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L’île de Ré, la cerise sur le gâteau
Champion du Monde de pâtisserie en 2023, Amaury Lafonta, qui vient d’ouvrir sa première boutique à La Rochelle, pourrait bientôt proposer ses délices sucrés à La Couarde. Un aboutissement pour cet amoureux de l’île, qui vient depuis tout petit dans la maison familiale.
Quand Amaury Lafonta décide d’ouvrir sa première pâtisserie, en juillet dernier, ce n’est pas un hasard si son choix se porte sur La Rochelle. Depuis tout petit et la séparation de ses parents, la vie d’Amaury, né en 1995 à Paris, se partage entre la Picardie (où s’est installée sa maman) et l’île de Ré, où vivent ses grands-parents et son papa. Ce « retour aux sources » pourrait finir de se concrétiser en 2025, avec le projet d’ouverture d’un point de vente sur le marché de La Couarde ! « Ca serait un immense plaisir pour moi de ravir les papilles rétaises, j’espère que ça se fera », confie Amaury. Son premier souvenir « sucré » ? Le pain au lait avec morceaux de chocolat préparé par sa grand-mère après la sieste, dans la maison familiale du Bois-Plage, rue des Passeroses. Une « madeleine de Proust » parmi tant d’autres sur l’île de Ré… Depuis tout petit, il vient régulièrement passer les vacances ou les week-ends chez ses grands-parents, tout au long de l’année. « L’hiver, il y a un côté hors du temps, c’est extraordinaire quand on passe le pont. Les paysages sont magnifiques quelle que soit la saison, je suis un amoureux de l’île », confie le jeune homme de 29 ans.
Il se souvient avec émotion de ces moments où toute la famille se retrouvait aux Gollandières, devant les cabanes de plage, tous les jours à la même heure, après la sieste des enfants. C’est le temps des châteaux de sable, des premières batailles navales à bord du bateau gonflable puis de l’apprentissage du surf. « En grandissant, on passait un peu moins de temps avec les parents, rigole-t-il. La journée se terminait à la Pergola ou au Bastion, parfois jusqu’au bout de la nuit ». En sortant de La Pergola, les jeunes adolescents font une halte chez Marin, où les boulangers s’affairent au fournil. « On quémandait par la fenêtre une fougasse ou un pain au chocolat ».
Stage de troisième
Enfant énergique, voire turbulent, Amaury Lafonta ne s’épanouit pas vraiment dans le système scolaire. Lorsqu’il faut choisir un stage en classe de troisième, il suit son meilleur ami. « J’étais assez influençable. Comme Corentin avait choisi une boulangerie, j’ai fait la même chose », rigole-t-il. Il est pris dans la boulangerie du village à Rully (Oise), un choix par défaut qui se transforme en révélation. « Ca m’a tout de suite plu. Assembler des éléments bruts pour en sortir une pâte vivante puis une création, c’était comme magique ». Le côté « manuel » séduit celui qui a toujours aimé bricoler avec son père : à 15 ans, direction le lycée hôtelier de Senlis, en internat. Après un premier travail pratique en boulangerie, Amaury découvre la deuxième semaine une nouvelle discipline : la pâtisserie. « J’ai tout de suite su que c’était ça ! » Dès lors, les résultats scolaires passent dans le vert, et Amaury alterne école et stages en entreprise, où il apprend les rudiments du métier. C’est paradoxalement la boulangerie-pâtisserie d’un Leclerc qui lui offre la plus belle expérience de ses débuts. « Comme quoi, il ne faut pas avoir de préjugés… J’ai rencontré un boulanger d’une trentaine d’années formidable. Il avait une telle passion qui l’animait que j’en avais des étoiles dans les yeux », se souvient Amaury. Après l’obtention de son bac à 17 ans et d’un CAP pâtisserie, il choisit de poursuivre son apprentissage chez les Compagnons du Devoir et du tour de France.
Pendant cinq ans, il sillonne les routes de l’Hexagone, exerçant ses talents au sein d’une nouvelle entreprise chaque année, toujours loin de chez lui. « Au niveau humain et professionnel, c’est la meilleure formation qui soit », juge Amaury. Il commence par la maison Stohrer, plus ancienne pâtisserie de Paris1, où il rencontre le directeur de vente Xavier Pichon, devenu depuis son associé à La Rochelle. Il poursuit ce tour de France à Bordeaux par les Douceurs de Louise, où il exerce sous les ordres d’un ancien de la maison Ladurée2. Chaque année, il déménage dans une maison partagée avec les compagnons d’autres corps de métiers (tailleurs de pierre, cordonniers, etc.), à proximité de son entreprise de rattachement. « On définit les règles ensemble, avec les tâches ménagères à accomplir par chacun. Ça apprend le savoir-vivre, ça m’a fait beaucoup évoluer ». Cette école de la vie se double d’une exigence professionnelle poussée, où les erreurs, qui font partie de l’apprentissage, sont admises, mais pas la fainéantise. « On est vachement mis à contribution. C’est sûr qu’on n’a pas le temps de pianoter sur son téléphone », confie le champion du Monde. Dès qu’il a un moment de libre, il vient décompresser sur l’île de Ré.
