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Parcs éoliens offshore et « effet récif » : vrai ou faux ?
Issu de la lecture de revues générales et d’articles récents rédigés par des scientifiques du domaine, et cités en référence, cet article est un document produit par le C A de Ré Nature Environnement qui a mobilisé à cet effet son réseau de naturalistes et de scientifiques. Il résume l’état des connaissances sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet récif artificiel » des éoliennes offshore et ses conséquences sur les écosystèmes. Il est aussi une réponse aux pro-éoliens marins qui posent « les bienfaits pour la biodiversité » qu’apporteraient «ces récifs artificiels» aux écosystèmes colonisés par les éoliennes.
Sur l’ensemble des parutions scientifiques actuelles au 17/O2/ 2022 documentant « cet effet récif artificiel », il n’est pas possible de conclure à un effet positif sur les écosystèmes marins. On notera au contraire les inquiétudes émises par les deux biologistes Jean Claude Dauvin et Ludivine Martinez lors de la table ronde du 19 février 2022 organisée par la CPDP à La Rochelle dans le cadre du Débat Public sur l’implantation de plusieurs zones éoliennes industrielles marines au large d’Oléron et de Ré. JC Dauvin a participé à plusieurs sources en référence. Pour plus d’info, lisez le document complet : http:// www.eolien-oleron.fr/sdm_downloads/ parcs-eoliens-offshore-et-recifs-artificiels
Les eaux côtières jusqu’à 200 m de profondeur (ici le plateau continental d’environ 200 km au large de Ré et Oléron) représentent environ 8 % de la surface du globe, mais elles assurent 25 % de la production des océans, 79 % des espèces de poissons marins et 90 % de l’exploitation marine. Abritant la plus grande diversité et la plus grande abondance d’espèces marines, les eaux côtières sont les plus menacées par les facteurs liés aux activités humaines. La multiplication de structures artificielles comme les parcs éoliens s’ajoutant aux substrats durs naturels est une composante importante des changements de fonctionnement des milieux marins côtiers.
Les parcs éoliens changent l’environnement local au-dessus et en dessous de la surface. Les impacts les plus documentés concernent les oiseaux, les chauves-souris et les mammifères marins. Ces changements, qui sont retrouvés sur d’autres structures anthropiques placées dans l’environnement marin, sont communément assimilés à un « effet récif artificiel »1.
Avec une différence majeure ! Les récifs artificiels sensu stricto sont aménagés pour protéger les zones littorales de chalutages pourtant interdits à moins de 3 milles marins des côtes, pour promouvoir la biodiversité, soutenir une espèce menacée, etc… (cf définition IFREMER rapport 20082). Ils sont donc conçus sur la base de connaissances consolidées. Les parcs éoliens sont réalisés pour un tout autre objet, et les constats en termes d’impact arrivent après-coup. Ils sont essentiellement de nature descriptive, sans que les données recueillies ne contribuent à la compréhension des relations cause-effet sous-jacentes. A noter que les données disponibles sur l’impact des éoliennes portent sur les étapes de construction et d’exploitation, peu sur l’étape de démantèlement, et, pour l’Europe, concernent essentiellement les sites de la Mer du Nord et de la Mer Baltique, ce qui pose la question de la pertinence de leur extrapolation vers d’autres espaces marins comme ceux du golfe de Gascogne.
LES RECIFS ARTIFICIELS
Selon la définition proposée par IFREMER2, « les récifs artificiels désignent des structures immergées volontairement dans le but de créer, protéger ou restaurer un écosystème riche et diversifié. Ces structures peuvent induire chez les animaux des réponses d’attraction, de concentration, de protection et, dans certains cas, une augmentation de la biomasse de certaines espèces ». Bien que les récifs artificiels soient déployés délibérément pour promouvoir la biodiversité, leurs avantages environnementaux nets font l’objet de débats. Pour démontrer et évaluer quantitativement « l’effet récif » il faut prendre en compte les différentes échelles spatio-temporelles lors des multiples phases du projet (diagnostic de la situation à améliorer, suivi et évaluation des impacts de l’aménagement, gestion des activités s’exerçant sur le site). Aux difficultés de mise en oeuvre inhérentes à cette démarche s’ajoutent la variabilité naturelle de la ressource biologique et la difficulté à définir des stations de référence. L’appréciation objective de la valeur ajoutée est fortement dépendante de la localisation et de la dimension du projet, de la fenêtre spatio-temporelle d’analyse, et des flux d’importation et d’exportation avec la zone environnante.
