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L’Oeil de Bœuf : la bouquinerie d’Henri
Cela fera vingt-ans cette année que Henri Vignaux, 79 ans, a ouvert sa boutique de livres anciens et d’occasion rue du Printemps aux Portes-en-Ré.
Il y a des lieux qui vous ramènent à des souvenirs d’enfance, l’Oeil de Boeuf avec ses odeurs de bou- quins anciens en est un. Des étagères immenses, des passages étroits, des livres par milliers, tout est fait pour se sentir comme transporté dans une caverne aux merveilles tout au bout de l’île de Ré…
De l’île d’Oléron à l’île de Ré
Si Henri est originaire de l’île d’Oléron, il savait dès sa plus tendre enfance que c’est sur Ré qu’il voulait aller : « Je suis issu d’une famille de cinq enfants, nous vivions dans une pro- priété relativement grande puisque lorsqu’elle a été vendue c’est devenu la cave coopérative viticole d’Oléron. C’est à ce moment-là que notre père nous a demandé si l’on souhaitait rester sur Oléron ou si nous préférions aller sur Ré. On a tout de suite répondu l’île de Ré car la mer est toute proche peu importe le village où l’on se trouve, contrairement à Saint-Pierre d’Oléron qui se trouve au centre de l’île. » C’est donc à Loix, en 1948, âgé de cinq ans, qu’Henri arrive sur l’île de Ré avec sa famille, où un oncle et une tante vivaient déjà : « À l’époque on cultivait la terre, le bœuf tirait la charrue, il n’y avait pas d’eau courante, on puisait dans la nappe phréatique. C’était une autre façon de vivre, chacun avait son bout de terre, et la volonté de construire à tout prix n’était pas dans les mentalités », nous confie Henri avec nostalgie.
Un parcours professionnel éclectique
Si Henri a appris le métier de décorateur-peintre à l’école Derval de Surgères, où il a été l’élève d’un meilleur ouvrier de France, c’est vers la photo qu’il a choisi de faire ses premiers pas dans la vie professionnelle. À Paris, muni d’un Rolleiflex et d’un Hasselblad, il devient en autodidacte le photographe des stars des années 60 : « Je faisais essentiellement les mondanités dans les restaurants, Chez Drouant notamment, là où on l’on délibère pour le prix Goncourt, mais je faisais aussi les boîtes de nuit et les cabarets, j’étais par exemple le photographe attitré de Michou. » La plupart des people de l’époque sont ainsi passés sous son objectif, Aznavour, Dalí, Gainsbourg, Le Luron ou encore Maurice Chevalier, une époque sympathique comme le dit Henri. Il a également travaillé pour un journal hollandais avant de partir pour Reims, où il a été technico-commercial en photographie et reportages dans une maison importante où il s’occupait de faire la promotion des établissements champenois. Dans les années 70, Henri décide de revenir sur l’île : « J’ai voulu monter une entreprise dans la photo mais tout était déjà très cher ici, j’ai donc abandonné l’idée et j’ai répondu à une offre d’emploi pour être garde champêtre et municipal à Loix, j’ai passé un concours d’où je suis sorti premier et j’ai eu le poste. Mes attributions ont été diverses, je m’occupais du cadastre, j’étais appariteur c’est-à-dire que j’avais un tambour pour faire les annonces municipales dans le village, à 13h je sonnais la cloche au clocher du village car les gens n’avaient pas de montres comme maintenant et on vivait encore à l’heure solaire à cette époque. » Au bout d’une année, il est obligé de quitter son job car le maire a changé. Amoureux de choses anciennes, il décide de créer sa bou- tique d’antiquités à Loix qu’il appelle L’œil de Bœuf, comme pour évoquer la forme ronde qu’Henri a dessiné au-dessus de la porte d’entrée.
Très vite, on lui propose de louer le grand hangar du CNAR, le Cercle nautique d’Ars-en-Ré, sur le port. « C’est là que j’ai commencé à avoir la folie des grandeurs, j’avais plus de places donc je stockais énormément de meubles. Cependant, je me suis aperçu que ce qui intéressait les gens dans ma boutique, ce n’était pas fo cément le mobilier que je vendais mais les livres anciens qui servaient de décoration pour agrémenter les bibliothèques. J’ai toujours aimé le livre, mon père ayant fini sa vie comme écrivain, j’ai donc décidé de me lancer dans cette aventure…». Au début Henri a commencé par faire les marchés, un métier physique mais qui lui permet de voir qu’il ne s’est pas trompé de voie. Puis, un jour, il a l’occasion d’acquérir un local aux Portes-en-Ré…
Une boutique ouverte hiver comme été depuis vingt années
C’est donc à 59 ans, à l’âge où il aurait presque dû être retraité, que Henry se lance dans l’aventure et monte sa bouquinerie, rue du Printemps, dans le village des Portes-en-Ré. Un local de 70 mètres carré en plein centre ville, qui ne manque pas de charme et qui, comme un clin d’œil à ses aventures passées, possède également un œil de bœuf. Le nom de cette nouvelle boutique était alors tout trouvé, ce sera le même que celui de son magasin d’antiquités qu’il possédait à Loix. Quand on passe la porte, on se sent tout de suite transporté dans une époque enchantée où vingt-mille livres anciens et d’occasion, avec leur odeur bien à eux, nous ramènent au parfum de notre enfance. À mi-chemin entre la librairie et la bibliothèque, ce lieu ne pourra que vous émerveiller. Ces pépites viennent de particuliers qui lui vendent des collections entières, et même s’il ne trouve qu’un ou deux livres intéressants parmi deux ou trois cents parfois, il n’arrive pas à s’en débarrasser. Il les prend donc tous et les dépose dans son local rivedousais. « Chaque jour je me lève de bonne heure et je traverse l’île pour faire le tri dans mon stock. Parfois des clients me demandent un livre bien particulier, je vais vérifier si je peux le trouver ».
Depuis vingt années, Henri ne semble pas s’en lasser. Pas question de lui parler de la retraite, à 79 ans, il n’a rien perdu de sa passion et de sa motivation. Il est l’un des seuls commerçants à résister au long hiver portingalais. Ouvert toute l’année, presque tous les jours, en fin de matinée et en fin d’après-midi, Henri vit sa plus belle vie : «Je ne me vois pas rester sans rien faire, cela m’occupe et me permet de voir du monde, c’est vraiment très enrichissant et passionnant, si je le peux je terminerai ma vie ici », nous dit-il tout souriant.
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