- Environnement & Patrimoine
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Projet éolien : « des non-sens majeurs et rédhibitoires »
« Lanceur d’alerte » avec le collectif NEMO sur le projet éolien industriel marin, très fortement impliqué contre celui-ci et plus largement dans les sujets et combats environnementaux, Ré à la Hune a souhaité recueillir l’avis strictement personnel de Dominique Chevillon, au-delà de tous les écrits des associations dans lesquelles il est partie prenante.
Ré à la Hune : Quel est votre avis personnel sur les travaux de la Commission du débat Public après cinq mois de débats sur les projets éoliens industriels marins d’Oléron, Ré, Les Sables d’Olonne ?
Dominique Chevillon : Ne jugeons pas, de mon point de vue, la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) présidée par Francis Beaucire. Nous la respectons, elle a œuvré à impliquer, à faire participer les citoyens et acteurs du territoire, sur un projet à la fois complexe et très controversé. Surtout que la Commission dépendait étroitement des explications et des réponses de l’État aux questions posées par les citoyens.
Dans ma première rencontre avec la CPDP, Yves Vérilhac (DG de la LPO) avait eu cette introduction un peu provocatrice mais tellement réelle : « Monsieur le Président, qu’êtes-vous venu faire dans cette galère ? Ce à quoi Francis Beaucire avait répondu : « je suis conscient que le terrain local est miné par l’antériorité de ce projet, mais c’est aussi la mission de la CNDP que d’explorer les projets difficiles ». Une réponse consciente et claire du Président avant d’entrer dans un «match difficile » !
Dans ce contexte local, mais aussi natio- nal qui voit un rejet à tort ou à raison de plus en plus fort de l’éolien, je crois que la Commission a beaucoup travaillé. Ce qui n’engage pas ce qu’elle va mettre dans son rapport. Grace d’abord à son Président qui, avec sincérité a su protéger son équipe d’un contexte tendu et mener les travaux, en réussissant finalement à réunir les acteurs et citoyens (à l’exception des industriels qu’on a seulement entr’aperçus la semaine dernière) et en tentant avec pugnacité d’obtenir de l’État les informations nécessaires aux citoyens et aux acteurs locaux pour leur permettre de comprendre et prendre position sur ses projets.
Le manque d’informations de la part de l’Etat a-t-il été organisé ?
Face à l’impréparation, à l’absence de l’État sur la qua- si-totalité des sujets et des documents fournis, face au diktat suffisant de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat, le Président Beaucire n’a pu satisfaire les ambitions légitimes du débat. Les ingrédients n’étaient pas fournis. Et la participation au Débat a faibli, les gens étaient déçus.
On ne nous empêchera pas de penser que la stratégie de l’État était de ne rien donner, car donner les informations c’était nourrir le camp des opposants sur les nombreux aspects négatifs des projets.
Et ce n’est pas faute de la Commission qui s’est battue pour faire bouger les lignes sans jamais renoncer ! L’exemple de l’expertise complémentaire demandée justement par la Commission à l’État, sur les contraintes et opportunités des technologies futures, des éoliennes n’a reçu aucune réponse de l’État et des industriels à ce jour…
Le débat public vous a-t-il paru équilibré ?
Presqu’une année de travaux pour faire accoucher les esprits. Avec une opposition déterminée, occupant le terrain qui n’a cependant jamais franchi la ligne jaune pendant les débats…Mais avec des citoyens et des collectivités locales flouées, court-circuitées… méprisés par l’État central. Le Préfet, à cette image, recevant les élus deux fois en un an pour des présentations lénifiantes.
Tout le contraire d’un débat ! Et des Ministres, Mesdames Girardin et Pompili, qui sont venues trois fois expliquer que la décision de faire les zones éoliennes industrielles était déjà prises, ceci lors de voyages… dont les éoliennes n’étaient pas le sujet !
Pour le reste, le Débat Public confirme une opposition aux projets éoliens quasi unanime, des élus, des acteurs des territoires, des citoyens.