« Beaucoup de sacrifices »
Son passage chez Fredéric Hawecker, meilleur ouvrier de France à Château-Renard3, marquera à jamais le jeune pâtissier. « Il a été un guide humain et spirituel, quelqu’un toujours dans le partage et la transmission. Encore aujourd’hui, quand il y a des coups durs, je me rappelle cette entreprise ». Au-delà de la technique du pâtissier, Amaury Lafonta découvre des méthodes de management humaines, loin de l’autoritarisme de certains chefs. « Être exigeant tout en étant à l’écoute de ses équipes et sans jamais un mot plus haut que l’autre », résume-t-il. Son tour de France s’achève par la boulangerie SY Martin à La Baule, puis il entame une carrière de formateur à l’Ecole nationale supérieure de pâtisserie (ENSP) d’Yssingeaux pendant deux ans et demi, s’inscrivant en parallèle à plusieurs concours de pâtisserie. En 2018, il remporte son premier trophée international au concours « Stéphane Glacier » à Vannes, en catégorie sucre d’art, à seulement 23 ans. Non sélectionné l’année suivante pour la coupe du Monde à Bastia, il rejoint l’équipe des frères Béziat à Cahors, dont l’un des jumeaux est champion du Monde. Après deux années « très intensives », il décide de faire un break de six mois, partant pour un tour du Monde des plus beaux spots de surf de la planète (Bali, Australie, Hawaï, Costa-Rica, Etats-Unis). Une pause durant laquelle il ne pense plus du tout à la pâtisserie, lui qui a été « la tête dans le guidon » depuis son adolescence. « Depuis très jeune, j’ai fait beaucoup de sacrifices. Ça m’a permis de faire le point et de revenir avec les idées claires », confie le jeune homme. Cette parenthèse salvatrice se concrétise par sa sélection aux championnats du Monde de Milan en 2023, et sa victoire avec ses deux acolytes4, lui étant en charge de la pièce en sucre artistique.
Désormais paré de la veste avec le col de champion du Monde, Amaury Lafonta voit toutes les portes s’ouvrir, y compris celle des banquiers : c’est le moment de lancer sa propre affaire. Rue des Merciers, il affiche fièrement sur sa devanture son titre de champion du Monde, conscient que c’est un argument en or pour inciter les passants à venir déguster son sublime entremet « signature » (croustillant, biscuit moelleux à l’amande, caramel vanille bleu, crémeux vanille, ganache montée à la vanille de Tahiti et confiture de lait). « C’est un rêve qui devient réalité. Avoir pignon sur rue et voir des inconnus qui rentrent chez vous pour goûter à vos créations, c’est un sentiment incroyable », confie Amaury Lafonta. La veille, après plusieurs journées bien remplies, le pâtissier avait décidé de laisser ses équipes pendant deux heures, en autonomie. Le temps de franchir le pont de l’île de Ré et d’aller faire une session surf sur son spot préféré, à la Couarde…
- Fondée en 1730 par Nicolas Stohrer, pâtissier du roi Louis XV.
- Célèbre pâtisserie parisienne, connue notamment pour ses macarons.
- Au sud d’Avignon.
- Le championnat du Monde se déroule avec des équipes nationales de trois pâtissiers, avec chacun a sa spécialité : le dessert au chocolat, la pièce en sucre artistique et la pièce en pastillage.
Les producteurs de l’île sollicités
Le pâtissier a déjà mis à contribution des producteurs locaux comme Aoré (La Flotte), qui lui a fourni des algues pour la préparation de gâteaux spéciaux, notamment lors de l’inauguration de la boutique rochelaise. « Il y a encore pas mal de tests à faire avant de lancer une gamme à base d’algues, car c’est un produit assez gélifié qui est difficile à doser et à travailler », confie Amaury. Il se fournit également chez PickSel, à La Couarde, dont la fleur de sel vient sublimer ses créations sucrées, et imagine déjà des recettes à base de salicorne.
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