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L’île de Ré et Les Rondes, une histoire de cœur… de bœuf !
Producteur de tomates à la Couarde, Laurent Benuzzi profite du microclimat rétais pour proposer à ses clients les tomates les plus précoces de la région grâce à des techniques innovantes, et sans intrant chimique. Découverte.
Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes sur le stand des Rondes de Ré, à La Couarde-sur-Mer, pour comprendre la rareté de ce qu’on vend ici. Si les clients s’y pressent depuis début mai, c’est qu’on produit ici la cœur de bœuf la plus précoce des environs. « Je suis le seul de la région à produire à cette saison des tomates sous serre non chauffée », explique Laurent Benuzzi. La recette de ce tour de force : une mise en terre des plants dès le mois de février et un microclimat rétais largement favorable. « J’ose les planter extrêmement tôt, avec tous les risques et aléas que cela comporte. Mais si nous étions ailleurs, je ne m’y risquerais pas », confie le producteur. Pour survivre au gel, le plant de tomates ne doit pas être soumis à une température inférieure à -3 degrés, ce qui arrive rarement sur l’île. Et lorsque cela se produit, comme cette année, Laurent Benuzzi a imaginé, sur les conseils de la Chambre d’Agriculture, des serres capables d’emmagasiner un maximum de chaleur dans la journée, puis de la restituer la nuit lorsque la température dégringole. Cette bâche climatique, d’une opacité particulière, n’est pas la seule astuce de l’exploitation.
Méthodes naturelles
La tomate a de nombreux ennemis, à commencer par la mineuse de la tomate (tuta absoluta), un petit insecte qui creuse ses galeries dans la chair Charente-Maritime. Pour limiter ce risque, il a recouvert l’entrée de ses quatre serres de filets anti-insectes puis a opté pour la lutte biologique, qui consiste à planter des herbes aromatiques particulièrement odorantes au milieu des rangs de tomates, comme les roses d’Inde, le basilic ou la tanaisie commune. « Grâce à leur odeur, elles font office d’insecticide naturel, sauf pour les abeilles… Comme quoi, la nature est bien faite », explique Laurent Benuzzi. Seule entorse à ces bonnes pratiques, le recours à des lampes à ultraviolets pour détruire les insectes récalcitrants. Comme l’exploitation s’interdit tout recours aux produits chimiques, Rondes de Ré mise également sur la lutte biologique, qui consiste à introduire dans la serre des bactéries, Bacillus thuringiensis, dont les chenilles raffolent… « Ces bactéries ont la particularité de détruire le système digestif des chenilles, et donc de les éliminer », explique le producteur. Concernant la terre, elle a fait l’objet d’analyses de sol précises afin de lui apporter uniquement le peu d’engrais minéraux (calcium, potassium, magnésium) et organiques (fumier d’ovin et compost) dont la tomate a besoin pour s’épanouir.
La forte période de sécheresse actuelle, qui a contraint le Préfet à serrer le robinet (1), rappelle combien l’eau est précieuse pour les cultures, et notamment pour les tomates. Là encore, l’entreprise Rondes de Ré profite d’un forage de 4,5 mètres de profondeur, situé au cœur de l’exploitation, et d’un ingénieux système de goutte-à-goutte, programmé pour fournir précisément à la plante ses besoins hydriques. « Il s’enclenche trois fois 12 minutes par jour pour économiser l’eau au maximum », confie Laurent Benuzzi. Par ailleurs, l’ensemble du sol a été paillé afin de conserver l’humidité dans le sol. A l’inverse, l’excès d’humidité est néfaste pour les tomates : la conception des serres offre une ventilation « naturelle » tandis que les pieds de tomates sont effeuillés afin de favoriser la circulation de l’air.
Retour à la terre
Lorsqu’il se lance dans cette nouvelle aventure en 2018, avec seulement deux rangs de tomates sur un terrain en friche chemin du Moulin Barillon, Laurent Benuzzi ne s’attendait pas à produire plus de 40 tonnes de tomates quatre ans plus tard ! Originaire de Labastide-d’Armagnac, il devient apprenti-cuisinier dans les Landes, avant d’occuper différents boulots dans la restauration. En 1998, il est embauché à l’aéroport de Mérignac pour charger les plateaux repas dans les avions. « J’ai été pris grâce à André Turcat, le premier pilote à avoir fait voler sur le Concorde (2). Nous avions une connaissance en commun, et il m’a mis le pied à l’étrier ».
Après douze ans, il décide de s’installer sur l’île de Ré, qu’il avait découverte en 2003 grâce à Sylvie, la fille de son compagnon. En 2010, il reprend la gérance de la brasserie du camping de la Combe à l’eau, à Ars-en-Ré. Fils d’un viticulteur gascon (producteur d’Armagnac et de Floc de Gascogne), Laurent Benuzzi éprouve le besoin de « revenir à la terre ». Après une expérience avortée d’élevage de faisans et de perdrix en Vendée, il est embauché par Frédéric Héraudeau, producteur de la pomme de terre La Rebelle à Ars-en-Ré. C’est là qu’il décide de voler de ses propres ailes, semant quelques patates sur un terrain en friche, à La Couarde, puis plantant quelques pieds de tomates. « Les gens ont commencé à s’arrêter pour en acheter. J’ai compris qu’il y avait une demande, et je me suis lancé à fond », explique-t-il. Il opte pour la cœur de bœuf, variété très populaire et productive, puis varie les plaisirs avec la Marmande, la Noire de Crimée, l’Ananas ou l’Aumônière.
La crise sanitaire et les confinements successifs vont devenir une aubaine pour le nouveau producteur. « Les gens se sont mis à consommer local. Certains voisins ont même découvert que je produisais des tomates juste à côté de chez eux ». C’est là qu’il décide de passer à la vitesse supérieure et d’installer deux nouvelles serres de 750 pieds de tomates chacune, ainsi que des fraises, salades, herbes aromatiques, oignons blancs, courgettes, concombres, haricots, pommes de terre et melons. La qua- lité de ses tomates et le bouche-à-oreille ont fait le reste, si bien qu’il écoule la quasi-totalité de sa production sur l’île de Ré. En 2021, il a obtenu le label «+ de 17 dans nos assiettes » (3) , qui récompense les producteurs locaux.
Chaque serre, qui contient environ 750 pieds de tomates, a été conçue avec l’aide de la Chambre d’Agriculture afin de produire des tomates précoces de qualité, sans recours au chauffage.
(1) Le 16 mai dernier, la cellule de vigilance « sécheresse » de la préfecture de Charente- Maritime a émis une liste d’arrêtés d’usage de l’eau pour les professionnels, les collectivités et les particuliers.
(2) Aux commandes du premier vol du prototype 001 du célèbre appareil, André Turcat fut le premier pilote à faire décoller le Concorde, le 2 mars 1969.
(3) Le Département a lancé ce label en 2020, en partenariat avec la Chambre d’Agriculture, avec l’objectif de certifier la provenance (locale) des produits et fédérer les producteurs. Sur l’île de Ré, ils sont deux à posséder le label : Les Rondes de Ré et le saunier couardais PickSel.
Les Rondes de Ré chemin du Moulin Barillon, à La Couarde. Stand ouvert de 8h30 à 12h30 et de 15h à 18h30, jusqu’au 15 septembre.
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