« Nous sommes à un moment de vérité, l’Etat doit aller vers plus d’orientations décentralisatrices »
En ce début de déconfinement, alors que le Département de la Charente-Maritime a été très présent durant les deux premiers mois de la crise sanitaire Covid-19 et entend bien accompagner les habitants et acteurs professionnels du territoire en difficulté, Ré à la Hune, RMØ à la Hune et LR à la Hune ont interviewé son Président, Dominique Bussereau, également Président de l’Association des départements de France (ADF).
Ré à la Hune, RMØ à la Hune, LR à la Hune : Comment avezvous perçu la gestion de la crise par le Gouvernement ?
Dominique Bussereau : L e Gouvernement a dû gérer et gère une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent. Quel Gouvernement dans le monde peut être exempt de reproches dans ce contexte ? Il est facile de dire après ce qu’il aurait fallu faire avant. Il y a eu des défaillances, notamment avec les masques et le zonage du pays, des couacs de communication, mais globalement le Premier Ministre Edouard Philippe a tenu la barre avec méthode et sang-froid. Quand le temps du bilan sera venu, le Parlement regardera où le système a failli. Il faudra tirer des conséquences : améliorer le fonctionnement de nos administrations et de nos institutions et engager une puissante vague de décentralisation.
Le principe de précaution justifiait-il une telle privation de libertés et d’imposer un tel carcan, de manière indifférenciée y compris sur les territoires de l’Ouest de la France assez peu touchés ?
Faut-il privilégier la liberté de ne pas se sentir concerné au consentement à toute privation de liberté qui porterait la promesse d’une vie sans risque ? A chacun de trancher, mais pour moi, la priorité, c’est la sécurité sanitaire des personnes. Malgré les décisions parfois contradictoires du Gouvernement, il y a bien eu un déconfinement territorialisé. Le Gouvernement ne peut pas demander aux Collectivités de gérer une intendance qu’il maîtrise mal sans leur faire confiance dans l’appréciation de la situation. C’est la même histoire avec les Français. Il n’est pas déraisonnable de faire appel à leur sens des responsabilités. De la même manière qu’ils ont accepté de voir leur liberté de circuler limitée, ils adoptent les gestes et pratiques de précaution. Grâce au Sénat, la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire est bien équilibrée avec des garanties pour que le traçage des contaminations respecte les droits individuels. La protection des données a d’ailleurs plus à craindre du piratage sournois sur Internet que de l’Etat.
Que pensez-vous du maintien du 1er tour des élections municipales ?
La décision pouvait paraître discutable mais nous ne sommes plus dans l’interrogation. Imaginez que nous ayons à reprogrammer les premier et second tours des élections municipales c’est tout le calendrier des échéances électorales à venir qui serait bouleversé. Beaucoup de commandes publiques sont à l’arrêt et les intercommunalités travaillent difficilement dans l’expectative. L’essentiel maintenant, c’est que les équipes élues au premier tour puissent être installées et que le deuxième tour se tienne rapidement, afin que nous puissions travailler tous ensemble à la reprise du pays.
Étiez-vous favorable à la réouverture des écoles, des collèges, des lycées ? Pour quelles raisons ?
Le confinement était une mesure drastique, la seule qui puisse permettre à notre système de Santé de faire face à la vague d’hospitalisation attendue, en favorisant l’arrêt des contaminations tout en donnant le temps de préparer les conditions sanitaires d’un retour aux activités humaines sécurisées. Les courbes des contaminations et des hospitalisations en réanimation baissant, la vie doit reprendre son cours aussi bien pour le secteur économique que pour les enfants, beaucoup d’entre eux ayant été coupés des enseignements et d’une socialisation qui les tire d’un environnement difficile.
Le Département qui a la charge des collèges a donc très tôt anticipé la reprise des cours. Un travail important a été fait pour que toutes les conditions techniques et sanitaires soient remplies et elles le sont. Aux côtés de l’Education nationale et de la Région pour les transports, nous avons oeuvré pour que le cahier des charges sanitaire soit respecté. Au Département, nous assurons le transport d’une cinquantaine de jeunes handicapés, dans les conditions sanitaires équivalentes. Grâce à nos capacités réunies de mobilisation des moyens nécessaires, plus de trois mille collégiens charentais- maritimes ont pu reprendre sereinement le chemin des cours.
Le Département de Charente- Maritime a été très présent pendant ces deux premiers mois de crise sanitaire, notamment en termes de services sociaux, pouvez-vous rappeler ses principales actions et le budget afférent ?
Alors que le secteur hospitalier a fait face héroïquement à cette pandémie inédite, le Département s’est retrouvé en première ligne sur le front sanitaire et social, avec des agents et des services traditionnellement en charge des plus fragiles, qui sont les plus exposés au Covid-19. Notre priorité a été de les équiper en masques et en gel hydroalcoolique.
