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Patrick Chevrier, une vie au large
Ancien patron du bateau de pêche flottais « Jemapa », le président de l’Amicale des anciens Cols Bleus de l’île de Ré a consacré toute son existence à la mer, parfois au péril de sa vie. Portrait.

C’est à la Chaume, petit port de pêche des Sables d’Olonne, que tout a commencé, un 4 avril 1954. Petit dernier d’une fratrie de six, Patrick Chevrier garde de cette enfance vendéenne quelques souvenirs marquants, comme ce jour où il a voulu rejoindre son père Maurice sur le port. Après avoir pris son petit vélo dans le garage, il a dévalé la rue du port sans vraiment maîtriser les freins. « Je n’ai pas pu m’arrêter et j’ai fini dans le port. Je ne savais pas nager. C’est un estivant qui s’est jeté à l’eau pour me sauver », raconte Patrick Chevrier. Fasciné par les bateaux, il tentera même, à 8 ans, de se cacher dans le bateau de son père pour partir en mer. C’est le bosco, le second du bateau, qui découvrira le petit garçon caché dans la couchette au moment où le bateau larguait les amarres pour une campagne de pêche au thon de 30 jours ! Petit dernier de la fratrie, Patrick, le « chouchou » de la famille, connait une enfance heureuse en Vendée, où il construit de solides amitiés.
Mal du pays
Mais sa mère Raymonde, employée à l’usine Saupiquet des Sables d’Olonne, a le mal du pays. Originaire de la Noue, à Sainte-Marie, elle a rencontré Maurice sur le port de La Flotte, en 1945. Lui venait pour des campagnes de pêche (rougets, seiches, coquilles Saint- Jacques) à bord de la « Berceuse des Flots », elle-même était issue d’une famille rétaise de pêcheurs. Suite à leur rencontre, Raymonde Brochard décide de suivre Maurice aux Sables d’Olonne. En 1963, Maurice décide de refaire une saison de pêche sur l’île de Ré, histoire de voir si une installation définitive serait économiquement viable. « La saison des pétoncles a été très fructueuse, il nous a donc tous rapatrié sur l’île », se souvient Patrick.
La famille s’installe dans une location chez Madame Gadiou, rue de la Caravelle, à proximité du port de La Flotte. Pour Patrick, âgé de 9 ans, c’est un changement brutal : nouvelle école, nouvelle maison, nouveaux camarades. « J’ai vécu ça un peu comme un échec, surtout le fait de perdre mes copains d’enfance », reconnait-il. Si sa mère est chez elle, son père est lui longtemps considéré « comme un étranger » par les îliens, et l’intégration prendra plusieurs mois. Tandis que son père navigue à bord du « Santa Teresa », Patrick n’a qu’une obsession : partir en mer. « Le jeudi, comme je n’avais pas école, je partais à la pêche avec mon papa », se souvient-il. L’été, à partir de ses 10 ans, il se fait une petite pièce en vendant des araignées de mer directement sur le port de La Flotte.
A 14 ans en mer
A l’issue de son certificat d’étude, il intègre l’école des mousses de La Rochelle et embarque comme novice, à seulement 14 ans, sur le « Jean-Nicole II », un chalut de La Flotte. Lorsque le patron lui demande ce qu’il vient faire, il lui répond qu’il veut naviguer. « Il me dit qu’il a besoin d’un cuisinier, je lui réponds que je ne sais même pas faire cuire un oeuf ! Il m’a dit que j’allais apprendre », rigole Patrick. Cette première expérience tournera court : alors qu’il se trouve à l’école des mousses, Patrick apprend que « son » bateau a coulé, pris dans une tempête entre le phare de Chassiron et l’île de Ré1 ! Il poursuit donc sur un autre bateau flottais, le Nélonbo, pour des campagnes de 8 jours en mer.