Malgré les manipulations et les influences multiformes de l’État. Malgré Ré Avenir 17, mise en lumière par ces projets, une petite association créée opportunément il y a deux ans pour accompagner la transition énergétique, évidemment très favorable aux projets éoliens industriels marins. Et dont on découvre finalement que l’une de ses dirigeantes, Madame Emmanuelle Carpentier, cadre depuis onze ans d’E-ON France puis d’Uniper devenu GazelÉnergie, est une représentante de cet industriel de l’énergie qui gère les centrales thermiques au charbon de Saint-Avold et de Gardanne, et autres sites de production de gaz… Lobbyiste de métier assumée, qui pilote ses actions de lobbying vers les minis- tères, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), les gestionnaires de réseaux… GazlÉnergie filiale d’ EPH le groupe tchèque producteur d’électricité , dirigé par Daniel Kretinsky, fondé par les fonds d’investissement J§T et PPT… Alors évidemment le discours de Madame Carpentier sur les énergies renouvelables et le climat alors qu’elle défend les intérêts d’un groupe de centrales à charbons, au gaz, pose question. Dans le droit fil de l’Allemagne qui supprime le nucléaire au profit des éoliennes… qui ont besoin de centrales au charbon, du gaz russe pour pallier aux intermittences des éoliennes !
Quelle est votre position sur le projet éolien atlantique Sud ?
Elle est celle de NEMO, de la LPO et d’autres organisations. Ces projets éoliens industriels marins ne peuvent être réalisés où l’État veut les installer au seul bénéfice des industriels. Notre détermination, encouragée par les très nombreuses oppositions déclarées, est totale.
Vous ne proposez pas une autre zone comme certains ?
Nous n’avons ni les compétences, ni la légitimité pour le faire. Ce n’est pas notre rôle. Nous avons travaillé sur le cadre d’implantation proposé par l’État. Si un autre cadre est proposé nous nous y pencheront. Sans faire «mumuse» avec les scénarios et les You Tubeurs… ce n’est pas notre genre de beauté.
Que retenez-vous globalement de ce projet industriel éolien ?
J’en retiens quatre non-sens majeurs et rédhibitoires, c’est à dire qui empêchent absolument d’accepter ces aérogénérateurs et obligent à s’y opposer. Surtout si on veut bien prendre le temps de comprendre ce qu’elles sont, comment elles fonctionnent, si elles sont en adéquation ou en contradiction avec les enjeux du territoire, de la production française d’électricité, du vivant qui nous entoure, de la qualité de la vie des citoyens. Avec un contexte géopolitique européen et mondial bouleversé durablement et impactant directement nos industries et nos consommations ! L’inflation mondiale y contribuant considérablement.
Le premier non-sens est écologique
La localisation dans un Parc Naturel Marin, en zone Natura 2000, près de sept Réserves Naturelles Nationales, d’une zone industrielle gigantesque polluante, bruyante, altèrera et détruira a maxima des écosystèmes reconnus internationalement, avec des espèces multiples, déjà en danger de disparition. Ceci est confirmé par les scientifiques comme le Professeur J C Dauvin, biologiste et océanographe venu plusieurs fois le rappeler.
La transition énergétique ne se fera pas en sacrifiant la biodiversité et les écosystèmes. Ils sont une partie de la solution et non une variable d’ajustement.
La France est le modèle mondial de production électrique décarbonée (à 95%) depuis des dizaines d’années grâce à l’hydro-électricité et au nucléaire. Les pro-éoliens qui reprochent à la France d’être en retard sur l’éolien, ne devraient-ils pas au contraire se féliciter de cette réalité d’excellence pour le climat ?
Les éoliennes ne luttent pas contre le réchauffement climatique, pour une raison imparable : les seules éoliennes sont dépendantes d’autres modes pilotables de production d’électricité pour pallier les intermittences de leur production. Il faut donc ajouter aux éoliennes quand il n’y a pas de vent ou trop de vent, une couche supplémentaire de centrales au charbon, au gaz comme en Allemagne, en Belgique… si néfastes pour le climat, la santé et le porte-monnaie des citoyens.
L’extraction des matériaux qui l sont indispensable aux éoliennes, à leur construction, à leur transport, à leur exploitation sont très consommatrices de C02, loin du mirage d’énergies éternellement renouvelables et bonnes pour la planète et ses habitants.
Le second non-sens est démocratique
On a constaté le court-circuit total des collectivités locales qui gèrent notre ter- ritoire, dernières informées, découvrant un projet gigantesque, le plus grand d’Europe. Mais aussi celui des acteurs socio-économiques des territoires et des conséquences sur leurs activités existantes (pêche, tourisme…).
Le processus de débat démocratique a aussi montré son non-sens, puisqu’il n’informe pas les populations et les acteurs du territoire des conséquences environnementales et socio-écono- miques des projets ! Comment faire sa conviction sans informations et accepter les projets dans le noir absolu ?
