Portraits croisés de femmes, maires sur l’île de Ré
Gisèle Vergnon à Sainte-Marie, Danièle Pétiniaud-Gros à Ars-en-Ré, Lina Besnier à Saint-Clément des Baleines : trois femmes aux profils très différents qui assument avec ténacité leur fonction de maire et de vice-présidente de la CdC. Elles nous parlent de leur engagement public.
De loin la plus expérimentée dans la fonction qu’elle exerce depuis 2008, Gisèle Vergnon en est à son troisième mandat et fut durant douze ans la seule femme maire de l’île de Ré et membre du Bureau de la Communauté de Communes. Autant dire que sa vie ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Avant elle, il y avait eu Georgine Lafontaine à Saint-Martin de Ré et Katia Puaud-Noyer à Saint-Clément des Baleines, qui doivent toutes deux garder un souvenir « doux-amer » de leur engagement public, d’autant qu’elles furent la cible préférée des critiques du Meuil (un blog ayant « sévi » sur l’île au début des années 2000), qui n’hésita pas à s’attaquer à leur personne et même à leur physique. En 2020, ont donc aussi été élues les maires d’Ars-en-Ré et Saint- Clément des Baleines, portant à trois le nombre de femmes élues à la tête d’une commune rétaise, du jamais vu !
Des profils très différents
Originaire de La Loire, Gisèle Vergnon a grandi et fait ses études hôtelières à Grenoble, durant lesquelles elle rencontre, à 16 ans, Didier, son futur mari. Saisissant quelque temps après l’opportunité de prendre à deux la direction d’Atalante & Neptune à Sainte- Marie, ils viennent s’installer en 1980 sur l’île de Ré. Didier dirigera pendant vingtcinq ans les deux établissements, Gisèle étant son adjointe sur la partie hôtel & restaurant. Les choses se compliquent après le décès de la propriétaire, Monique Mayet. A partir de 1988, Gisèle Vergnon prend la direction de l’Hôtel de La Monnaie à La Rochelle, qu’elle ne quittera qu’en 2008. Après la direction d’un établissement quatre étoiles à Megève, Didier reprend auprès du Conseil départemental la gérance du restaurant Le Belvédère au pied du pont de l’île de Ré, qu’il complète ensuite avec l’espace snack de l’aéroport. En parallèle, il reprend l’entreprise de champagne familiale, aujourd’hui dirigée par son fils. Autant dire que chez les Vergnon, on a la fibre entrepreneuriale.
Ayant le sentiment d’en avoir « fait le tour », Gisèle Vergnon quitte en 2008 l’Hôtel de la Monnaie, avec en tête un projet d’entreprise « qui ressemble beaucoup à ce qui sera créé, le Airbnb. Je voulais trouver des maisons et appartements à La Rochelle typiques de l’authenticité française que j’aurais loués à des touristes étrangers à qui j’aurais proposé des programmes de visites alentour. » Les élections de 2008 en décideront autrement.
Danièle Pétiniaud-Gros – Dani comme l’appellent les Casserons – est, pour sa part, une enfant du pays, c’est à noter car si l’on y regarde de plus près les actuels maires qui sont nés et ont grandi ici ne sont pas si nombreux… La famille maternelle de Danièle est d’Ars, où son père est arrivé en 1945 en tant que soldat marin envoyé à Karola pour démilitariser le site. Danièle Pétiniaud- Gros a fait sa scolarité primaire à Arsen- Ré, son collège aux CEG puis CES de Saint-Martin, avant de poursuivre ses études sur le continent. Elle deviendra enseignante en école primaire. Après avoir travaillé six mois dans les différentes écoles maternelles de l’île de Ré, elle rejoindra l’école élémentaire de Mireuil dont elle deviendra directrice jusqu’en 2015. Durant ces quarante années rochelaises, elle rejoint la maison familiale arsaise chaque week-end. Impliquée dans l’association « Les Magayants », créée à La Couarde par Mr Palito, afin de préserver les arts et traditions populaires, Danièle rejoint en 2014 la liste de Jean-Louis Olivier et devient 4ème adjointe aux affaires scolaires. Se partageant alors entre La Rochelle et Ars, entre son travail et sa fonction d’élue, ce qui devient compliqué. Danièle prend sa retraite professionnelle et revient habiter à plein temps la maison de sa mère, à Ars-en-Ré en 2015.
