Projet de loi sur la fin de vie : l’ultime liberté de chacun
Alors que le texte du projet de loi sur la fin de vie est à l’arbitrage du président Emmanuel Macron, nous avons interrogé le député Olivier Falorni, président du groupe parlementaire dédié, sur ses principaux enjeux.
Ré à la Hune : quel est le calendrier de ce projet de loi ?
Olivier Falorni : le texte est sur le bureau du président de la République, qui doit arbitrer sur des points précis, notamment sur quel type d’aide à mourir : suicide assisté ou aide active à mourir. Son passage en Conseil des ministres m’a été annoncé pour ce mois de décembre et son inscription à l’Assemblée nationale au premier trimestre 2024. Il sera soumis au Conseil d’Etat juste avant sa présentation en Conseil des ministres. Nous devrions donc enfin très prochainement délibérer sur ce texte. Je serai très vigilant sur le respect de ce calendrier, on n’a plus le temps d’attendre, des malades en fin de vie n’ont plus le temps d’attendre.
J’ai rencontré sur l’île de Ré il y a quelques semaines un monsieur atteint de la maladie de Charcot, il souhaite voir voter la loi le plus rapidement possible, il ne connaît pas l’évolution de sa maladie et le terme, il veut avoir la liberté de choisir la façon dont il partira.
Vous évoquez trois grandes thématiques, quelles sont-elles ?
Son socle de base est composé de trois grandes thématiques qui s’inscrivent dans ce sujet de fin de vie et forment un tout cohérent : renforcement des droits des patients, développement des soins palliatifs, ouverture d’un droit nouveau, l’aide active à mourir en ultime recours.
Le renforcement des droits des patients est le fruit des lois précédentes, il y a eu un continuum qui a amené en France à légiférer à plusieurs reprises sur la fin de vie, trop lentement certes. Ainsi en est-il du droit des patients à arrêter ou refuser un traitement insupportable. Il faut consolider et renforcer ces droits en fin de vie. Mieux faire connaître le rôle des directives anticipées, par une consultation spécifique prise en charge par la Sécurité Sociale pour chaque patient sur les droits qu’il a, ainsi que sur la désignation de personne de confiance, qui porte la parole du malade en fin de vie s’il n’est plus capable de s’exprimer. Les droits des patients introduits par la Loi Claeys-Leonetti sont très méconnus et très peu utilisés, il s’agit d’un point soulevé par la Mission parlementaire sur cette Loi.
Le développement des soins palliatifs est indispensable, aujourd’hui en France l’accès universel aux soins palliatifs n’est pas assuré. Dans vingt-et-un départements il n’existe pas d’unité de soins palliatifs (ce qui est différent des lits). Il s’agit d’une structure qui prend en charge les cas les plus difficiles. Il faut un centre ressources pour développer les soins palliatifs dans chaque département. Notre objectif est que d’ici fin 2024/début 2025 il n’existe plus aucun département qui ne dispose d’une unité de soins palliatifs.
Il s’agit évidemment d’un choix et d’un investissement forts dans un contexte de pénurie, car une telle structure est dotée de toute une équipe : un médecin, une infirmière, un psychologue, un kiné, elle suppose des moyens et du personnel. Il faut aussi que cela s’inscrive dans la durée, aussi au lieu des plans triennaux, il serait souhaitable d’engager un plan décennal de développement des soins palliatifs. Il existe aussi des équipes mobiles de soins palliatifs, qui peuvent intervenir à domicile, elles sont en nombre insuffisant et dans des situations complexes la prise en charge à domicile n’est plus possible.
La sédation profonde et continue est-elle un nouveau droit ?
La Loi Claeys-Leonetti a aussi introduit la sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès. Elle est possible quand le pronostic vital est engagé à court terme, quelques heures, quelques jours. Elle a pour vocation d’être une alternative à une aide médicalisée active à mourir, mais elle est très peu utilisée, en premier lieu car il s’agit d’un acte non codifié. Dans les unités de soins palliatifs on fait des sédations proportionnées, provisoires, alors que la sédation profonde et continue suppose qu’il n’y ait pas de réveil, ce qui la rend difficile à pratiquer à domicile. La prévalence de ces actes est de 0,9 %, autrement dit, très marginale. Il y a deux raisons à cela : la première est que la prise en charge des soins palliatifs et la sédation proportionnée suffisent dans une immense majorité des cas, la seconde analyse, plus pertinente à mes yeux, est que cette sédation profonde et continue peut poser des problématiques dans certaines situations, lorsque la situation se prolonge durant plusieurs jours, voire semaines. C’est une situation extrêmement complexe à vivre, peutêtre pour le malade, certainement pour les familles, qui assistent à l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition de leur proche.
Le Conseil d’Etat dans un rapport sur la loi Claeys-Leonetti a écrit que cela génère des situations pas acceptables, avec des malades qui n’en finissent pas de mourir. J’ai ainsi reçu un témoignage d’un médecin-réanimateur en néonatalogie concernant un nourrisson en sédation depuis dix jours. Il m’a dit que c’était la première et la dernière fois qu’il la pratiquait, au regard de la douleur pour les parents et pour lui. D’ailleurs, la fin de vie n’est pas synonyme de vieillesse, mais concerne tous les patients atteints de maladies graves et incurables.
