barbier. Sur l’île de Ré, certains ostréiculteurs ont également commencé à tester, en collaboration avec des algoculteurs locaux4, le captage d’algues sur les poches d’huîtres. L’idée est d’offrir aux huîtres, en plus d’un microbiote favorable à leur croissance, une barrière de protection thermique naturelle lorsque que le soleil tape trop fort l’été.
1 – Hausse moyenne, selon le scénario le plus probable du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
2 – L’excès d’eau douce entraine le développement d’algues vertes dans les claires qui atrophient le milieu. Au niveau gustatif, les huîtres deviennent « fades ».
3 – Variations des phénomènes périodiques de la vie animale et végétale, en fonction du climat.
4 – Notamment avec la start-up Algorythme, basée à Ars-en-Ré.
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