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Plébiscitée, La Java attend un signal fort du territoire
Les trois associés de La Java des Baleines et la « grande famille » gravitant autour cette joyeuse « guinguette » ont bien des raisons de se réjouir de la saison 2023 qui vient de s’achever le 26 août. Pour autant, des doutes planent sur la pérennité du célèbre chapiteau villageois.
Au lendemain de sa soirée de clôture, qui a rassemblé au moins huit cents personnes sur le site du Moulin Rouge, Jonathan Odet nous livre un premier bilan enthousiaste mais nous fait aussi part de la déception de l’équipe de n’être pas plus soutenue financièrement par les collectivités.
Fréquentation en hausse, équilibre précaire
Côté fréquentation et chiffre d’affaires, les clignotants sont au vert, avec une augmentation générale de ce dernier de 17 % : + 12 % pour la billetterie et + 18 % pour le bar. Satisfaisant certes, mais qui dit chiffre d’affaires ne dit pas bénéfice. Voilà cinq années, depuis ses débuts, que La Java est déficitaire, avec notamment des frais de « chantier » et de scénographie/ décoration représentant 16 % du CA, la location du site et du stockage 8 %, la programmation 9 %, soient 33 % s’ajoutant à 30 % de salaires et 30 % d’achats de matières premières. Les 7 % restants étant absorbés dans l’administratif et les fluides (structure analytique des coûts de 2022). « Voilà cinq ans que non seulement nous ne nous payons pas pour notre travail, mais que nous mettons de notre poche. Le site est nu à notre arrivée et à notre départ, nous nous occupons de tout (plomberie, électricité, montage/ démontage) d’où le « coût chantier ». Nous payons un loyer à la mairie en saison, mais aussi hors saison pour le stockage de notre matériel. Soit en tout 13 K€, ce qui crée des recettes pour la commune mais aussi génère une programmation culturelle dense et gratuite, là où d’autres communes ont des budgets importants pour leurs animations culturelles. »
Ceci étant dit, La Java apprécie le soutien sans faille de la mairie « et notre partenariat d’une qualité exceptionnelle. »
65 000 personnes, 67 concerts et spectacles
La fréquentation 2023 est estimée à 60 000 personnes à La Java des Baleines, dont 8100 en billetterie. La Java du Fort a accueilli en avant-saison 5400 personnes (l es entrées étaient toutes payantes), soit plus de 65 000 personnes accueillies cette saison. En juillet/août, période où il est payant, le parc enfants a enregistré 2500 entrées. Sa fréquentation en mai/ juin ne peut être calculée, puisqu’il est gratuit.
Toujours en termes de bilan chiffré, La Java peut s’enorgueillir d’avoir cette année organisé 67 spectacles et concerts (hors solos et créations propres à La Java) : 45 aux Baleines (dont 10 spectacles enfants et 5 cabarets cirque) et 22 au Fort. Sans compter les concerts de musique classique donnés à Loix, les Portes, la Flotte et Sainte-Marie. Mais pas que, puisqu’une multitude d’ateliers de toutes natures ont été organisés en journée : « On met le site à disposition des associations et individus, comme le ferait un centre social », précise Jonathan.
L’ensemble des festivals ont très bien fonctionné, le festival « Portugal » a donné « de la visibilité à une communauté portugaise qu’on ne voit et n’entend pas sur l’île de Ré », le Flower Power a fait le plein, tout comme celui des danses traditionnelles, de surf ou encore de cirque. La Java a joué le jeu pour des évènements très différents de ce qui se fait d’habitude en ce lieu, comme par exemple avec le festival des mammifères marins. Le dernier festival de l’été, autour de la culture Queer, a aussi conquis le public. « On essaie d’aller vers un fonctionnement où on laisse les clés du chapiteau à des locaux, bien sûr on construit conjointement l’équilibre d’ensemble. Ainsi plusieurs festivals ont été proposés et organisés par des personnes du territoire. » Si La Java des Baleines continue l’an prochain, « tous les festivals seront repris. »
Un public très éclectique, une programmation collective
Il suffit de s’y rendre, en avant-saison et en plein été, pour constater que la fréquentation est équilibrée entre habitants, résidents secondaires et touristes, provenant de toutes les communes. Toutes les générations s’y côtoient également. « Depuis deux ans, nous avons fait le constat d’un tourisme dédié de plus en plus fort. Beaucoup de nos visiteurs nous disent avoir choisi leur lieu de vacances, dans le nord de l’île, du fait d’une offre complète entre nature, patrimoine, commerces de proximité et l’offre culturelle de La Java, sans oublier les food-trucks. Les retombées économiques locales sont ainsi conséquentes. Le nombre de nuitées conjugué entre tourisme dédié, nos artistes, nos bénévoles, nos partenaires dépasse certainement les quatre cents nuitées, bien que ce soit difficile à quantifier. »
La Java des Baleines emploie une vingtaine de personnes, une équipe très soudée fonctionnant davantage comme une compagnie de spectacle, une grande famille, décisions et organisation sont concertées. Beaucoup de spectacles ou créations internes sont proposés dans l’été, ou encore des créations croisées avec les artistes reçus sous le chapiteau. Parmi les créations « in situ » figurent le spectacle en hommage à Claude Nougaro, une partie du festival itinérant de musique classique, la soirée de clôture… Bien en amont de la saison, via l’association Label Oyat, la programmation de La Java est proposée et travaillée par un collectif d’une vingtaine d’habitants impliqués, aux goûts et centres d’intérêts très différents parfois, ce qui explique la richesse et la diversité de celle-ci.
