- Environnement & Patrimoine
- Nature
- Ré nature environnement
Quand Art & Science font connaissance
Si les insectes ne sont pas les créatures les plus aimées du règne animal, le festival qui s’est tenu dans le canton sud de l’île, du 6 au 13 avril, avait de quoi faire changer d’avis les plus réticents.
A l’initiative du projet, il y a trois hommes : Marcel Jouve, Pascal Gauduchon et Patrice Giraudeau, sous la houlette de l’association Ré Nature Environnement. Trois ans après les Coquillages, le trio a choisi pour ce deuxième rendez-vous des arts et de la science, de nous emmener à la découverte du monde des insectes. « Ils représentent la moitié des espèces vivantes », précise Pascal Gauduchon lors de mon entretien avec « les trois mousquetaires ». « Pour vous donner un ordre de comparaison, on dénombre deux millions d’espèce connues, contre cinq mille pour les mammifères. » Dès qu’on se penche sur cet univers du minuscule, les chiffres donnent le vertige. Marcel Jouve a photographié, sur la seule île de Ré, mille espèces, « et il y en a sans doute dix fois plus ». Ses clichés, ainsi que ceux de Patrice Giraudeau, ont été exposés toute la semaine au long d’un « chemin des insectes » qui allait de la place des Tilleuls à la Petite école, à la Noue, ainsi que dans une salle de Fort La Prée. « L’artiste et le scientifique ont ceci de commun qu’ils contemplent la nature. La beauté est à la source de la recherche. Dans un laboratoire, sans imagination, il ne se passe rien. »
Prendre le temps de regarder
C’est donc en promeneur que Patrice Giraudeau a imaginé sa conférence inaugurale, intitulée « Balade parmi les insectes de l’île de Ré », samedi 6 avril. Des Portes à La Flotte, il traverse les dix communes avec l’ambition de nous faire entrevoir « le trésor qui est sous nos pieds » et que depuis vingt ans il côtoie, son appareil photo à la main. Affublé de sa casquette de professeur de SVT, il s’appuie sur les images de Marcel Jouve et les siennes pour présenter le petit peuple souterrain, terrien et aérien aux mille facettes. « Les insectes sont le plus grand laboratoire de l’évolution. Nous avons beaucoup à en apprendre. » Son propos annonce les conférences de la semaine, de Vincent Albouy, Serge Berthier, Hélène Gaudin, Christelle Rivalland et Aurore Avargues-Weber, qui traiteront notamment de la stratégie de survie chez les insectes, de la bio-inspiration à partir de l’étude de la couleur et de la question de l’apprentissage chez les abeilles. Mais pour l’heure, la parole est donnée aux espèces patrimoniales de l’île, qui, malgré son petit écosystème, attire des insectes rares – tel le criquet des Salines qui loge à La Lasse, le Sympétrum à nervures rouges et le Marbré de Cramer, que l’on trouve ici à profusion et peu sur le continent. La diversité des formes, le brillant des couleurs, la variété des comportements captivent l’attention des soixante spectateurs dont les yeux écarquillés font penser à ceux des enfants, le souffle retenu à l’écoute d’une histoire souvent cruelle, mais non sans drôlerie. Car les insectes ne manquent pas d’imagination quand il s’agit de sauver leur peau : ainsi de ces espèces qui miment la robe d’une autre espèce toxique pour se garder des prédateurs, et affichent des couleurs flamboyantes avec tranquillité. Tous les ingrédients d’un bon récit sont présents, jusqu’à la poésie dans le vol d’une Demoiselle et le parfum d’ailleurs d’un Vulcain migrateur venu du Maroc. En fin de parcours, Patrice Giraudeau remonte le temps, jusqu’à la conquête des continents par les espèces vivantes. « Les insectes sont les premiers à avoir inféodé le milieu terrestre. Il est admis aujourd’hui dans le monde scientifique que les insectes sont des crustacés volants. » A quand la sauterelle grillée pour remplacer la crevette grise à l’apéritif ?
