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Océans 3 – La voix des invisibles, un film face au public
Troisième opus d’une trilogie, le titre du film présenté est long mais évocateur : « Océans 3 – La voix des invisibles – Une drôle de guerre ». Le décor est planté
Côtes d’Armor, Baie de Saint- Brieuc, mai 2020. Un navire rouge sur fond bleu escorté d’un autre, militaire. Face à eux, des embarcations qui semblent bien frêles, celles de pêcheurs venus déposer sur l’océan et face au géant rouge, une gerbe de fleurs.
Pendant 52 minutes, la voix posée de la journaliste réalisatrice Mathilde Jounot déroule des faits, usant parfois volontairement de la forme interrogative. Elle nous raconte l’histoire de cette « drôle de guerre » à plusieurs niveaux de lecture.
Choc des mondes
2015 : lors de la COP 21 à Paris, l’exploitation des océans est prise en compte pour la première fois de manière ouverte. « Nous en ferons ce que nous voulons », martèle Ségolène Royal.
Sur l’écran, les images s’alternent. D’un côté, les traits burinés par le vent, le sel et le travail, des marins pêcheurs de la Baie de Saint-Brieuc racontent 40 ans de gestion de l’espace maritime par les pêcheries, les équilibres maintenus, les zones de pêches proscrites pour préserver les ressources.
De l’autre, des visages, impassiblement lisses dans une salle de réunion bruxelloise, évoquent leurs ambitions sur l’éolien offshore, portant leurs regards de l’Atlantique à la Méditerranée « où ils n’ont rien encore », et affirmant être dans une démarche de « coexistence heureuse avec les pêcheurs ».
C’est le choc de mondes si différents que l’on voit mal ce qui pourrait les réconcilier. L’argent ? « Un pêcheur est fait pour prendre la mer et vivre de son travail, pas pour toucher de l’argent pour rester à quai », assène un pêcheur en réponse aux indemnités proposées en compensation à l’arrêt de l’activité, inévitable a minima pendant la durée du chantier.
Permis de destruction
D’autres images, plus administratives. Des extraits de documents montrant les transferts de capitaux de multinationales se revendant successivement les parts du gâteau océanique français.
Et puis un arrêté préfectoral signé du Préfet des Côtes d’Armor en date d’avril 2017 (très facilement accessible sur Internet). En pages 21 et 22 (sur 59), dérogation est donnée concernant des espèces protégées et leurs habitats naturels. Une autorisation formelle actant « la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction ou d’aires de repos d’espèces protégées, la destruction et la perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces protégées ».
Un permis de tuer valant pour 54 espèces d’oiseaux et 5 de mammifères marins : une liste longue, si longue… hirondelles, mouettes, Fou de Bassan, faucons, macareux moine, goëlands, héron cendré, rouge-gorge familier, sternes, martinets, tant d’autres encore… et puis marsouin, phoque gris et dauphin.
A Saint-Clément, un murmure étouffé parcourt la salle. Effroi, colère ? Les deux sans doute, tant les noms égrenés sur cette liste parlent au public insulaire. Tant cela paraît énorme d’en arriver là, sans même avoir de vraies réponses sur les plans environnementaux (quoique celle-ci en soit une) mais aussi sociaux-culturels et économiques.
Déni de démocratie
25 juin 1998 : à Aarhus au Danemark est approuvée par la quatrième conférence ministérielle « Environment for Europe », la Convention Arhus pour « l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ». Une Convention relevant du droit international et ratifiée par la France le 8 juillet 2002 pour une entrée en vigueur le 6 octobre de la même année.
La France, pays des commissions, réunions publiques et commissaires enquêteurs, a bien sûr suivi les procédures concernant le projet éolien dans la Baie de Saint-Brieuc, celui-ci recueillant quelque 85% d’avis défavorables selon les résultats de l’enquête publique.
Pourtant, sur le document définitif montré à l’écran, l’avis est « favorable ». Nulle trace de la parole citoyenne. L’Etat français fait obstacle à la Convention d’Aarhus, s’autorisant à bafouer les règles démocratiques au nom d’intérêts supérieurs. Mais lesquels ? Le climat, la transition énergétique, la sauvegarde de la planète ? C’est donc ça le développement durable, la réconciliation de l’homme avec la nature, le nouveau monde ?