Des ombres au tableau
Parmi les ombres au tableau, l’initiative de La Java du Fort, en avant saison, a été victime d’une météo très maussade. Lorsque la météo était de la partie, elle a fait le plein, les habitants du sud étaient ravis et ceux du nord sont aussi en partie venus. Mais elle est clairement déficitaire. « Nous y proposerons certainement des spectacles et animations, mais dans un format plus souple. »
Autre sujet qui chagrine La Java, le recours en justice de l’APSSC contre la mairie visant à faire annuler l’autorisation d’installation du chapiteau et du site, « alors que nous n’avons rien à voir avec la dimension patrimoniale ou environnementale, qui est la vocation de l’association. » « Le travail d’aménagement paysager du site entrepris par la mairie, en concertation avec nous et les habitants, commence à porter ses fruits, notre intégration est de plus en plus harmonieuse et nous avons enregistré assez peu de plaintes contre les nuisances sonores. Mais nous avons un stress permanent autour de cette problématique pour les éviter un maximum malgré notre popularité. »
Un soutien financier très insuffisant
La principale ombre au tableau est toutefois ailleurs. Jonathan et ses associés regrettent « le manque de soutien financier du projet culturel de La Java, qui est pourtant l’un des lieux les plus importants en termes de fréquentation et de programmation culturelle en Charente-Maritime et peut-être le plus important de l’île. » Certes le Département verse une subvention de 5 K€ et la CdC de 8 K€, tandis que la Région et la DRAC n’y participent pas, mais « On a un sentiment de forte injustice au regard d’autres évènements, beaucoup plus ponctuels, sur quelques journées ou avec quelques spectacles, dont la subvention est nettement plus conséquente. Nous en sommes contents pour eux, mais c’est très injuste pour nous. Nous avons des spectateurs et habitués de toute l’île, nous travaillons en partenariat avec de très nombreux acteurs rétais, notre projet emporte une très forte adhésion de la population et des vacanciers et apporte une vraie valeur ajoutée au territoire durant a minima trois mois… » Objectivement, les subventions octroyées à La Java restent très modestes au regard de celles accordées à des évènements beaucoup plus ponctuels, voire pour certains très « commerciaux ». Autre argument de poids, à La Java, outre la vaste offre culturelle gratuite, l’entrée des spectacles et concerts est le plus souvent fixée à 5 ou 6 €, très loin des tarifs pratiqués par certains évènements, par ailleurs fortement subventionnés.
Quel serait alors le montant d’une subvention qui pourrait garantir la pérennité de La Java des Baleines ? « Nous nous imposons au moins trois soirées par semaine sans bruit, malgré la demande du public. Nous fermons à minuit et les bâches à 22h. Nous aimerions qu’un soutien financier de la partie culturelle nous permette de fermer un soir par semaine et/ou de fermer un ou deux soirs à 22h. » Pour dire les choses plus clairement, La Java ne peut envisager de perdurer sans un montant total de subventions situé entre 35 et 50 K€, contre 13 K€ actuellement. Peut-être faudrait-il aussi creuser coté Région et DRAC, outre l’important effort sollicité de la part du Département et de la CdC. Et que la réduction de certains coûts, notamment de location, ou via des aides matérielles, pourrait aussi contribuer à l’équilibre économique.
Jonathan et ses associés ont joué le jeu cinq années, pour le plus grand bonheur de nombreux aficionados du lieu, ponctuels ou très fidèles, ils décideront cet automne s’ils repartent ou non l’an prochain pour une nouvelle saison, après avoir rencontré les élus du Département et de la CdC, auxquels ils ont écrit pour solliciter un entretien dès le mois de septembre.
Très sollicités par d’autres territoires sur le continent (mais Jonathan n’est pas motivé pour y « exporter » La Java : « Ce serait sans moi »), les associés ont aussi d’autres cordes à leurs arcs.
L’île de Ré sans La Java ne serait plus la même, tant on s’est vite habitué à ce lieu unique, atypique et profondément vivant.
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