Une bonne dose d’optimisme
Ce premier tour d’horizon permet ensuite d’appréhender les conférences de la semaine avec facilité, comme le souhaitaient les organisateurs, et les épouses de deux d’entre eux, particulièrement investies dans la dimension pédagogique des interventions, leur accessibilité au grand public. Il ne faut pas s’y tromper : si humble que soit le sujet, l’ambition est grande pour les trois mousquetaires qui veulent « abandonner la vision anthropocentrique » et interroger la question fondamentale de la crise environnementale. A sa modeste manière, le festival par son esprit s’inscrit dans la querelle entre les darwinistes et les créationnistes. « Nous sommes les héritiers du courant de pensée, contre lequel Darwin s’est insurgé, qui considère qu’il y a un Grand Horloger à l’origine du monde », m’explique Pascal Gauduchon. « Il est difficile d’admettre que nous soyons le fruit du hasard. En regardant le monde du point de vue de l’insecte, c’est le contraire : il devient difficile de croire à une Volonté suprême. »
Ce changement de perspective, qui invite à une nouvelle prise de responsabilités, est aussi plein d’espoir. « Il y a une manière d’aborder la protection de l’environnement qui consiste à vouloir le figer. Mais est-ce cela que nous voulons, lutter contre la dynamique du vivant ? Ou l’accompagner ? Des espèces disparaissent, mais d’autres apparaissent, le biotope change. » Ainsi, en 2023, on a pu observer l’arrivée d’une nouvelle variété de libellule, méditerranéenne, sur l’île. « Veut-on savoir ou comprendre ? » me demande encore Pascal Gauduchon. Figer des certitudes ou s’ouvrir à l’inconnu ? La réponse à cette question, je la trouve dans l’intitulé du festival : dans la rencontre de la science et de l’art.
De l’observation à la description, de l’imagination à la création
« Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » C’est par cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry qu’Alain Montandon entame son intervention sur les insectes dans l’art et la littérature. Et de s’interroger : « J’ai fait 600 km pour venir ici, et je n’ai pas eu un seul insecte sur mon pare-brise. Où sont-ils passés ? » D’emblée, le chercheur enracine ainsi son propos dans un constat environnemental. « Je ne suis pas entomologiste. Ce qui m’intéresse, c’est la représentation de l’insecte, sa place dans nos imaginaires. Force est de constater qu’en Occident, les réactions vont de l’indifférence à la franche aversion. Ce n’est pas le cas dans les autres cultures. » L’auteur de L’Insecte dans tous ses états y a rendu hommage aux artistes qui ont choisi les insectes pour sujet et nous en donne, en ce mercredi 9 avril au soir, un rapide mais magnifique aperçu. Depuis les insectes stylisés sur les poteries amérindiennes aux Oiseaux et Insectes de Juan Miro, il trace un premier chemin de compréhension de notre rapport aux « plus méprisables des créatures ».
On y croise notamment la route du moustique, et d’un masque anthropomorphe avec une trompe, qui servait au sorcier navajo lorsqu’il lui fallait invoquer cet esprit pour « sucer le sang » du malade et en retirer la maladie. En Occident, avant que les traités d’entomologie ne fassent appel à des planches illustratives, l’insecte est invisible dans l’art… jusqu’au scarabée de Dürer, Le Lucane Cerfvolant, un véritable saisissement pour la conscience occidentale mal habituée à ce que soit mis au centre du tableau un insecte, à la manière d’un portrait. Ces créatures d’en bas n’ont pas bonne réputation : dans le genre des Vanités, qui invitent l’homme à considérer sa finitude, la mouche, comme le ver, rappelle la corruption de la chair. Ainsi de cet autoportrait du Maître de Francfort, avec son épouse, sur la coiffe blanche de laquelle est posée une grosse mouche noire, pour nous rappeler que les plaisirs de la vie n’ont qu’un temps. De son vol bourdonnant la mouche tire un autre fil dans la littérature, où de page en page elle fait entendre l’appel de la mort. Nombreux sont les auteurs qui se sont penchés sur l’agonie d’une mouche. Qui meurt quand une mouche meurt ? demande l’héroïne de La Passion selon GH de Clarice Lispector, cet être vivant « sans passé, sans futur et comme infiniment accidentel ». Marguerite Duras lui fait écho dans Ecrire : « La mort d’une mouche, c’est la mort. » Un chien, un chat éveillent la compassion mais « qu’une mouche meure, on ne dit rien. »
Mais quittons ces rivages morbides pour revenir à de plus riantes contrées : les planches naturalistes à partir du 18e siècle témoignent de la beauté du monde des insectes. Pour n’en citer qu’une, que ce soit Ana Maria Sybilla Merian, et son chef d’oeuvre, Métamorphose des insectes du Suriname, paru en 1705. La petitesse infinie est merveilleuse, dit Maurice Genevoix dans Tendre bestiaire. Une aile de papillon suffirait, selon lui, à convaincre de l’existence de Dieu. De cette aile, on fait des robes : ainsi de cette robe aux élytres, de l’époque victorienne, où les ailes inférieures de scarabées d’un vert émeraude sont cousues comme des pierres précieuses sur le coton blanc. Aujourd’hui, chez quelques artistes contemporains, Raku Inoue, Noriyuki Saitoh, Wesley Fleming, l’émerveillement encore l’emporte, pour la beauté du monde miniature dont Gaston Bachelard dit qu’il est « le gîte de la grandeur ».