La fin du film Océans 3 trouve une assistance bien silencieuse. Il semble qu’en plus d’être Rétais (de souche ou d’adoption), nous voilà tous Bretons de la Baie de Saint-Brieuc ou du Tréport, et Français épris de démocratie, et Citoyens du monde.
Parole à la salle
Après avoir ‘digéré’ les images, le débat reprend et le public questionne : Quelles informations peut-on tirer des pays du Nord, lancés depuis longtemps dans l’éolien offshore ? « Pas de retour d’expériences », répond Dominique Chevillon, pour cause de « secrets protégés par les industriels face à la concurrence ».
Quelle place pour les activités de plaisance ? Si la question paraît un peu légère, elle mérite d’être posée, ne serait-ce qu’au regard de la filière économique. « Au 1er accident, les parcs éoliens sont fermés à la plaisance et à la pêche », continue Dominique Chevillon précisant que « les industriels ne veulent pas d’activités sur place ».
Combien d’éoliennes nécessaires face à une centrale nucléaire ? Une usine nucléaire fonctionne à environ 80%, l’éolien offshore à 35%. « Il faut donc deux fois plus de puissance installée pour la même production ».
Les pieds d’éoliennes visibles sur le Grand Port Maritime rochelais sontils fabriqués ici ? « Non », répond Dominique Chevillon. « Ils sont danois, allemands ou hollandais et seulement assemblés à La Rochelle ».
Qu’en est-il du Débat public ? « Il sera multiforme et se déroulera d’octobre 2021 à janvier 2022 », explique Dominique Chevillon, enchaînant sur le dépôt du rapport et son résultat à prévoir vers avril, soit juste avant les élections présidentielles, elles-mêmes suivies des législatives.
« Le débat public aura lieu sur une synthèse faite par l’Etat qui a tout délégué aux promoteurs sans contrôle. C’est un chèque en blanc qui est demandé », conclut-il.
Ce chèque en blanc, sommes-nous prêts à le signer ? « Si la décision est prise en 2022, la machine sera inarrêtable », énonce Dominique Chevillon, précisant que la LPO fera recours auprès du Conseil d’Etat. Du côté du Collectif NEMO, « on prépare le contentieux mais on aura besoin de l’opinion publique. Il faut bouger, interpeller les élus sans flinguer le débat démocratique », poursuit Dominique Chevillon rappelant que sur l’Ile de Ré, « neuf communes sur dix sont contre le projet éolien allant désormais d’Oléron aux Sables d’Olonne. Royan est contre, Oléron est contre, même les élus régionaux ont réagi », continue-t-il.
Le mot de la fin, laissons-le à une spectatrice : « c’est un scandale d’Etat », exprime-t-elle haut et fort. A chacun de juger, en son âme et conscience.
La filière pêche en Nouvelle-Aquitaine
C’est le pêcheur professionnel Patrick Chevrier qui l’évoque.
En Nouvelle-Aquitaine, la filière pêche représente quelque 2 145 marins embarqués sur 525 bateaux pour environ 9 420 emplois locaux, considérant que pour un pêcheur il faut compter deux à trois emplois à terre.
Des Sables d’Olonne au Sud de Bordeaux, la pêche concerne environ 60 espèces, des « poissons nobles », précise Patrick Chevrier, citant pour exemple merlu, bar, sole ou encore coquilles Saint-Jacques, crevettes et crabes du côté des crustacés et mollusques.
La question de cette industrie lourde de l’éolien offshore, c’est aussi celle de l’alimentation humaine.
D’autres projections à venir
Au lendemain de la soirée à Saint-Clément, Dominique Chevillon nous annonce de nouveaux lieux et dates de projection du film « Océans 3 – La voix des invisibles – Une drôle de guerre », en Charente-Maritime :
– Jeudi 9 septembre à 18h à Arvert
– Mardi 14 septembre à 18h15 à Sainte-Marie de Ré (salle des Paradis)
– Mercredi 29 septembre à 18h30 à Vaux-sur-Mer
– Vendredi 8 octobre à 20h30 à Saint-Pierre d’Oléron
Des dates encore à planifier à Les Mathes, Marsilly, Royan, La Rochelle, Oléron encore et d’autres communes à suivre. Autant d’occasions de débats…
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