On est face à un projet industriel sans limite annoncée…60km puis 120km, 300 km2 puis 743 km2 et l’annonce d’une macro-zone de plusieurs milliers de km2! Pour 500 MW, 1 GW, 2 GW, 3Gw, 4 GW demain ?
Il n’y a pas de planification à l’échelle de la globalité des façades maritimes françaises, malgré la Directive Planification des activités nouvelles qui oblige l’État français.
Enfin l’État ne dit rien sur les projets, il vit le Débat public comme un pensum obligatoire, la décision étant déjà prise ? Mais alors à quoi ça sert ? On se serait mobiliser pour rien ? Ce faisant, l’Etat français ne respecte pas la convention d’Aarhus d’implication et de participation des citoyens dans les projets environnementaux majeurs, et il supprime deux niveaux de recours en justice pour les projets d’éoliennes marines !
La fameuse Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) à la française, n’a pas été partagée. La consultation du Public a été franchement minimisée, à dessein disent certains. Les évolutions indispensables de la PPE doivent faire l’objet d’une grande consultation qui engagera nos besoins vitaux d’énergie et leurs modes de production.
Le troisième non-sens est économique, dans un contexte géopolitique bouleversé durablement
Les éoliennes industrielles dont le gigantisme est une caractéristique nouvelle sont consommatrices d’énormes quantités de métaux, de terres rares, de sables et autres matériaux qui sont importés pour quasi 100%. Ces éoliennes sont fabriquées à quasi 100% hors de France par des industriels alle- mands (Siemens), danois (Vattenfall), américains (General Electric), espagnol (Gamesa), etc… Les coûts notamment de transport mais aussi des matériaux bruts, et de fabrication des structures, de maintenance ont explosé durable- ment, très probablement. Les prix sont multipliés par six pour le transport par exemple. Une industrie de cycle très long comme l’industrie éolienne ne peut supporter de telles incertitudes et de telles variations des prix.
Le modèle longtemps et encore subventionné de l’éolien, qui devait voir arriver une économie rentable (non subventionnée) est largement bouleversé par cette donne géopolitique et inflationniste nouvelle que nous pouvons craindre pour de nombreuses années.
La France produit l’électricité dont elle a besoin à partir d’investissements de cycle très long (barrages hydro-électriques, centrales nucléaires…). Le rajout de zones industrielles éoliennes, nécessitant de lourds investissements de cycle très long, doit interroger. Les coûts de raccordements et d’atterrages, les coûts des réseaux de distribution (Oléron notamment qui va se connecter à la Très Haute Tension à 70 Km), pour plusieurs dizaines de milliards d’euros sur le plan national.
Et surtout, cette économie industrielle éolienne nécessite le rajout de centrales au charbon, au gaz pour pallier leur tare congénitale d’intermittence ! Obligeant de nouveaux, coûteux et très lourds investissements ou des importations coûteuses de gaz russe (?)…qui participent par leur consommation de CO2 à la dégradation du climat.
Alors le mix énergétique incluant l’éolien est-il viable, supportable, économiquement ? La France a t-elle les moyens financiers, et partage t’elle le dogme anti-nucléaire allemand ? Nous ne le croyons pas un instant. Et la période des promesses pré-électorales doit nous inciter à la plus grande vigilance sur ces enjeux vitaux.
Quatrième non-sens et risque politique majeur pour l’indépendance et les besoins vitaux de la France
Le bricolage inconséquent et dangereux du mix énergétique et de ces pourcentages «bidons », l’absence de décisions sur les investissements de production d’énergie en France depuis des années, la conversion à des dogmes éthérés, la stratégie nationale faite par le simple distributeur Réseau de Transport d’Electricité (voir le rapport RTE de 2021), l’influence très néfaste des lobbies éoliens doivent cesser. Il est vital de produire notre énergie sans dépendances extérieures y compris de nos alliés. On voit où l’Allemagne et l’Europe nous ont emmené. En tant que grande nation qui a eu le privilège d’être indépendante, nous devons consentir à produire une énergie décarbonée française basée sur nos compétences hydro-électriques, nucléaires et solaires pour la transition des années prochaines. Les actions à marche forcée d’économie d’énergie doivent être engagées.
Les risques économiques, sociaux et sociétaux d’explosion de la société française par le renchérissement insupportable des coûts de l’énergie et le court-circuit des collectivités territoriales et des corps sociaux existent, nous allons les vivre dans les mois qui viennent. Une crise d’importance majeure est possible (voir les gilets jaunes). Nos gentils gouvernants nationaux et le Président de la République devraient en être conscients. Ils sont d’abord là pour ça.
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