Lionel Quillet : les raisons d’une colère assumée
A la suite du dernier Conseil communautaire, les commentaires vont bon train sur la colère du président Quillet, allant jusqu’à occulter parfois le fond de son message. Il l’assume pleinement et explique ses fondements.
Ré à la Hune : Votre colère au dernier Conseil communautaire était-elle utile, autrement dit la forme ne dessert-elle pas le fond du message ?
Lionel Quillet : Ne croyez-vous pas que le fond doit l’emporter ? A un moment donné il faut se faire entendre, j’ai pris beaucoup sur moi, je suis resté très calme. Mais là je suis très en colère, on a porté atteinte à l’un des trois fondements de ce territoire, à l’un des trois enjeux que sont le logement et la vie permanente, les digues depuis 2010 surtout, l’écotaxe au Pont et la mobilité.
En 2008, quand je suis arrivé à la présidence de la CdC il y avait environ 550 logements sociaux, faits par les communes avec les bailleurs sociaux, La Flotte et Saint-Martin étant deux acteurs historiques en la matière. Dans la semaine de mon arrivée, j’ai proposé que la Communauté de Communes vienne compléter la compétence de logement social communal, pour les programmes d’au moins 10 puis 20 logements. Cette compétence est facultative pour les intercommunalités.
A ce moment-là l’hôpital s’apprêtait à vendre sa Maison de retraite pour 6 M€ à un promoteur immobilier, je ne voulais pas laisser faire cela mais nous n’avions pas la compétence logement, que nous avons acquise en un mois et demi. Ensuite, il aurait fallu préempter au prix du marché, ce qui était impossible. Grâce au Maire de Saint-Martin qui était au Conseil d’Administration de l’hôpital, on a obtenu (à une voix près) que celui-ci accepte de nous vendre le site à 4,5 M€. Cette décision de l’hôpital m’a valu de sévères inimitiés, j’ai fait perdre des recettes à l’hôpital… mais cela a été l’acte fondateur du logement. Dans ce bureau, il y avait notamment cinq Maires, qui sont toujours là : Gisèle Vergnon, Patrice Déchelette, Patrice Raffarin, Patrick Rayton et moi-même. Tous étaient d’accord pour que la CdC aille sur le logement, les communes n’ayant plus les moyens financiers. Ce jour-là on a scellé un pacte, un choix moral, une éthique : tous les moyens de la CdC iraient en priorité sur les grands projets de logement social, ceux des communes sur les plus petits projets.
Personne n’y avait dérogé depuis vingt ans, les nouveaux Maires ont adhéré de la même façon.
Xynthia et le PPRL ont quelque peu rebattu les cartes ?
Nous avons eu plusieurs obstacles dès le départ. Le premier tient au PPRL (Plan de prévention des risques littoraux) qui nous a fait perdre quasiment tout le potentiel de foncier constructible pour le Nord de l’île : Les Portes, Saint-Clément et La Couarde ont vu leur potentiel rayé. On a eu tout ce débat avec l’Etat sur le Moulin Rouge (Saint- Clément). Seules Ars et Loix ont été moins impactées au Nord et ont gardé un peu de potentiel.
Dès 2011/2012 on sait donc que le gros effort de logement doit porter sur le Sud. Le Maire de Saint-Martin n’a jamais arrêté, Jean-Pierre Gaillard au Bois-Plage s’est lancé avec conviction, avec notamment le très beau projet du Hameau de Rochefort et Gérard Juin continue avec La Poizière, la Maire de Sainte-Marie a mené plusieurs projets, dont certains en cours et à venir, le Maire de La Flotte a continué sur sa lancée. Tout le monde a mis les moyens pour mener ces projets, en termes d’énergie, de gestion des oppositions et financiers. J’ai fixé un cahier des charges complexe, négocié avec les bailleurs sociaux : la CdC achète le terrain, fait un bail emphytéotique à construction (ainsi elle reste propriétaire des terrains, nos successeurs en bénéficieront), et nous avons défini réglementairement des OAP (Opération d’aménagement programmé) pour des zones spécifiques que nous avons dédiées au logement. La règle d’or de tous les Maires : dès qu’on a un terrain, on le dédie au logement social.
Quel est le bilan de cette politique menée depuis 2008 ?
En 14 ans la CdC a acheté pour 22 M€ de foncier : le site des Perthuis à Saint-Martin, les Brises Marines à Ars, le site de Rochefort au Bois-Plage, La Cure à Loix, le quartier du Château à Rivedoux et nous avons l’achat en cours des Poizière au Bois-Plage suivant une AOP réalisée par Jean-Pierre Gaillard et suivie par Gérard Juin, les Noues à Ars, Les Ouches à Saint-Clément, les Hirondelles à Sainte-Marie… Et les communes ont aussi leurs propres projets.
Pour financer, la CdC a fait appel à l’EPF (Etablissement public foncier), une grosse banque de territoire, qui avance l’argent pendant trois ans et s’occupe des transactions des terrains, avec obligation de travailler dans un esprit social.
En plus du prix du foncier, soit 16 à 17 M€, la CdC équilibre les projets des bailleurs sociaux en abondant à hauteur de 10 à 12 % selon le coût de viabilisation, car l’île de Ré est plus chère en matière architecturale. Et enfin, la CdC fait la voirie, qu’elle rétrocède à la commune.
Fin 2022, nous avons 948 logements, dans lesquels habitent près de 2700 habitants (sur une population de 17 600 habitants), des Rétais majoritairement qui occupent ces logements viennent de toute l’île de Ré et on a pu ainsi maintenir le niveau de population permanente. On sait toutefois que ce n’est pas suffisant, il y a encore quatre cents demandes de logements et on continue.