Avec les yeux d’un enfant
Pour comprendre, il faut aimer ; et, après avoir regardé, regarder vivre. C’est ainsi que le lien entre art et science se renouvelle, les renvoyant inlassablement l’un à l’autre, et l’un comme l’autre à l’enfance où tout faisait merveille. Les artistes de l’association Île, art et culture qui ont exposé dans le cadre du festival à la Petite école de la Noue, la médiathèque de Sainte-Marie, l’ANCRE Maritaise et au Fort La Prée, n’ont pas oublié l’enfant qu’ils ont été, et souvent la poésie et l’humour s’invitent dans leurs créations. Dans l’enceinte du bagne, qui fut aussi colonie de vacances, la fragilité dialogue avec la rudesse ; la libellule d’argile se pose sur la pierre humide et froide, près de la chapelle à l’haleine caverneuse. Le papillon et le bagnard ont une histoire commune : en témoignent les oeuvres de prisonniers réalisés à partir d’ailes de papillon, prêtés par le musée Ernest- Cognacq et exposés à la médiathèque.
D’autres propositions, à destination des enfants, ont encore enrichi cette semaine dont on regrette qu’elle se termine, tant il a fait bon aller sur les chemins buissonniers derrière ces grands enfants que sont les entomologistes. Toutefois, l’ambition du festival est de laisser une empreinte durable et évolutive sur le territoire. Les organisateurs ont mis au point un « kit » à destination des communes, qui reprend l’exposition des photos de Marcel Jouve et Patrice Giraudeau, leur « balade parmi les insectes rétais » et y ajoute des sorties sur le terrain. En attendant que les municipalités se saisissent de l’opportunité, on retrouvera de nombreux clichés dans le numéro spécial de L’OEillet des Dunes paru en avril, nouvelle invitation à nous arrêter pour regarder ce trésor qui vit sous nos pieds.
Lire aussi
-
Environnement & Patrimoine
L’île de Ré et La Rochelle, un destin lié… jusque dans les commémorations
Dans le cadre des 400 ans des guerres de religion, la Communauté de communes de l’île de Ré, la ville de La Rochelle et La Rochelle Université organisent un colloque scientifique, ouvert au grand public, du 27 au 29 novembre.
-
Environnement & Patrimoine
AlimenTerre, engagé pour une alimentation éthique
Les 25 et 26 novembre, le festival AlimenTerre se tiendra sur l’île de Ré. Trois projections documentaires suivies de temps d’échange sont programmées à La Maline. Présentation avec l’un des co-organisateurs sur l’île de Ré de ce festival international, Geoffroy Maincent.
-
Environnement & Patrimoine
Grand Port Maritime : MAT-Ré reste vigilante
Après avoir été longtemps isolée, l’association rétaise entretient désormais des relations avec la gouvernance portuaire, avec les autres associations et élargit ses sujets de vigilance.
Je souhaite réagir à cet article