L’essentiel de la bibliographie scientifique se limite à une description de la colonisation des structures par le benthos (la biodiversité du fond) et à l’évaluation de la faune mobile à proximité immédiate « des récifs ».
LES PARCS EOLIENS et « l’effet récif » 1,4-5
« Les structures industrielles ne peuvent être assimilées à des récifs artificiels dès lors que les motivations premières du choix initial de leur localisation et de leur architecture répondent à d’autres critères que l’optimisation de la productivité de l’écosystème d’accueil. Il en va de même pour les aménagements portuaires et certains aménagements de défense du trait de côte. Cependant cette potentielle valorisation de sites industriels ou d’ouvrages maritimes est couramment avancée, soit comme argument pour en faciliter l’acceptation par le public (éoliennes offshore), soit pour en justifier le recyclage sur place et éviter ainsi un démantèlement coûteux » (Rapport IFREMER, 2008) 2
Bien qu’ils ne soient pas conçus comme des récifs artificiels, et donc ne répondent pas à la définition de ces derniers, les parcs éoliens offshore ont des impacts biologiques et environnementaux dont l’évaluation rencontre les mêmes difficultés.
Au cours de la construction et de l’exploitation des parcs éoliens offshore, l’influence du changement des conditions hydrodynamiques sur la disponibilité de la nourriture, les effets de l’augmentation de turbidité sur la production de phytoplancton primaire, ainsi que les effets répulsifs ou toxiques des bruits et des vibrations sur la faune ont la possibilité de perturber le système benthique sur une large échelle spatiale et temporelle. La présence des parties aériennes et immergées des éoliennes modifie les conditions hydrodynamiques, agissant sur les vents et les courants induits, sur les courants de marée, sur l’activité des vagues, et sur le mélange vertical au sein de la colonne d’eau. La structure et la dynamique des sédiments s’en trouvent affectées, et modifient en retour les conditions de lumière sous-marine, la disponibilité des nutriments, la reproduction, la distribution et la colonisation du benthos. La fixation des larves benthiques et leur flux vers le sédiment environnant peuvent aussi être influencés par ces changements hydrodynamiques. Le benthos peut également être affecté par les champs électriques et magnétiques engendrés par le réseau de câbles électriques sous-marins, car beaucoup d’organismes marins sont dotés de capacités d’électro- et magnéto-réception nécessaires à leurs fonctions vitales.
La compréhension de l’effet de récif artificiel des parcs éoliens doit également tenir compte des modifications du climat. La combinaison de l’acidification et du réchauffement des eaux marines côtières entraîne des changements substantiels, non-additifs et complexes, dans la dynamique des communautés biologiques, affecte le cycle des nutriments pélagiques et benthiques et modifie le mécanisme qui sous-tend les interactions prédateur-proie. Une étude expérimentale publiée en 2022 suggère que les impacts localisés des éoliennes et les conséquences du changement climatique en termes de température et d’acidification pourraient induire collectivement des changements à grande échelle dans le fonctionnement de l’écosystème associé 7.
CONCLUSION
Les changements clairement mis en évidence à l’échelle restreinte des turbines ou des surfaces adjacentes ont nécessairement des répercussions à une échelle écosystémique plus globale. On sait en effet que l’introduction ou le retrait d’une ou plusieurs espèces, au sein du réseau complexe d’interactions biologiques et environnementales qui caractérisent un écosystème, influe sur la façon dont cet écosystème fonctionne, par exemple en modifiant la dynamique hors-équilibre des réseaux trophiques (ensemble des relations alimentaires entre espèces). Ces modifications peuvent conduire à un changement d’état global de l’écosystème, voire à son instabilité
Une analyse exhaustive récente de la bibliographie scientifique portant sur les effets des parcs éoliens (et intégrant les récifs artificiels) (Dannheim et al., 2020) 1 a mis en évidence à la fois la grande diversité des connaissances disponibles et leur aspect fragmentaire, avec de nombreuses lacunes concernant l’impact global sur les écosystèmes marins. Chaque publication scientifique n’aborde qu’une ou quelques questions particulières, comme l’attraction des poissons, la colonisation par des espèces non-indigènes, la productivité des moulières, etc… Les échelles spatiales sont choisies de manière arbitraire, les études se focalisant principalement sur une approche descriptive des sédiments meubles et des communautés qui colonisent les surfaces artificielles (densité, diversité, etc…). Les données issues de ces études ne permettent pas à l’heure actuelle d’appréhender l’impact réel de l’industrie éolienne offshore sur le fonctionnement de l’écosystème marin. Cette situation est préoccupante au regard de l’expansion programmée des parcs éoliens offshore le long de nos côtes et de la nécessité de mettre en place un suivi spatio-temporel incontestable à grande échelle (côtes françaises voire européennes) de l’effet récif de ces nouvelles infrastructures en mer (Wrigh et al., 2020 )9.