Originaire de Tours, Lina Besnier venait régulièrement en vacances à Ars-en-Ré avec sa famille depuis 1972. En 2006, elle et son mari achètent une maison à Saint-Clément des Baleines, où ils s’installent à l’année durant l’hiver 2009, leur entreprise de fermeturesmenuiserie emménageant alors dans la zone artisanale de Loix où ils travaillent durant près de quatre ans. Lina participe alors activement à la vie associative : club de ping-pong d’Ars, Association de valorisation de Saint-Clément des Baleines (AVSCB) dont elle sera membre du Bureau de 2009 à 2019 : « S’impliquer dans la vie associative est une bonne façon de mettre un pied dans la vie publique, de rencontrer des gens, de se rendre compte des problématiques », estime-t-elle. Vie publique qu’elle va débuter en 2014, sous le second mandat de Gilles Duval, où elle devient élue, déléguée aux commerces. « Au début j’étais aussi à la commission urbanisme, j’ai vu la transformation paysagère et réglementaire du site du Phare des Baleines. Je bénéficiais d’une grande autonomie, le maire m’a laissée faire. Il m’a retiré la délégation urbanisme après un clash en Conseil municipal, ce qui était normal, mais nous avons maintenu des relations correctes et j’ai continué sur les commerces. » En 2020, elle crée le journal villageois « Le Grain de Sel », prémices d’une implication qu’elle souhaite plus complète.
Une cabale « sexiste »
violente En 2007/2008, Gisèle Vergnon participe à des premières réunions de pré-campagne électorale intéressantes. On lui propose alors de prendre la tête de liste. Elle se dit alors que si elle s’engage, ce sera à fond et qu’elle arrêtera toute activité professionnelle. « J’ai travaillé d’arrache-pied pendant six mois, rencontrant des maires de l’île, et l’ensemble des institutions rétaises et continentales, allant au-devant des Maritais. J’adore le regard collectif, ce doit être mon regard d’hôtelière, tout doit être harmonieux. » Résultat : sa liste, composée de cinq femmes et dix-huit hommes, arrive en tête et passe au complet, face à un maire très implanté, enfant du pays, Jacques Boucard. Personne des observateurs de la vie politique locale ne s’y attendait. Et c’est avec cette victoire que les ennuis commencent pour Gisèle Vergnon, à laquelle rien ne sera épargné. « Très rapidement, au bout de quelques mois, plusieurs hommes de ma liste sont venus me voir en me disant : « Désormais tu vas rester dans ton bureau et nous laisser aux manettes. » J’avais eu le courage d’accepter la tête de liste – contrairement à eux – et de mener cette campagne, j’avais été élue, il n’était pas question pour moi de me défiler. Je suis restée droite dans mes bottes, j’ai verrouillé la « façade » pour ne rien laisser paraître, mais ils m’ont fait vivre un enfer, m’insultant tout haut le soir dans la mairie quand celle-ci était désertée, m’accusant de mille maux, l’un des membres du bureau écrivait dans Le Meuil – sous le pseudo de Slick – des choses horribles sur moi – voire sur ma famille – et le lundi matin lors de nos réunions, il informait le bureau comme si de rien n’était, des écrits de ce blog, ses propres écrits donc, mais je ne savais pas que c’était lui. Je l’ai appris longtemps plus tard, après sa démission, à l’issue de l’enquête de la gendarmerie… J’ai été confrontée à une machine violente, je pleurais souvent le soir chez moi, mais j’ai tenu bon, grâce aussi à la grande solidarité féminine qui s’est tout de suite créée autour de moi, de la part des quatre femmes élues, dont Isabelle Ronté, qui a toujours été est reste aujourd’hui un soutien indéfectible, et de la DGS avec laquelle il y a eu une vraie entente et qui m’a accompagnée. Il y a eu aussi un homme qui est sorti du lot, Gilles Léonard, à la droiture exceptionnelle vis-à-vis de mon engagement, il n’a pas rejoint les onze élus hommes ayant donné leur démission et a été d’une loyauté exemplaire à mon égard, malgré les liens d’amitié qui pouvaient le lier à certains des démissionnaires. A ces femmes et à cet homme, je suis encore aujourd’hui très reconnaissante. »
Autant dire que la campagne des élections complémentaires, avec seulement un mois pour tout organiser, ne fut pas une partie de plaisir : « La tête de liste adverse a même pris à parti mon fils, c’est allé trop loin. » Les résultats sont un peu serrés, mais Gisèle et une bonne partie de ses colistiers remportent ces nouvelles élections. Petit à petit, ses compétences sont reconnues et les remarques injustifiées se raréfient : « Oui j’ai du tempérament et il en faut pour occuper une telle fonction, au début on disait de moi que j’avais « mauvais caractère » – remarque typiquement utilisée à l’égard des femmes ! -, je ne l’entends plus aujourd’hui, et je me sens très apaisée dans l’exercice de ma fonction. »