Le Département de la Charente- Maritime a mobilisé ses moyens humains et financiers pour participer à l’effort sanitaire. Face à l’impréparation concernant les masques, il a lancé l’opération « un masque pour tous » qui va permettre à tous les Charentais-Maritime de disposer d’un masque. Sans test, on risque de reconfiner. C’est pourquoi, cette séquence est essentielle pour identifier et isoler les nouveaux foyers d’incubation. Avec la mobilisation des laboratoires départementaux, nous sommes en mesure de permettre la réalisation de 13 500 dépistages principalement dans les EHPAD et les établissements médico-sociaux. Nous sommes également en pointe dans la constitution des brigades sanitaires. Outre ces engagements importants, nous avons déployé des dispositifs adaptés à la situation : mise en place d’un service d’aide aux personnes âgées, en partenariat avec la Poste, ouverture de douze collèges pour l’accueil des enfants du personnel médico-social, etc.
La priorité du Département a été de pouvoir garantir la continuité de ses missions, aussi bien techniques qu’administratives pour que les subventions continuent d’être versées et que les factures soient honorées. Le numérique a été névralgique pour assurer le fonctionnement de l’institution mais aussi casser l’isolement social et professionnel partout où l’interruption des interactions humaines s’est faite ressentir. Des tablettes ont été données aux personnes âgées pour garder un contact familial et nous avons mis en ligne une série de sites internet afin de mettre en lien les consommateurs et les secteurs comme l’agriculture qui ont beaucoup souffert. Nous avons pu compter sur la modernisation de nos équipements et de nos pratiques, engagée pour faciliter l’entrée dans l’ère numérique, avec le déploiement de la fibre sur tout le territoire charentais- maritime d’ici 2022 et le plan d’action pour un numérique inclusif.
Quel est l’impact de Covid- 19 sur les finances du Département : charges en plus, recettes en moins, comment l’équilibre du budget de fonctionnement va-t-il être trouvé ? L’Etat accepterat- il qu’à titre exceptionnel les collectivités territoriales puissent emprunter pour cette année équilibrer leur budget de fonctionnement ? Y aura-t-il un impact sur la politique et le budget d’investissements du département ?
Plusieurs facteurs vont impacter à court et moyen terme nos finances. Avec le gel du marché immobilier, et malgré une reprise assez forte, les Départements vont perdre beaucoup en droits de mutation à titre onéreux (DMTO), avec un impact total de 4 milliards d’euros dès cette année, au plan national. Il y aura ensuite davantage de personnes bénéficiaires du RSA, ce qui va augmenter les dépenses des Départements qui pâtissent du désengagement de l’Etat qui n’en paye que la moitié au lieu de la totalité. Sans compter les primes exceptionnelles que nous allons attribuer aux personnels qui ont continué à travailler dans les conditions difficiles au service des personnes âgées, de l’enfance, du handicap… Je le propose à mes collègues du Département. Ce seront là aussi des charges supplémentaires. Il y aura donc un impact budgétaire du fait de ces engagements spécifiques dans la crise sanitaire. La hausse des dépenses est difficile à mesurer mais nous devons revoir notre budget. Nous demandons au Gouvernement de la souplesse et nous sommes en train d’en discuter avec lui. Comme Président de l’Assemblée des Départements de France, je plaide pour un système d’avance sur les droits de mutation qui nous permette de continuer à investir, pour éviter que la perte de recettes ne pénalise l’investissement des départements dans les mois à venir.
Quels sont les enseignements que vous tirez de cette crise et quelles sont les évolutions : sociétales, économiques, etc. de moyen-long terme qui vont en découler, à votre avis ? Saurons-nous en tirer les conséquences ou reviendron-snous très vite à une société d’hyperconsommation et hyperindividualisation ?
Attention à ne pas tout confondre. L’humanité a de tout temps connu des épidémies, bien avant l’ère industrielle et la société de consommation et certaines se produisent chaque année dans une certaine indifférence. Se claquemurer dans ses frontières n’est pas une solution et il y a urgence à relancer l’idéal européen. L’entente franco-allemande pour la constitution d’un fonds de relance européen de 500 milliards d’euros doit appeler d’autres élans fondateurs, notamment dans le domaine de la Santé. Localement, on voit bien que les Français aspirent de plus en plus à une consommation alternative qui repose sur les circuits courts et l’agriculture biologique. C’est un mouvement des terroirs qui se veut existentiel, y compris dans ses revendications décentralisatrices, et que nous accompagnons fortement avec le Département.
Quid du fonctionnement du Département et de ses priorités, vont-ils être impactés par cette crise ? La stratégie va-t-elle être revue à court et moyen termes ?