Dans le même temps on a fait le choix politique de la construction des digues avec un plan de 25 M€, dont déjà 10 M€ ont été investis. Tout cela sans augmenter les impôts depuis 2008 et en baissant la TEOM (Taxe d’enlèvement des ordures ménagères).
Pourquoi estimez-vous que Rivedoux ne joue pas le jeu ?
Une seule commune ne joue pas et n’a pas joué le jeu, celle de Rivedoux, qui a vendu en 2016 un hectare de terrain, sur lequel nous aurions pu faire 70 logements, à Odalys pour 3 M€. Rivedoux a un apport régulier de population, notamment rochelaise, sans avoir besoin de logement à prix modéré, c’est la 1ère commune à l’ISF de Charente-Maritime (devant La Rochelle, Royan, etc.). Ainsi, elle ne joue pas le jeu de la solidarité du territoire.
Actuellement voici le nombre de logements sociaux des communes : Saint- Martin (275), La Flotte (264), Le Bois (109), Sainte-Marie (84), Ars (76), Les Portes (41), Loix (40), La Couarde (34), Rivedoux (15), Saint-Clément (10). Et nous avons les projets lancés dans le cadre du PLUi, qui représentent 288 logements.
La couleuvre est donc déjà difficile à avaler. Arrive l’opération du quartier du Château, sur laquelle le Maire de Rivedoux veut garder la maîtrise absolue et il demande la main mise sur une partie du terrain. Je m’engage à reculons et je rappelle la vocation sociale. La CdC engage 2 M€ pour mener à bien son projet de 36 logements sociaux, tous les contribuables de l’île de Ré participent à l’effort. Pendant ce temps, sans même que le Maire de Rivedoux m’en informe, je l’apprends par la presse, le Conseil municipal de Rivedoux délibère pour vendre dix terrains à 725 € le m2, pour « équilibrer le projet ». Autrement dit l’EPF va être remboursé de 2 M€ payés par la CdC et la part communale sera financée par des activités privées, grâce à la vente de terrains à dix propriétaires au prix de 725 € le m2.
Ainsi dans cette affaire le contribuable rétais supporte les frais des 36 logements sociaux, qui bénéficient à tout le territoire, pendant que Rivedoux s’en met plein les poches, avec la vente de dix terrains, dont on ne connaît d’ailleurs pas les critères de sélection. On n’a pas le nombre de logements sociaux qu’on aurait dû avoir. Et tous les Maires et leurs conseils municipaux sont désormais en difficulté pour mener leurs projets. Comment vont-ils arriver à négocier l’achat de terrains à 90 €, 120 € le m2, alors qu’à Rivedoux le terrain est vendu 725 € le m2 ? (Lire les réactions des Maires en pages 12 & 13).
C’est la fin de la solidarité rétaise, on n’a jamais connu cela avant. Le pacte de 2008, qui avait été renouvelé en 2020, a été rompu. On va continuer les projets engagés de 288 logements (204 CdC et 84 communes), on ne pourra plus en lancer de nouveaux.
La zone des Bragauds n’aurait-elle pas pu permettre cette solidarité ?
Absolument pas. Cette zone a été gelée depuis le Schéma Directeur de 2000, avec l’accord des élus de Rivedoux. A la demande des Services de l’Etat beaucoup de zones ont été gelées, au Bois, à La Flotte, à Rivedoux, par exemple. Sauf pour un projet d’intérêt général. Le Maire de Rivedoux a voulu qu’on la réintroduise en zone constructible, pour y créer 40 ou 50 terrains et l’ouvrir à la promotion immobilière, faisant passer la valeur de ces terrains de 0 € à 750 € voire 1000 € le m2. Voyant que cela ne serait pas possible, il a voulu « habiller » le projet de quelques logements sociaux. L’Etat a dit non, les élus rétais ont dit non, 25 délégués communautaires sur 28 ont approuvé le PLUi, seuls les trois élus de Rivedoux ne l’ont pas fait. Et le Juge du Tribunal Administratif a confirmé cette position.
Quelles sont les perspectives ? Vous envisagez de limiter le logement touristique ?
J’attends les conclusions de la Commission spéciale logement, pilotée par Peggy Luton, qui étudie quelles autres mesures on peut mettre en place, notamment pour favoriser le logement permanent versus le logement touristique. Notre territoire va être porteur de propositions, que nous débattrons dans une vraie concertation avec la population rétaise. J’engagerai la réflexion, les élus approuveront ou non, c’est un scoop que je vous annonce, je vais engager le débat. Et si les Rétais en sont d’accord, on mettra en place des solutions pour qu’il y ait moins de logements touristiques, au profit des logements permanents.
Le mot de la fin ?
Le Conseiller départemental, Patrice Raffarin, vient d’envoyer un courrier aux Maires de l’île de Ré pour « organiser des groupes de travail pour recueillir l’avis des principaux acteurs locaux » sur la question des saisons tarifaires du Pont.
Je le dis haut et fort, je demande une concertation la plus large, avec toute la population rétaise. Paul Neveur, Léon Gendre, Gisèle Vergnon et moi n’avons jamais voulu ouvrir la boîte de Pandorre : si l’on commence à baisser les tarifs, cela va se généraliser. Et quel projet de mobilité du Département pour accompagner ? Pour le moment on n’a plus que la passerelle à 1,2 M€ qui ne sert plus à rien sans 3ème voie prioritaire du Pont et sans la voie sud de Rivedoux, telles que nous les avions prévues avec Dominique Bussereau. Concertation avec toute la population et projet de mobilité sont indispensables avant de toucher aux tarifs du Pont de l’île de Ré.
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