En conclusion il nous semble tout à fait inapproprié et injustifié de présenter ce soi-disant « effet récif » comme une contribution des parcs éoliens offshore à la sauvegarde de la biodiversité, et il ne saurait en aucun cas entrer dans le cadre des mesures ERC (Eviter-Réduire-Compenser) à mettre en oeuvre dans le cadre de ce projet éolien Sud-Atlantique.
Références
1) Dannheim J., Bergström L., Birchenough S. N. R., Brzana R., BoonA.R., Coolen J.W. P., Dauvin J.-C. et al. (2020). Benthic effects of offshore renewables: Identification of knowledge gaps and urgently needed research. ICES Journal of Marine Science 77(3):1,092–1,108.
2) Véron G., Denis J., Thouard E., Thébaud O., Gérard A. (2008) Les récifs artificiels – Etat des connaissances et recommandations. Rapport IFREMER.
3) Sanabria-Fernandez J.A., Lazzaria N., Rierad R., Becerroa M.A. (2018). Building up marine biodiversity loss: Artificial substrates hold lower number and abundance of low occupancy benthic and sessile species. Marine Environmental Research 140: 190–199.
4) Degraer S., Carey D.A., Coolen J.W.P., Hutchison Z.L., Kerckhof F., Rumes B., and Vanaverbeke J. (2020). Offshore wind farm artificial reefs affect ecosystem structure and functioning: A synthesis. Oceanography 33(4):48–57.
5) Wilding T.A., Gill A.B., Boon A., Sheehan E., Dauvin J.-C. et al. (2017). Turning off the DRIP (‘Data-rich, information-poor’)— rationalizing monitoring with a focus on marine renewable energy developments and the benthos. Renewable and Sustainable Energy Reviews 74:848–859.
6) Ivanov E., Capet A., De Borger E., Degraer S., Delhez E.J.M., Soetaert K., Vanaverbeke J. and Grégoire M. (2021) Offshore Wind Farm Footprint on Organic and Mineral Particle Flux to the Bottom. Front. Mar. Sci. 8:631799.
7) Voet H.E.E., Van Colen C., Vanaverbeke J. (2022) Climate change effects on the ecophysiology and ecological functioning of an offshore wind farm artificial hard substrate community. Science of the Total Environment 810: 152194.
8) Pezy, J.-P., Raoux, A., and Dauvin, J.-C. (2020). An ecosystem approach for studying the impact of offshore wind farms: a French case study. – ICES Journal of Marine Science, 77: 1238–1246.
9) Wright A.J. et al., (2020) How ‘Blue’ Is ‘Green’ Energy? Trends in Ecology & Evolution, 35: 235-244.
Pour plus d’info, lisez le document complet :
http://www.eolien-oleron.fr/sdm_downloads/parcs-eoliens-offshoreet-
recifs-artificiels
CITATION
Jean-Claude Dauvin, Océanologue, Professeur, Université de Caen-Normandie
« La mer du Nord a été tellement exploitée au 20ème siècle que c’est presque devenu un désert biologique. Il en va différemment dans des lieux comme la zone d’Oléron où la biodiversité est très riche. Ces lieux ne peuvent être comparés avec ceux de mer du nord. »
« Il faut minimiser les impacts écologiques quels qu’ils soient pour que le défi que l’on a vis-à-vis de la transition énergétique soit compatible avec la sauvegarde de la biodiversité dans son ensemble, y compris la biodiversité fonctionnelle. »
« Il faut avoir des connaissances sur la notion de sensibilité des écosystèmes. Je m’interroge beaucoup, en tant que scientifique et en tant que connaisseur du milieu marin depuis 50 ans, de la nécessité d’implanter des sites éoliens sur des sites Natura 2000 qui ont été reconnus d’intérêt patrimonial. »
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