Les crises se succèdent et souvent les Collectivités sauvent les meubles ! Les Départements ont assuré leur rôle irremplaçable dans les politiques de solidarités territoriales et sociales. Avec François Baroin, Président de l’Association des Maires de France et Renaud Muselier, Président des Régions de France, nous répétons inlassablement le même discours de bon sens : il faut une plus grande décentralisation qui permette à chaque niveau des initiatives et des pratiques qui répondent le plus efficacement possible aux problématiques du terrain. Le texte dit des 3 D « décentralisation, différenciation et déconcentration » doit reprendre le chemin parlementaire avec beaucoup plus d’orientations décentralisatrices. L’Etat doit également faire sa mue. La crise sanitaire a mis en avant un manque de moyen et de capacité d’action des Préfets des Départements, trop dépendants d’ordres reçus de Paris et d’une insuffisante communication, notamment avec l’Agence Régionale de Santé (ARS), dont le fonctionnement doit être intégralement repensé.
Le nombre de publics fragiles et les besoins sociaux vont très probablement être démultipliés : appauvrissement, fragilisation, décrochage scolaire, chômage, personnes âgées isolées, troubles psychologiques, violences conjugales et familiales, divorces (et donc accroissement des familles monoparentales)… Etes-vous en mesure d’en estimer le niveau et de faire des projections en matière de budget « social » du département ?
L’action sociale est le domaine d’intervention principal du Département. Nous lui consacrons près de la moitié de notre budget. Nous ne mesurons pas encore tout l’impact économique et social de la crise. Mais si nous voulons maintenir nos investissements, il faudra revoir notre partenariat avec l’Etat. On nous demandait déjà de faire plus avec moins d’argent. Qu’en sera-t-il si, en plus de nous ôter une part de la taxe sur le foncier bâti, on demande au Département d’assurer toujours plus de prestations sociales ? Le Gouvernement doit maintenant entendre le message des Collectivités et leur assurer des ressources pérennes.
Vous avez – je crois – souhaité qu’en dépit de la loi NOTRe le Département de la Charente- Maritime (et les départements au titre de l’ADF) puisse intervenir en accompagnement de proximité des Entreprises, à titre dérogatoire dans le cadre de cette crise sanitaire, avezvous obtenu gain de cause ? Si oui quelle forme va prendre cet accompagnement ?
En Charente-Maritime, 96 % des entreprises ont moins de 10 employés, dont 70 % qui n’ont aucun salarié risquent de fermer. Ces petits chefs d’entreprises ou auto-entrepreneurs sont souvent issus du RSA et nous souhaitons les aider afin d’éviter qu’ils soient contraints d’y revenir. Nous sommes à un moment de vérité : soit l’Etat permet, en faisant preuve de pragmatisme, aux Départements d’aider ces petites entreprises, soit celles-ci mettent la clé sous la porte. Je continue les discussions avec le Gouvernement sur ce point mais nous serons prêts pour que la Commission permanente du 25 mai vote des mesures d’exception en ce sens. De même, nous allons connaître des entreprises et les établissements d’aide sociale qui vont connaître des difficultés financières, auxquelles nous allons répondre par la création d’un fonds spécifique.
Avez-vous prévu – via Charentes- Tourisme ? – un plan de relance touristique en lien avec les EPCI et CCI ? Quelles en seraient les grandes lignes ?
J’ai participé aux réunions du comité interministériel du tourisme, en tant que Président de l’ADF, et j’ai pu mesurer la prise de conscience du Gouvernement face aux enjeux colossaux en la matière. Le plan « Tourisme » qu’il a présenté est le bienvenu et les acteurs du tourisme l’ont dans l’ensemble plutôt bien accueilli. Nous sommes l’une des destinations préférées des Français pour leurs vacances. La configuration de congés franco-français nous est favorable. Le tourisme peut faire beaucoup pour notre territoire. Nous allons donc mettre en place des chèques vacances de 100 euros en collaboration avec les Offices Intercommunautaires pour inciter nos compatriotes à venir découvrir nos multiples trésors. Cette initiative accélère une tendance et une anticipation que nous avions déjà pressenties en vue de développer le tourisme de terroir.
Quid du Tour de France reporté fin août/début septembre ? Est-ce raisonnable au plan sanitaire ? Le risque n’est-il pas d’avoir une édition d’envergure moindre, avec moins de spectateurs ? Ne serait-il pas préférable de le reporter en juillet 2021 ?
Le report du Tour de France est une très bonne décision dans la mesure où est maintenu cet évènement sportif, qui est le plus regardé au monde après la coupe du monde de football et les Jeux Olympiques. Je suis très confiant quant à son déroulement. Nous accueillerons le Tour du 7 au 9 septembre. Les services du Département travaillent ardemment, en lien avec les communes, pour que ce séjour soit à la hauteur de l’honneur que le Tour nous fait de proposer la première étape d’île en île de son histoire. Après ces mois dramatiques, la vision du spectacle de la France sur les écrans et au bord sécurisé des routes nous redonnera le sourire.
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