Massacre des dauphins : ça suffit !
Voilà le titre qui semble convenir à la tragédie en cours : chaque hiver, des cadavres de dauphins échouent sur nos plages. Au large et loin des regards, 90% d’entre eux ont connu une mort violente
De tous les rendez-vous qui ponctuent nos années journalistiques, il en est un redouté et c’est celui-ci. Dès le mois de janvier, les premiers chiffres tombent, accompagnés de photos très explicites. La série noire a commencé.
En ce matin de fin février, direction le Laboratoire Pélagis à La Rochelle, pour une entrevue réunissant Allain Bougrain-Dubourg et Dominique Chevillon, respectivement Président et Vice-Président de la LPO, Gérard Frigaux Président de Nature Environnement 17, Grégory Ziebacz, responsable des mammifères marins pour l’association Ré Nature Environnement, mais aussi Thierry Jauniaux, spécialiste mondial des mammifères marins, venu de Belgique pour réaliser des autopsies sur des cadavres de dauphins.
« L’exécutif ne remplit pas ses devoirs »
Lors de notre rencontre du 13 février, c’est avec une détermination forte mais calme qu’Allain Bougrain- Dubourg avait évoqué la condition animale. Ce matin, il est en colère et ne le cache pas.
Se déclarant à la fois « bouleversé et scandalisé » par ce qu’il vient de voir, le Président de la LPO ne mâche pas ses mots. « On ne peut pas continuer de cette manière », martèle-t-il, « Les dispositifs existants ne suffisent pas, ce sont de petits pas par rapport à la réalité et on peut faire autrement. On DOIT faire autrement ». Une injonction qu’il tempère en affirmant avoir « beaucoup de sympathie pour les pêcheurs. Il faut les aider », précise- t-il. « Mais il y a trop de souffrance, ça suffit ! ».
Le constat d’Allain Bougrain-Dubourg est sans appel : « les animaux autopsiés montrent les traces d’une agonie par asphyxie. Certains avaient l’estomac plein, ils étaient en train de manger ! ». Un constat qui sera confirmé par le légiste.
Répondant aux questions des médias, le Président de la LPO explique que la France est très en retard dans ce combat. « Alors arrêtons de jouer à la patate chaude avec cette affaire », poursuit-il. « On a la connaissance, il n’y a qu’à agir et Il faut du courage », affirme-t-il.
Un courage qui, semble-t-il, manque au plus haut niveau pour Allain Bougrain-Dubourg qui interpelle via micros interposés la Ministre de la Mer, Annick Girardin.
Evoquant la mise en demeure officielle faite par l’Europe à la France en juillet dernier de prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu, Allain Bougrain-Dubourg s’interroge : « L’Europe finira par nous l’imposer alors qu’attend-on ? D’être pointé du doigt ? ». Selon lui, il faut poursuivre les démarches engagées mais aussi aller plus loin.
Rappelons que le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer) a établi des scénarii d’arrêt ponctuel des pratiques de pêche industrielle dans les zones et aux périodes concernées, l’hiver étant celle où les dauphins viennent se nourrir dans ces zones alors même que la pression de la pêche est intense. Des propositions écartées en octobre dernier par la Ministre de la Mer contre l’avis général des scientifiques, des associations et d’une opinion publique de plus en plus sensibilisée.
Au sommet de l’Etat, il semble que la situation ne soit pas encore assez grave. « Or il ne faut pas oublier que plus de 75% des cadavres restent en mer », souligne Allain Bougrain- Dubourg, évoquant les 570 cadavres trouvés sur le littoral atlantique depuis seulement le début du mois de janvier, soit le double par rapport à l’hiver 2019. « Nous sommes face à une mortalité que nous n’avons jamais connue jusqu’alors », souligne le Président de la LPO.
La parole scientifique
Elle est représentée par un professeur vétérinaire reconnu mondialement. Si, ayant l’occasion de constater la même chose dans la baie sud de la Mer du Nord, il n’est pas « étonné de ce qu’il voit ici », le témoignage de Thierry Jauniaux résonne en écho aux propos du Président de la LPO.
« Les efforts de pêche très importants sont responsables d’au moins 50 % des captures », nous explique le spécialiste des mammifères marins, ajoutant aussitôt, « la réduction est indispensable mais il est très difficile de contrôler ».