L’envie de s’engager pleinement
Pour Danièle Pétiniaud-Gros, lors de la campagne de 2020, à l’issue de laquelle elle « passe » toute sa liste et est élue maire dans la foulée, les choses se sont passées de façon plus « fluide ». « Après avoir été adjointe sous Jean- Louis Olivier, ce qui m’a motivée était l’enjeu de l’évolution d’un village de l’île de Ré. J’avais envie d’écrire une page de l’histoire de mon village. Mon père avait été conseiller municipal sous deux mandats, auprès d’Emile Gaudin, Tatave, etc., il était chargé des bâtiments et du port, aussi j’entendais parler de la chose publique à la maison, de choix politiques aussi. L’enjeu aujourd’hui est de savoir comment prendre le virage qui s’annonce dans l’île de Ré, comment faire cohabiter les nouveaux habitants permanents avec les familles d’ici. La crise sanitaire du Covid a accentué le phénomène, certaines familles sont restées. Pour cela, j’ai misé sur la culture, qui permet de créer des moments et des lieux où les gens se rencontrent, sans distinction. Il nous faut garder une identité forte. Pour constituer ma liste en 2008, je me suis basée sur les valeurs des candidats, leur sens de l’intérêt général et leur intérêt pour la vie publique. Les projets ne sont venus qu’après. Nous avons été élus avec 63 % des voix. Aujourd’hui je pense que l’on reconnaît que je fais le job, qu’il n’y a pas de doute là-dessus. A Ars-en-Ré, il y avait déjà eu une femme élue maire, Madame Vironneau, mais ce fut la seule. »
Pour Lina Besnier, l’envie aussi était prégnante de s’engager pleinement sur tous les sujets, de s’impliquer davantage. « J’ai monté ma liste sur la base des affinités, des compétences et talents, cela n’a pas été un problème d’être une femme, pour ma part je n’ai jamais fait de distinguo homme/femme, j’ai toujours été en compagnie d’hommes, jeune je jouais à des jeux de garçons, je faisais du foot au FC Tours et je pratiquais le judo. Une femme en politique n’est pas obligée d’être dans la séduction, j’ai un caractère entier mais j’essaie de toujours peser le pour et le contre, je valide, je supervise, tout m’intéresse et en tant que maire je dois garder le leadership afin de savoir ce qu’il se passe, les gens m’interrogent sur n’importe quel sujet, y compris quand je les croise dans la rue, je dois être en mesure de leur répondre. Être maire c’est aussi parfois soutenir ses adjoints et ses élus quand ils prennent une décision impopulaire, si elle va dans le sens de l’intérêt général. Cela permet de rassurer la population quand elle comprend qu’on connaît et maîtrise tous les dossiers. J’écoute aussi les suggestions des habitants, être maire n’est pas être au-dessus de qui que ce soit. »
« Femme… Être une femme ! »
Comment ces trois femmes maires vivent leur fonction, quels sont leurs atouts et doivent-elles encore aujourd’hui en faire plus que les hommes, pour asseoir leur légitimité ?
Avec son emblématique chanson des années 1980, Michel Sardou a accompagné toute une génération de femmes, contribuant quelque peu à faire bouger les lignes… et le regard posé sur la gent féminine, même si l’égalité des sexes est encore loin d’être acquise, quarante ans plus tard, particulièrement dans la vie publique et politique.
Ce n’est pas Gisèle Vergnon qui dira le contraire, échaudée par ses débuts de vie élective, même si l’expérience l’a aujourd’hui apaisée. « Les débuts ont été compliqués dans la Commune, comme je l’ai évoqué, et y compris parfois à la Communauté de Communes où j’étais la seule femme du Bureau. Je me rappelle un jour être sortie de la pièce où se tenait notre réunion entre maires, n’ayant pas supporté la façon dont un collègue masculin m’a parlé, parce que je n’étais pas d’accord avec lui sur la subvention à accorder à une association. On ne parle pas comme cela, la violence des propos était telle que j’en ai pleuré. » Au Département aussi, cela n’a pas toujours été facile pour la seule maire de l’île, on se souvient d’un éminent élu rétais, d’il y a quelques années, qui la traita parfois fort mal. « Aujourd’hui, les élus masculins sont plus respectueux des femmes, l’obligation de la parité sur les listes a fait aussi évoluer les mentalités. »
Danièle Pétiniaud-Gros et Lina Besnier confirment cette avancée, soulignant tout au plus – sans s’être concertées – « une attitude parfois un peu paternaliste de la part des hommes élus ». « Souvent je passe au-dessus », précise Lina Besnier.
