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- Interview : Denis Chatin
La liberté confisquée sur l’île de Ré ?
Denis Chatin, chef d’entreprise et membre d’une vielle famille rétaise, exploite deux établissements : la Pergola, depuis 11 ans, véritable institution à La Couarde, connue par des générations de vacanciers et de Rétais depuis 1936, et plus récemment il a redonné vie à “La Cible” en créant un bar-restaurant très fréquenté, ouvrant directement sur la plage de Saint-Martin.
Avec la responsabilité d’une trentaine de salariés et aussi d’une entreprise de rénovation de bâtiment, cet entrepreneur actif et libertaire a enflammé la toile en ce début d’août en poussant un coup de gueule : “Barrez-vous les jeunes”, qui a généré plus de 800 partages et soutiens sur les réseaux sociaux. Ré à la Hune l’a rencontré pour comprendre et approfondir les raisons de ce “coup de gueule”.
Ré à la Hune : Pourquoi ce “coup de gueule” spectaculaire qui a enflammé la toile ? Est-ce la tension d’une saison chargée ou dénoncez-vous des causes profondes ?
Denis Chatin : Un ras-le-bol des contraintes que le chef d’entreprise que je suis supporte de plus en plus difficilement. Outre les charges fiscales, nous subissons à outrance les contrôles des services d’hygiène, de l’inspection du travail, de la concurrence et de la répression des fraudes… l’Entreprise subit cette pression acharnée, que je dénonce. Nous avons besoin de liberté pour réaliser le chiffre d’affaires de nos entreprises et générer de l’emploi. Trop de normes sont créées dans le seul but d’alimenter l’emploi et les salaires de la fonction publique, elles nous étouffent. On nous ment, on se moque de nous !
« L’Entreprise subit une pression acharnée que je dénonce »
Cela n’est pas propre à l’île de Ré, toutes les entreprises sont logées à la même enseigne. Qu’est-ce qui vous irrite spécifiquement sur notre île ?
Dans mon métier de la nuit et de la restauration, je pense être un professionnel sérieux et responsable. Je suis père de famille et croyez-moi, la sécurité de mes clients, j’y veille. Mais on ne nous aide pas ! Je dois résister aux observations du voisinage, aux actions d’associations, satisfaire des réglementations contraignantes et hypocrites, déplorer que les transports en commun ne fonctionnent pas la nuit. Ils permettraient de retrouver ainsi une cohésion entre nos villages sans crainte du gendarme. Pourquoi les transports publics s’arrêtent-ils la nuit ? Ce serait une solution si évidente et efficace pour tendre vers le risque zéro accident ! Ça devient très compliqué d’entreprendre sur l’île de Ré, il faut que certains élus nous disent quelle île de Ré ils projettent dans l’avenir afin que nous sachions si nous poursuivrons nos investissements ici ou si nous partirons dans des régions plus sereines.
Parlez-vous en votre nom propre ou faites-vous le porte-voix des jeunes que vous écoutez et qui n’osent pas s’exprimer ?
Les jeunes me parlent et nous sommes en phase : la preuve, l’audience et l’énorme soutien reçus sur les réseaux sociaux ! Il n’y a pas que les jeunes d’ailleurs qui déplorent une île de Ré bétonnée à tout va, nos villages qui ne communiquent plus entre eux et qui ont perdu le sens simple de la convivialité et de la joie. L’île devient une vaste citédortoir, sans âme et sans avenir avec des loyers trop chers, des emplois saisonniers éphémères, un patrimoine inaccessible. Notre île perd son identité. L’île meurt de l’écotaxe parce qu’elle est trop riche, trop gâtée, trop en quête de subventions. Certains de nos élus sont trop ambitieux, ils en oublient l’essentiel. On bétonne, on paillette, alors que le charme n’a pas besoin d’argent. Quelle politique engage-t-on pour maintenir les jeunes au pays dans un climat serein ?
C’est un véritable réquisitoire, un “Barrez-vous” qui prend des airs de “J’accuse”.
L’île de Ré est étouffée : on ne peut plus déboucher son rosé sur la plage avec les copains sur un air de guitare. On ne peut plus rigoler, on ne peut plus aimer, on ne peut plus respirer, on se sent stressé, épié, pourchassé. Nous n’avons plus d’espaces de liberté : contrôles permanents de tout, contrôles et répressions sur les pistes cyclables, contrôle du “squat”, contrôle des voitures, des camions, des vélos des marchés… Certes la sécurité des personnes ne doit pas être négligée, mais il y a trop de contrôles par divers agents et administrations. La prune n’a plus le goût du fruit. C’est insupportable, nous ne sommes pas des voyous et je crois en l’action éducative plutôt que répressive. Mais il faut du courage et de la volonté politique pour le faire.
« Nous ne sommes pas des voyous et je crois en l’action éducative plutôt que répressive »
M6 a montré dans Zone Interdite le 11 août, une île de Ré contrastée : des people qui s’y complaisent, des commerçants avisés, des paysans pauvres taxés à l’ISF, des jeunes qui essaient d’y créer leur entreprise. Vous la vivez et la voyez autrement ?
Je n’ai pas vu l’émission, obligations professionnelles obligent, mais les médias donnent souvent de l’île de Ré une image caricaturale, ça ne m’intéresse pas. Il est temps que nos élus regardent les choses en face, écoutent les doléances des jeunes. Ce sont les jeunes qui les premiers ressentent les transformations d’une île dortoir dont le couvre-feu retentit à l’heure des poules. Alors ils se sauvent, constatant que le brin d’herbe, lui-aussi, n’a plus la liberté de pousser dans le moche béton désactivé de nos ruelles, que les cloches de nos églises ne sonnent plus l’heure des vacances d’autrefois, que l’aseptisation de l’île en efface le caractère, les odeurs, les couleurs, que l’individualisme nous prive de cette entraide fédérative qui dynamisait la vie insulaire. On n’entend plus les rires de mômes espiègles dans les ruelles puisqu’ils perturbent la sieste des associations.
C’est un cri d’amour ou une mise en garde que vous nous adressez ?
Certains l’ont interprété comme un appel à l’anarchie. Qu’ils ne se méprennent pas, c’est une simple mise en garde que j’assume.
« Nous devons réagir collectivement avec une idée noble et simple de l’île de Ré »
Mais méfions-nous quand même, car que deviendrait une nation si tout ce qui n’est pas interdit devient obligatoire ? Nous devons réagir collectivement avec une idée noble et simple de l’île de Ré, pour retrouver ensemble au plus vite ce vent de liberté, ce sens de la fête joyeuse, simple, responsable et communicative, qui est en train de disparaître. Nous sommes asphyxiés par trop de contraintes, d’encadrements et nous devons faire face à l’opposition de personnes ou d’associations qui étouffent toutes initiatives. Île de Ré je t’aime, beaucoup, passionnément, à la folie. Mais t’aimerai-je encore dans quelques années ?
Voir les réactions possibles à l’annulation du SCOT de l’île de Ré selon le Président de la Communauté de Communes
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