A 16 ans, il prend le grand large sur un thonier de vingt mètres, le « Louisa », pour des campagnes de pêche d’environ un mois. Le périple commence par huit jours de mer, le temps de rejoindre les Açores et les premiers bancs de poissons. Puis c’est la remontée, en suivant celles des thons, vers l’Atlantique nord, jusqu’aux côtes écossaises ! A bord, les conditions sont spartiates pour les six marins. Les 1000 m3 d’eau douce embarquée à bord servent uniquement pour la cuisine et l’hydratation des marins, les douches attendront le retour à terre… La viande est conservée tant bien que mal dans la glace de la cale du navire. « Au bout de 15 jours de mer, on ne mangeait plus que du thon, matin, midi et soir », rigole Patrick Chevrier. Le marin-pêcheur gagne mieux sa vie qu’un ouvrier à terre, mais à quel prix ! 18 à 20 heures de travail par jour, des nuits de 4 heures maximum, et lorsque le poisson est au rendez-vous, des périodes de 80 heures sans sommeil…
La mort de près
C’est lors d’une escale à terre qu’il rencontre à 17 ans Monique, coiffeuse à La Flotte, qui deviendra son épouse et lui donnera un fils, Jérémy. « Je lui ai dit : ne t’inquiète pas, tu ne me verras pas souvent » sourit Patrick. Elle a bien failli ne jamais le revoir, comme cette fois où il est tombé à l’eau pendant une sortie sur le « Louisa », et où il a été repêché in extremis. En 1980, alors qu’il navigue sur un nouveau bateau, « l’Orca » de La Rochelle, il est pris de terribles douleurs au ventre, accompagnées de fièvre. Il faudra douze heures de navigation pour le débarquer et le conduire à l’hôpital de La Rochelle. Bilan : une perforation de l’estomac et une opération en urgence. « Ça s’est joué à très peu de choses, j’aurais pu mourir d’une hémorragie interne », confie le marin. Après 6 mois de convalescence, le médecin de la Marine le déclare inapte à la pêche au large. Une tuile pour le couple qui vient juste de commencer les travaux de sa maison à la Flotte. Comment va-t-il rebondir, lui qui n’a connu que la vie au large ? Avec l’appui de son frère Christian, officier de Marine, Patrick Chevrier est embauché à la régie des passages d’eau, entre La Pallice et l’île de Ré.
Mais l’ouverture du pont en 1988 sonne le glas des bacs, et Patrick retourne à ses premiers amours : il fait construire son propre bateau, le « Jemapa », dont le nom évoque les prénoms de son fils, sa femme et lui-même (JErémy, MArtine, PAtrick). Son objectif : la pêche à la journée conciliable avec ses problèmes de santé2 et respectueuse des ressources, dans les pertuis charentais, où il remonte bars, soles, merlus ou homards. Pour valoriser ce poisson frais, il décide de le vendre directement à la descente du bateau, sur le quai de La Flotte, puis à Saint-Martin. Suite à son départ à la retraite, c’est son fils Jérémy qui reprend le « Jemapa » en 2009, avant de le céder en 2022. La fin d’une époque, puisqu’il était le dernier marin-pêcheur de la famille Chevrier sur l’île de Ré. Ironie tragique du destin, le « Jemapa », rebaptisé « Rumalo II » suite à son rachat, a coulé le 27 janvier 2023 au large de Saint-Clément-des- Baleines, causant la mort du patron de pêche…
Après un mandat de trois ans comme vice-président du Comité régional des pêches, Patrick Chevrier est devenu en 2016 président de l’Amicale des anciens cols bleus de l’île de Ré (voir encadré), association qui a fêté l’an dernier ses 75 ans. Lui qui a échappé à tant de dangers au large, c’est lors d’une sortie en vélo en 2021, du côté de Périgny, que tout a failli s’arrêter. Deux de ses cinq copains, fauchés par une remorque de voiture, y ont laissé la vie. Patrick s’en est sorti miraculeusement. Pour la quatrième fois, comme il dit.
1 – L’équipage du Jean-Nicole II a pu être sauvé.
2 – Le médecin l’a déclaré inapte à la pêche hauturière sur plusieurs jours, mais il a la possibilité de naviguer à la journée.
Une association historique sur l’île de Ré
Fondée le 7 octobre 1948, l’Amicale des Anciens Cols Bleus de l’île de Ré est une association affiliée à la Fammac (Fédération des Associations de Marins et Anciens Marins Combattants). Elle a pour objet de conserver et de renforcer les liens d’amitié, de camaraderie, qui unissent les anciens marins dans le souvenir des joies, des efforts, des dangers et aussi des sacrifices vécus en commun au service de la France. Elle organise ainsi de nombreux évènements qui entretiennent la solidarité et l’entraide mutuelle : l’association a par exemple offert pendant le Covid 500 repas (ragoût de seiche) pour les personnes en difficulté ou encore une soupe de poisson sur le port de Saint-Martin le 23 décembre dernier. Dernièrement, elle a aussi affrété un camion pour l’Ukraine pour aider les populations victimes de la guerre. L’association participe également aux cérémonies commémoratives, autour de ses porte-drapeaux. Riche d’une centaine d’adhérents et de 500 bénévoles, l’Amicale se compose de membres actifs comprenant des marins de l’Etat qui ne sont plus en service actif, des marins du commerce ayant servi dans la Marine nationale, marins-pêcheurs etc… La commune de Saint-Martin vient tout juste de mettre gracieusement à sa disposition un local, place de la République, où elle a désormais son siège. (*)
Conférence : Patrick Chevrier organise le 2 juin prochain à 16h, salle Vauban à Saint-Martin, une conférence gratuite sur l’histoire de la pêche rétaise, intitulée « Il était une fois la famille Chevrier ». Il reviendra sur l’histoire de sa famille qui compte huit générations de marins*.
* Lire notre article paru dans Île de Ré Mag’ 2024 et Ré à la Hune :
www.realahune.fr/la-flotte-figure-de-proue-de-la-peche-retaise


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