Un engagement décuplé
Il n’en reste pas moins, alors qu’elles sont dotées de qualités particulièrement utiles dans cette fonction, que les femmes doivent toujours travailler plus.
« J’aime les gens, les rencontres, les critiques positives, argumentées, les femmes apportent leur engagement d’une autre façon que les hommes. Un engagement solide, comme celui d’être mère. Je dirais que c’est plus viscéral, cela les touche très profondément et être femme décuple leur engagement. Elles se donnent une contrainte supplémentaire par rapport au regard des autres. Je crois qu’elles sont naturellement plus tournées vers les autres, plus à l’écoute. Les sujets autour du social – l’enfance, la jeunesse, les aînés, le logement – sont des sujets que portent particulièrement bien les femmes. », estime Gisèle Vergnon.
Danièle Pétiniaud-Gros a su s’imposer, par son répondant et les actions concrètes menées. « J’ai toujours évolué dans un milieu très féminisé, celui de l’enseignement, je n’ai jamais senti de rivalité entre les hommes et les femmes, sauf peut-être de la part de l’inspection. Il est arrivé, dans ma fonction de maire, que des hommes issus de milieux professionnels me fassent des remarques, ils ne font pas de cadeau aux femmes. J’ai remarqué aussi qu’on coupe souvent la parole aux femmes, ce qui nous oblige à asseoir qui on est, à en faire un peu plus qu’un homme. Il faut être « blindée » dans ses dossiers et savoir précisément où on veut aller pour faire autorité. Il faut aussi être très attentive aux réflexions sexistes ou encore aux hommes qui pourraient nous prendre de haut. Dans les relations avec les administrés, j’ai constaté qu’au début de mon mandat, de façon un peu systématique, les hommes avaient besoin de me dire d’emblée ce qu’ils font dans la vie, comme s’ils souhaitaient s’affirmer face à moi. Je ne me suis jamais posé la question de ma légitimité de femme. J’ai suivi quelques formations proposées aux femmes élues. Un jour au cours de l’une de celles-ci, il nous a été demandé d’écrire spontanément quelles sont nos qualités. A l’issue de l’exercice, aucune des femmes participantes n’avait écrit le moindre mot sur sa feuille… Est-ce de l’humilité ? Les femmes sont dans le « faire » avant tout, très rapidement elles arrivent à l’essentiel. Elles s’autorisent aussi à avoir une communication de même niveau avec tout le monde. »
Il n’en reste pas moins que rien n’est fait pour faciliter l’engagement des femmes en politique, même lorsqu’elles sont soutenues par leur conjoint : « En plus de la fonction élective, il faut aussi assurer le fait d’être une femme au quotidien, les charges féminines sont plus lourdes, même si mon mari assume sa part. La charge mentale est réelle, a fortiori quand on est mère de trois enfants et grandmère comme moi. On n’a pas de temps pour soi. Je ne suis pas une « warrior » ni une « superwoman » pour autant, comparé par exemple aux femmes que je vois parfois élever seules trois enfants, avec peu de moyens. Mais il faut avoir conscience quand on s’engage que la fonction demande beaucoup de temps. J’attache aussi une importance toute particulière à mon apparence par respect pour la fonction que je représente. », conclut Danièle Pétiniaud-Gros.
Se faisant l’écho des propos de ses collègues, Lina Besnier le confirme : « Il faut avoir du répondant, de la détermination, connaître ses dossiers à fond, savoir se faire un réseau et être disponible sept jours sur sept. Si certains interlocuteurs sentent une faiblesse, ils appuient dessus. Il ne faut pas douter de soi, de sa valeur, de sa capacité à faire les choses, ne pas hésiter aussi à se faire aider ou se faire expliquer certains sujets. C’est une fonction où les relations humaines sont essentielles, tout comme le travail en équipe. Une fonction qui nous oblige vis-à-vis des administrés et qui suppose un choix personnel fort, et non pas pour faire plaisir à quelqu’un. Quand on accède à la fonction de maire, on prend tout, pas que ses sujets de prédilection. »
Fortes d’une détermination qui n’a rien à envier à leurs collègues hommes, dotées d’une écoute et d’une intuition toutes féminines, ces femmes maires ont ouvert la voie – il faut le souhaiter – à un engagement plus large des femmes dans la vie politique de notre territoire. Verra-t-on bientôt la parité à la tête des Communes et donc – de fait – au Bureau de la Communauté de Communes de l’île de Ré ? Réponse en 2026, pour les prochaines élections municipales. Qui commencent déjà à se préparer activement en coulisses, dans plusieurs communes !
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