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Une mer de vignes
Ré à la Hune vous propose tout l’été une série d’articles sur les produits, les métiers et les hommes « du terroir » de l’île de Ré. Issus des marais, de la terre ou de la mer, traditionnels ou innovants, ces produits sont travaillés avec la passion et la générosité des « gens d’ici ». Après la richesse des marais salants (Ré à la Hune n°120 et sur www.realahune.fr), nous abordons les vignes de l’île de Ré.
« Son territoire, qui est petit, consiste en deux espèces de terre, l’une forte et l’autre sablonneuse, qui se trouvent à présent toutes plantées en vignes… ».
Ainsi débute l’Inventaire des Titres et Papiers de l’île de Ré de 1728. Il n’y avait donc dans l’île à cette époque, que deux sortes de revenus possibles : le vin et le sel. Michel Pelletier, issu de l’une des plus anciennes familles de viticulteurs de l’île et Président durant vingt-cinq ans de la coopérative le confirme : « La vigne a marqué les paysages, l’économie et la sociologie de l’île ». Ce féru d’histoire pense même que les premières traces de travail de la vigne remonteraient probablement au IIIe siècle. Quoiqu’il en soit on retrouve bien, comme l’atteste un autre expert incontournable dès lors qu’il s’agit de la vigne, Monsieur Léon Gendre, preuves de la présence d’un receveur Royal des vins au VIe siècle. À leur arrivée à La Flotte en 1152, les moines cisterciens, Isaac de l’Étoile et Jean de Trizay développeront et amélioreront la culture de la vigne, au point qu’Éléonore d’Aquitaine vante volontiers la qualité des vins blancs du pays d’Aunis. La terrible gelée de 1709 décime tous les cépages, c’est la course à la rentabilité au dépend de la qualité, il faut replanter à tous prix.
« Le vin d’ailleurs est d’une si petite qualité qu’il n’y a que ceux qui habitent l’île qui puissent en boire : ils sont obligés de le convertir en eau de vie »*. À l’initiative des Hollandais, (grands importateurs des vins de la région) qui trouvaient plus avantageux de transporter un produit distillé occupant moins de volume, s’intensifie la pratique de la distillation. L’alambic de Sainte-Marie est officiellement du XVIIIe, mais Michel Pelletier n’exclut pas qu’il soit antérieur au XVIIe siècle. « Le travail de la vigne connaît son apogée en 1890, raconte Léon Gendre, avec plus de cinq-mille hectares cultivés. D’autant que l’île a bien résisté à l’épidémie de phylloxéra qui s’implante mal dans le sable. Tandis que la France a perdu les deux tiers de son vignoble, les petits paysans rétais font fortune. À cette époque, on compte deux à trois distilleries par village ». Les vignerons font alors appel à des négociants privés et procèderont ainsi jusqu’à ce qu’ils décident de s’unir pour enrayer la crise d’après-guerre en 1950.
La création de la coopérative, sous l’impulsion d’André Chaigne, est un évènement déterminant
Il a fallu se battre pour que la coopérative soit ce qu’elle est aujourd’hui : le relais de presque quatre-vingt viticulteurs qui sont associés pour mettre en commun leurs forces et mutualiser leurs moyens. Vinification, stockage, vente et conditionnement tout est désormais pris en charge par la coopérative, proposant au fil des années une qualité de production plus qu’honorable, qui permet à ce territoire particulièrement propice, de mettre en valeur ses eaux de vie et vins, devenus maintenant pleins de saveurs et de caractère. Les huit cépages différents (ugni-blanc, colombard, chardonnay, sauvignon pour les blancs et merlot, cabernet franc, sauvignon et tannât pour les rouges) exploités sur six-cent hectares de vignes défendent dignement l’identité et l’âme de l’île, participent au maintien du paysage et du terroir. Grâce à la pugnacité de ses représentants (dont Michel Pelletier) et à l’implication de François Guilbaud, oenologue et Maître de Chai, l’organisation a fait ses preuves. Ce dernier est intransigeant sur la sélection des cépages, corrige, le cas échéant les défauts en amont suite aux prélèvements étudiés au laboratoire de la coopérative, contrôle la maturité du raisin et orchestre les vendanges au métronome. Avec son équipe, il a largement contribué à améliorer la qualité des vins de l’île, fruit d’un travail qui commence dès le traitement et la culture de la vigne. Comme l’explique François Guilbaud, « la distillerie reste le coeur de métier et représente 50% de la production, l’autre moitié donnant chaque année deux millions de bouteilles vendues, principalement en rosé ». Le modèle économique de la coopérative (que dirige aujourd’hui Christophe Barthère sous la présidence de Jean-Jacques Enet) est performant, d’autant que le gros des ventes est réalisé sur place permettant d’éviter des frais d’expédition. « La coopérative s’inscrit parfaitement dans le prolongement de nos exploitations » atteste Carole Pardell viticultrice à Sainte-Marie, qui soutient la politique affichée de limitation de la rentabilité au profit de la qualité.
