- Environnement & Patrimoine
- Portrait - interview
Philippe Pouvesle : gardien des forêts et des dunes rétaises depuis plus de vingt ans
Plus qu’un métier, c’est une passion que Philippe Pouvesle exerce depuis qu’il a passé le concours de l’Office National des Forêts dans les années 70. Après une grande expérience à Fontainebleau, c’est à l’île de Ré qu’il a posé ses bagages en 2000.
Philippe Pouvesle est le seul agent patrimonial de l’ONF de l’île de Ré et il cédera sa place en octobre prochain pour sa retraite. Il nous en dit plus sur son parcours et les missions de sauvegarde du patrimoine naturel auxquelles il s’est consacré pendant toute sa carrière.
Ré à la Hune : Philippe Pouvesle, d’où vous est venue cette envie de travailler à la sauvegarde du milieu naturel ?
Philippe Pouvesle : Je suis né à Bourges dans le centre de la France, où il y a d’immenses forêts de chênes, j’allais souvent y ramasser les champignons avec ma famille et mes amis. J’ai toujours eu le virus de la forêt depuis que je suis petit. J’ai donc orienté mes études pour pouvoir entrer à l’ONF en passant par l’école forestière. Le concours pour y entrer était assez complexe, il y avait une soixantaine de places pour trois mille candidats, mais une fois que vous l’obteniez vous aviez une place dans l’école pour deux années d’étude qui vous offraient une fonction au sein de l’ONF par la suite.
Où avez-vous débuté votre carrière ?
Mon premier poste était situé en Île de France, à côté de la forêt de Fontainebleau, où pendant plus de vingt ans j’ai fait beaucoup de travaux dans les forêts de chênes, c’est-àdire régénérer la forêt grâce à des coupes de bois notamment. J’ai également été chargé de l’accueil du public, notamment les weekend pour des visites et de la sensibilisation, ce qui m’a donné le goût du tourisme. Puis ayant envie de voir autre chose, j’ai postulé au poste de technicien forestier pour l’ONF à l’île de Ré qui venait de se libérer. J’ai été pris et nous avons donc débarqué avec ma femme et nos deux enfants le 23 décembre 2000 dans notre nouvelle maison de fonction à Saint-Clément des Baleines. Il a fallu apprendre un métier différent avec un milieu différent, c’est l’écharpe de l’ONF, selon les postes que vous avez il faut vous adapter.
Quel est le rôle de l’ONF en France ?
Il est important de préciser que l’ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial qui gère les propriétés privées de l’État, les forêts domaniales, n’appartenant donc pas à tout le monde contrairement à ce que certains pourraient penser. Nous nous engageons par contrat avec l’État à toujours laisser un aspect boisé à ces forêts. Nous sommes des gestionnaires du milieu naturel avec une forêt française à dominante artificielle, la plupart du temps orientée vers la découpe et la production de bois, et nous continuons en ce sens, c’est quelque chose qui a toujours existé. Alors certains le découvrent juste et s’en offusquent, mais tout comme la chasse qui pour l’instant est nécessaire à la protection de certaines espèces grâce notamment à la régulation, cela ne changera pas du jour au lendemain. Cependant l’ONF évolue en fonction de l’évolution de la société et s’adapte en donnant plus d’informations sur la raison de la découpe de ces arbres ou encore sur les prélèvements d’animaux.
Quelles sont vos missions sur ce territoire rétais ?
Ma mission principale est bien sûr de maintenir les forêts boisées au maximum, cependant pour qu’une forêt aille bien il faut quand même faire du prélèvement dedans afin que les arbres qui la composent vivent et respirent bien. Sur l’île de Ré, nous sommes sur une forêt de première génération, il ne faut pas oublier qu’elle a été boisée sur d’anciens terrains agricoles après la seconde guerre mondiale, elle est donc très jeune. Les choix de plantation de l’époque n’ont pas forcément été les bons, mais il ne faut pas jeter la pierre à mes prédécesseurs qui ont fait avec les connaissances de l’époque. Cette forêt produit donc très peu et, à cause de son éloignement avec le continent, on n’arrive pas vraiment à trouver d’exploitants qui veulent travailler son bois. Naturellement le pin maritime qui la compose va donc être remplacé par le chêne vert qui envahit l’espace et deviendra l’espèce dominante d’ici une cinquantaine d’années.
Mon autre mission est d’assurer la protection du cordon dunaire soumis à l’érosion de la mer. On ne peut pas vraiment lutter contre ce phénomène, ou seulement quand il est lié à la mise en place d’ouvrages qui créent des dysfonctionnements comme cela s’est passé à Saint-Clément-des-Baleines où l’on a réussi à calmer le recul de la dune en enlevant l’escalier d’accès à la Conche du Pas de Zanuck, mais il faut rester modeste. Je fais donc ce que je peux à mon niveau, avec le “Programme dunes”, pour lequel l’État nous donne de l’argent pour protéger ce cordon dunaire représentant vingt kilomètres et qui est soumis à une très forte pression touristique. La Communauté de Communes de l’île de Ré nous aide énormément, notamment avec la mise en place de protections et de sauvegarde de ce milieu contre le piétinement humain et l’envahissement d’espèces végétales que l’on régule sur certains secteurs. Elle nous assiste également dans l’accueil du public, en effet depuis 2012 nous avons entrepris avec elle la remise en état de tous les parkings et des aires d’accueil rétais situés dans les forêts domaniales. Le dernier parking à réhabiliter est à Saint-Clément-des- Baleines, ce sera fait en fin d’année.
