Philippe Bodart : un marin dans l’âme
Pour tenter de comprendre Philippe Bodart et percer son élégante carapace, il faut savoir deux ou trois choses de lui. La première est qu’il est issu d’une ancienne famille rétaise et qu’il est très attaché à son île, que la mer est aujourd’hui la première de ses passions et, enfin, que son expérience de la restauration est unique parce que riche et variée.
Une jeunesse magnifique
Bien qu’élevé à la dure par un père ostréiculteur, soucieux de lui donner une véritable éducation, il a le souvenir d’une jeunesse magnifique dans une famille qui l’a entouré et aimé. Cette enfance l’a forgé et il en tire à la fois sa force et son exigence. Son père aurait souhaité qu’il prenne sa succession – comme lui aujourd’hui voudrait que sa fille Eva assure la relève –, cependant il n’en était pas question pour ce jeune homme qui se cherchait encore et rêvait de partir à la découverte du monde. Il flirte un court moment avec l’idée de rentrer à l’École Hôtelière. Il y renonce et fera finalement un DEUG de droit à La Rochelle, puis, s’adonnant à sa première passion, la musique, se rendra à Paris pour y suivre les cours d’une école de jazz. Le droit ne le branche pas plus que ça et il est suffisamment mature pour savoir que les petits boulots d’un côté et les jazz sessions vespérales ne débouchent pas sur l’avenir qu’il souhaite.
Les années formatrices
Ce sont ses futurs amis marins qui vont le sauver en lui faisant réellement découvrir la mer et en lui ouvrant des horizons qu’il n’envisageait même pas. En 1982, grâce à eux, il vogue vers la mer des Caraïbes dans le but avoué d’y vendre les huîtres rétaises de son papa. À Saint-Barthélémy, où l’on ne parlait alors pratiquement pas le français, il va découvrir un monde nouveau, fréquenté par une foule d’Américains plus ou moins fortunés et par des marins. Gustavia, port franc où tout peut entrer et sortir sans le contrôle des douanes est propice à la contrebande et attire les flibustiers des temps modernes. Philippe se trouve un emploi bien rémunéré au Club La Fayette, un célèbre restaurant installé le long d’une plage paradisiaque. L’endroit est connu et des millionnaires discrets y côtoient des personnalités politiques. Il rencontrera ainsi Jacques Foccart, Lucette Michaux-Chevry, les membres de la famille Rockfeller, et tant d’autres au cours des huit hivers qu’il passera à Saint-Bart ! Ses soirées sont libres et il profite des nombreuses invitations à des « parties » et autres fêtes extraordinaires pour découvrir cette société particulière où le bling bling est proscrit. Les gens de mer viennent nombreux mouiller à Saint-Bart, parmi lesquels de grands marins, des artistes amoureux de la mer tel Coluche ou Bob Dylan et sa superbe goélette. Des rencontres passionnantes ont lieu et des amitiés durables se nouent à bord de ces bateaux où les relations sont faciles et les barrières sociales inexistantes.
Parallèlement, il achète Le Grand Guillou à Jean-Pierre Bordin, devenu aujourd’hui Le Cubana où il fait de petites saisons de mi-juin à début septembre. Il ne gagne pas grand’ chose mais entre l’été dans l’île et l’hiver à Saint-Bart « c’était la belle vie ».
La Baleine Bleue
À la fin des années 80, Philippe se marie. Il passera encore un hiver avec femme et enfant à New York, cependant le temps est venu de se stabiliser. Durant tous ces hivers dans les Antilles, il a peaufiné le concept d’une restauration différente et moderne, d’une autre manière de travailler et de servir. Le temps que le client passe dans son établissement doit être un moment unique qui le sorte de son quotidien, une parenthèse agréable et joyeuse avec une cuisine bistronomique irréprochable et de qualité constante. Ayant vendu Le Grand Guillou, il cherche le décor adéquat où mettre ses idées en application. Les banques croient en son projet et le suivent car tout le monde pensait qu’avec l’ouverture du pont l’économie de l’île allait décoller. Ce sera La Baleine Bleue, sur l’îlot du port de Saint-Martin, qui n’avait pas bonne presse en ’89. Et pourtant, l’îlot bénéficie du soleil dès le matin alors que le reste du port est dans l’ombre et les trois terrasses de La Baleine Bleue seront ensoleillées du lever au coucher du soleil.
Les débuts sont difficiles. La restauration est un métier ingrat : on travaille beaucoup et sans horaires, en particulier dans une zone touristique. La Baleine Bleue n’a pas de licence IV quand elle ouvre le 4 mai 1989 et ne pourra créer son bar que plus tard quand une licence IV sera disponible et que la famille de Philippe l’aidera à l’acquérir. Son épouse se lasse de toutes ses difficultés et le quitte. Coup dur pour cet homme sensible qui fait justement en sorte de ne pas montrer ses émotions. Heureusement, ses véritables amis l’entourent. Il aura d’autres moments difficiles, mais l’orgueil, le bon, celui qui vous fait avancer, l’aidera à tenir.
Une adresse mythique
Une fois ouvert, le bar est incontournable en deux ans et dans son sillage, La Baleine Bleue deviendra non seulement l’une des meilleures tables de l’île mais aussi une adresse mythique, chic et décontractée où il fait bon faire la fête. Maintenir cette image d’excellence demande une attention de tous les moments, qui correspond à la volonté de Philippe de toujours vouloir bien faire les choses. Il faut sans cesse se renouveler tout en conservant un égal standard de qualité. Il suit attentivement ce qui se passe dans la profession et apporte régulièrement des innovations à son établissement. Cette année, il a changé de Chef donnant ainsi un souffle nouveau au restaurant. Il a maintenant les moyens d’avoir une bonne équipe, ce qui lui facilite la tâche et lui permet de s’échapper pendant les périodes calmes pour s’adonner à son passe-temps de prédilection : la voile. Il traversera prochainement l’océan Atlantique, en direction des Antilles, sur un voilier qu’il prépare depuis un an avec ses amis proches. Et il sait déjà que l’année prochaine il s’attaquera au Pacifique. C’est pourquoi il tient et garde le cap.
Lire aussi
-
Portraits
Une parenthèse iodée pour le comédien Hugo Becker
Entre une tournée nationale pour jouer la pièce de théâtre « Les variations énigmatiques » et la fin du tournage d’un film, rencontre avec Hugo Becker de passage sur l’île lors d’un week-end prolongé au Relais Thalasso de Sainte-Marie-de-Ré.
-
Économie
« Une saison atypique et olympique »
Ré à la Hune s’est entretenu avec le président de Charentes-Tourisme quant au bilan de la saison 2024 et aux enjeux auxquels la filière touristique doit répondre.
-
Économie
La saison en Charente-Maritime et sur l’île de Ré
Charentes-Tourisme et Destination Île de Ré ont communiqué à Ré à la Hune leur premier bilan de saison 2024, des vacances de Pâques aux vacances de la Toussaint.
Je souhaite réagir à cet article