Viticulteur : un métier qui évolue
Ils sont de plus en plus nombreux à oser se lancer dans un métier agricole. Bien qu’ayant un père viticulteur et ostréiculteur, Anthony Cordon étudie l’informatique et exerce chez PSA pendant des années jusqu’à ce que le mal de l’île le gagne et qu’il décide alors de reprendre ses études pour exploiter les vignes de son père dont la retraite a pris effet en 2009. Il exploite douze hectares de vignes de Rivedoux jusqu’à Sainte-Marie. À l’instar de Michel Pelletier, la plupart des propriétaires jouent le jeu et passent le relais à la jeune génération qui, portée par un esprit entrepreneurial et un niveau d’études qui fait d’eux de véritables techniciens, poursuivent la quête de valeur ajoutée.
C’est le cas de Carole Pardell qui a eu l’opportunité en 2007 de reprendre les parcelles de Daniel Henry. Celui-ci lui a transmis une exploitation « clés en mains » matériel neuf et vignes entièrement renouvelées. Ce parrainage a été déterminant dans sa décision, une vigne à replanter nécessitant six années de travail avant d’être rentable. Le métier est dur, physique (charges lourdes et posture de travail courbée), assujetti aux conditions climatiques et aux caprices de la nature, mais tous deux s’accordent à dire que cela vaut la peine, ne serait-ce que parce que chaque journée réserve son lot de surprises et de réflexions à engager. La coopérative leur permet de porter des projets qu’ils ne pourraient pas soutenir individuellement, comme la reconversion bio avec entre autres la mise en place de la « confusion sexuelle » (méthode qui consiste à déposer au printemps des capsules de phéromones au pied des ceps pour leurrer les papillons dévastateurs et empêcher ainsi leur reproduction) grâce à laquelle depuis cinq ans la presque totalité des vignes est traitée sans insecticides. Une cuvée spéciale du même nom pourrait d’ailleurs voir le jour en hommage au procédé.
Avec Grégory Talon et Louis Merlin ils ont créé le GDAD (Groupement de Développement pour une Agriculture Durable). Ces nouveaux venus insufflent un dynamisme à la profession qu’appuie la Communauté de Communes, en créant notamment le Comité de Gestion des Espaces Agricoles et Naturels à l’échelle de l’île de Ré, dont le premier conseil aura lieu le 30 juin en présence de tous les acteurs de la protection du territoire.
* Inventaire des titres et papiers de l’île de Ré
Coopérative de l’Ile de Ré – SCA UNIRE
Route de Sainte Marie, 17580 Le Bois-Plage en Ré
Tél : 05 46 09 23 09
Voir l’article consacré à l’élevage des huîtres sur l’île de Ré
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A 42 ans, ce Breton, né dans une famille d’agriculteurs et ayant choisi une voie technico-commerciale, s’est reconverti pour se rapprocher de la terre et a eu l’opportunité de rejoindre la coopérative Uniré, comme chef de culture pour sa filiale Sagiterres.
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