À l’ONF, nous protégeons l’environnement mais nous engageons aussi notre responsabilité auprès du public. Si quelqu’un se blesse à cause de l’une de nos installations (tables, bancs, accès à la plage en bois…) nous sommes responsables. J’ai également des fonctions de police judiciaire et je suis à même de verbaliser les personnes qui ne respectent pas la loi en matière de protection de l’environnement. En saison estivale, nous faisons donc beaucoup de contrôles pour garantir la sécurité de chacun. La grosse problématique à ce moment-là, ce sont les feux. Pour les éviter, nous mettons des panneaux indiquant clairement le coût de la contravention de 135 euros pour la personne qui en allume un, c’est assez dissuasif, mais parfois cela ne suffit pas. Pour rappel, tout apport de feu est interdit en forêt et à deux cents mètres de la limite des forêts, même ceux émanant d’un barbecue…
Faites-vous des actions de sensibilisation auprès du public ?
Tout d’abord il faut savoir que la plupart des dégradations sur les dunes ne sont pas liées aux touristes, même s’ils y sont aussi pour beaucoup, mais aux locaux qui ont leurs habitudes depuis des décennies et qui ne les changent pas facilement. Par exemple, quand je suis arrivé il y a vingt ans, entre le Bois-Plage et les Grenettes, il y avait un accès à la plage tous les deux cents mètres. Quand vous êtes habitué à prendre un chemin pour rejoindre votre plage depuis que vous êtes tout petit, il n’est pas évident de vous en faire prendre un autre même s’il se situe quelques mètres plus loin et qu’il permet d’éviter l’érosion. Nous mettons des barrières ou des fils qui se font détruire ou couper, les gens forcent le passage. Nous mettons donc des panneaux explicatifs et nous faisons un travail de sensibilisation important auprès des locaux pour que cela devienne logique dans leur esprit et surtout dans les écoles. Il faut d’ailleurs souligner que les instituteurs font un travail remarquable de prévention auprès des enfants, au niveau de l’environnement en général. Ces derniers sont très ouverts et plus éveillés qu’il y a vingt ans sur ces sujets-là. Une action qui nous tient particulièrement à coeur avec les élèves est celle de la plantation des sapins de Noël collectés après les fêtes, afin de protéger les dunes. Nous avons également végétalisé d’anciens chemins d’accès à la plage avec des élèves dans le nord de l’île, en plantant des oyats.
Êtes-vous satisfait du travail engagé depuis toutes ces années ?
Déjà on voit une très nette évolution comportementale de la part du public, donc cela est une très bonne chose. Ensuite, concernant les dunes, il y a vingt-ans quand vous preniez la route entre Saint-Martin et La Couarde, les dunes étaient toutes blanches, ce n’était que du sable qui décollait et qui s’envolait sur l’arrière. On a réussi en mettant des branches, en les végétalisant, à bloquer le sable, on a donc maintenant des dunes qui sont pérennes et stables. Même si beaucoup de secteurs sont encore en érosion, certaines zones dunaires s’enrichissent, gagnent du terrain et s’étoffent. Ce que je regrette, c’est que nous sommes obligés de mettre des clôtures infranchissables et non simplement des ficelles trop faciles à enlever, ce qui esthétiquement n’est pas le top et coûte cher, mais si on ne le fait pas la dune disparaît.
Quel est la priorité actuelle et future pour la sauvegarde de ce patrimoine naturel rétais ?
Cela n’est que mon ressenti, mais à mon sens les enjeux de demain vont être de savoir mettre un curseur sur les capacités d’accueil en saison estivale. Même si une amélioration est à noter du côté du public, depuis troisquatre ans on se rend compte qu’il y a un engouement pour les moyens de transports doux notamment l’utilisation du vélo au lieu de la voiture. Il faut se rendre compte que nous sommes dans un milieu exceptionnel où la forêt cohabite avec les dunes et le littoral, partout ailleurs en France il y a au moins deux cents mètres entre ces deux milieux, il est donc particulièrement fragile et c’est à nous tous, collectivement, d’en prendre le plus grand soin.
L’heure d’une retraite bien méritée va bientôt sonner, connaissez-vous votre successeur et quels sont vos projets ?
Je ne connais pas encore mon successeur, la liste des postes vacants ou susceptibles de le devenir, en France, va bientôt paraître. À partir de là, les personnes en possession du concours de l’ONF pourront postuler. Des entretiens d’embauche seront ensuite réalisés par le directeur régional pour choisir LE candidat. C’est un poste où il faut être très autonome, les premiers collègues étant à cent kilomètres, mais nous sommes dans un environnement agréable et magnifique, et le métier est passionnant. Je vais bien évidemment regretter cet endroit quand je quitterai mes fonctions, mais d’un autre côté je vais aller m’installer pas loin d’une immense forêt dans un petit coin de France donc la retraite devrait être bonne…
Nous vous le souhaitons Philippe, merci pour votre engagement à sauvegarder notre belle île de Ré et bon vent à vous !
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