Enfin dans certaines situations minoritaires, mais elles existent, les soins palliatifs sont impuissants face à des souffrances insupportables, réfractaires à tout traitement et accompagnement et il y a des malades qui ne veulent pas endurer cette agonie. La maladie de Charcot est à cet égard emblématique de ces souffrances. Ils doivent avoir droit à cette ultime liberté que représente l’aide active à mourir.
Quels sont les enjeux du débat sur le troisième point que vous évoquiez, l’aide active à mourir ?
Il faut en définir les conditions d’éligibilité et on voit bien que l’on se rapproche du débat sur le droit des femmes à l’IVG qu’il y eut dans le cadre de la loi Veil. Cette décision ne peut être prise que par le malade, celui qui la demande. Il serait extrêmement complexe de légiférer pour des jeunes adolescents, il n’est pas possible de définir un cadre pour eux.
Dans des situations désespérées, pour des personnes majeures et « capables » au sens juridique du terme, atteintes d’une affection grave et incurable, alors un collège médical d’au moins deux médecins, dont un spécialiste de l’affection dont souffre le malade, qui établit le diagnostic, peut accéder à la demande du patient. Alors que pour la sédation profonde et continue il n’y a pas de clause de conscience, il y en a une pour l’aide active à mourir. Aucun médecin n’est tenu de faire cet acte, mais il doit a minima transmettre à un confrère cette demande « libre, éclairée et réitérée » et révocable à tout moment, même juste avant l’acte lui-même. Les maladies psychologiques sont exclues, y compris les dépressions profondes.
Pensez-vous que la société française est aujourd’hui prête et que les parlementaires vont la suivre ?
Il y a eu des avancées très significatives ces derniers temps. Le Comité consultatif national d’éthique a, dans son rapport de septembre 2022, reconnu qu’il existe des situations de fin de vie qui ne peuvent être prises en charge par la loi actuelle, notamment celles des malades dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme (Charcot, par exemple). L’Académie nationale de médecine, en mai/juin 2023, a aussi admis qu’il était possible dans certains cas d’ouvrir ce droit. Il va falloir le définir de manière précise, soit dans la loi, soit dans les directives de la Haute Autorité de Santé.
L’ouvre-t-on pour un pronostic vital engagé à six mois, ou à un an ? Dans l’Oregon, la durée va être repoussée à un an. La notion de pronostic vital contient une ouverture majeure. Il faut aussi définir si cette aide à mourir est pratiquée seulement en établissement médical ou si elle peut l’être à domicile.
Je suis prudent mais confiant, car lors du précédent débat à l’Assemblée Nationale sur ce sujet en 2021, nous avions eu une majorité solide (83 %) pour voter l’article 1 de la proposition de loi, qui n’avait pu aboutir du fait de l’obstruction parlementaire. Aujourd’hui il existe dans notre pays des euthanasies clandestines, il faut sortir de ce déni de réalité, et octroyer à chacun cette dignité, chacun ayant sa conception de la dignité. Il s’agit d’une liberté fondamentale qui n’empiète pas sur la liberté des autres.
Depuis des années, les enquêtes d’opinion montrent que 85% des Français y sont favorables et la Convention Citoyenne voulue par Emmanuel Macron, qui a travaillé trois mois sur le sujet, a voté à 75 % en faveur de ce droit. Je n’imagine pas que l’Assemblée nationale ne soit pas en phase avec la société.
Le Groupe d’échanges parlementaires sur la fin de vie se réunit tous les 15 jours, c’est le plus important de l’Assemblée nationale en termes de participants, avec 180 députés inscrits.
Il reste une question à trancher, pas la plus anodine : pour quel type d’aide active à mourir opte-t-on ? Certains pays ont choisi le suicide assisté seul : un médecin prescrit un produit létal que le malade peut s’autoadministrer lui-même, sans intervention d’un tiers. C’est le cas des USA. D’autres autorisent l’euthanasie, qui permet l’intervention d’une tierce personne, un médecin volontaire qui administre le produit. La France optera-telle pour le suicide assisté seul ou pour les deux formes ? J’alerte sur un problème d’égalité face au droit : que se passe-t-il pour le malade qui n’est plus en mesure de pouvoir accomplir lui-même le geste, il serait privé de ce droit ? Cela créerait une inégalité profonde. La Suisse a choisi le suicide assisté seul, les Pays-Bas et le Luxembourg, par exemple, donnent la liberté de choix avec l’euthanasie. Il faudrait qu’en France on ait au minimum le suicide assisté seul et une exception d’euthanasie pour les malades qui ne sont pas en mesure d’y parvenir.
Je trouve qu’il faut être clair, afin qu’on puisse avoir une présence médicale volontaire qui assiste au suicide assisté, au cas où cela se passe mal…
Dans tous les cas, deux enjeux sur cette loi, qui sont aussi des craintes de ma part, concernent l’égalité des malades devant ce droit et l’effectivité de ce droit. Créer un droit nouveau d’aide active à mourir comme ultime recours est très bien, mais il ne faudrait pas que la loi rende son exercice tellement compliqué qu’il ne pourrait être appliqué.
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