Au Laboratoire Pélagis de La Rochelle, avec lequel il collabore depuis 1995, il est venu pratiquer des autopsies, 17 en deux jours et à l’heure où il nous parle. Un exercice de médecine légale qu’il connaît bien et qui lui permet d’affirmer « que les animaux étaient en bonne santé ». Et l’autopsie confirme l’aspect extérieur des cadavres. Car s’ils portent les stigmates de leur capture (traces de maillage, ailerons sectionnés ou rostres brisés), l’autopsie « révèle des lésions au niveau des poumons ». Selon le spécialiste, la pêche industrielle est effectivement responsable mais pas seulement. « Il existe aussi des filets placés à marée basse par des amateurs qui font également des dégâts » explique-t-il.
Ce qui est sûr c’est que les dauphins autopsiés ne sont pas morts par noyade mais asphyxiés, « après une agonie douloureuse qui peut durer jusqu’à une demi-heure », précise Thierry Jauniaux.
« Quelle planète allons-nous laisser ! »
Discret et un peu en retrait, le Président de Nature Environnement 17 ne montre pas moins de détermination. Étroitement associé à la LPO dans la défense des cétacés, il avoue ressentir « une grande tristesse ». Environ 100 000 dauphins en 30 ans seraient ainsi morts du fait de la pêche dans le seul Golfe de Gascogne, alors même que l’espèce est protégée. « Il est temps d’agir, quelle planète allons-nous laisser aux générations futures ! », déplore Gérard Frigaux. « Et Nature Environnement 17 va agir, par des dépôts de plainte par exemple ». « Il faut trouver des solutions, politiques, temporelles et de territoire », poursuit le Président de l’association. « Le Ministère doit prendre ses responsabilités ».
De son côté Grégory Ziebacz, observateur Pélagis pour l’Ile de Ré depuis des décennies exprime son indignation. « C’est de pire en pire. Comment peut-on tolérer ça au XXIe siècle ?! ».
On repart de là l’âme douloureuse, tristesse et colère mêlées à l’instar de nos interlocuteurs pourtant aguerris. Du Pont de Ré, l’océan scintille sous le soleil, dissimulant bien des drames derrière son implacable majesté. Quelques heures plus tard, l’émotion a laissé place à une forme de dégoût et à un terrible sentiment d’impuissance. Pimenté d’un peu de honte. Car quand même et bien que les difficultés à concilier des enjeux contradictoires soient réelles, comment notre pays peut-il continuer à gagner un temps inutile et précieux, jouant avec des mesures souffrant par ailleurs de manque de contrôle ? Comme l’a exprimé Allain Bougrain- Dubourg, « il nous faut accepter de cohabiter avec les autres habitants de notre planète. Sauf à aller vers notre propre extinction ».
En tant que citoyenne de ce beau pays de France, plus émerveillée par les beautés et la richesse de la vie terrestre que par le sol de la planète Mars, la réalité n’est pas acceptable. Et oui encore un article engagé. Mais les dauphins de notre enfance ne le méritent-ils pas ?
La protection des dauphins, un sujet brûlant
La cause des dauphins dépasse largement nos côtes. Tout récemment, un autre documentaire diffusé sur France 5, « Sur le front », a été réalisé cette fois par Hugo Clément, journaliste très engagé. Choc des images et des témoignages dont certains sont glaçants. En tant qu’espèce protégée, il est bien sûr proscrit de prélever la chair des dauphins. Or il existerait des pratiques de consommations, peu avouables. Ces us et coutumes anciens perdureraient encore aujourd’hui, prouvés par certains cadavres selon l’organisation Sea Sheperd. Sans commentaires…
PLR
Le dauphin, espèce protégée ?
C’est la loi. « Une réglementation admirable et son application la première chose à demander » selon Allain Bougrain-Dubourg. Elle suppose l’interdiction de capturer et tuer les dauphins mais aussi et pour exemple les marsouins et les phoques, autres espèces protégées. Sur le site web du Ministère de l’Agriculture il est précisé que la déclaration de capture dite accidentelle est obligatoire. Et plus avant dans le texte, que ‘les données déclaratives seront utilisées exclusivement à des fins de connaissances scientifiques’, qu’avec des ‘données précises, il sera possible de « mieux comprendre, caractériser les captures accidentelles » afin de pouvoir « les prévenir ».
A noter que les « données précises » s’accumulent depuis des décennies. Cette obligation déclarative est-elle respectée ? Pas si sûr.
Néanmoins, certains pêcheurs se mobilisent et depuis le 1er janvier dernier. Un programme d’actions tente de concilier les exigences du secteur avec la protection des cétacés : répulsifs acoustiques ou encore pose de caméras à bord et présence d’observateurs indépendants. Des procédés déjà existants comme le montrait le documentaire réalisé par le Rétais Jean-Roch Meslun et diffusé sur France 3. Et insuffisants pour les associations.
PLR
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